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Du point de vue que son regard choisit^ les objets se dessinent , se colorent , apparaissent sous un aspect nouveau. — Il est également remarquable, soit qu'il emploie le langage du philosophe, du moraliste ou de l'homme d'état. Les femmes d'autrefois^ si instruites, si aimables ; si beaux-esprits , les femmes de ce temps où le bonheur était un fait, oii l'existence sociale n'était jamais mise péAfacb. y en question , h auraient probablement pas ouvert ce livre. — Les femmes d'aujour*^ d'hui le liront, le comprendront et Tairae- ront. C'est dans leur salon que naissent et se prolongent ces controverses législa- tives , et qu'on discute ces graves sujets de serment politique, de bannissement, de peine de mort... La peine de mort traitée par Fauteur de cet ouvrage 1 — Et dans quel lieu ? dans le donjon de Vin-r cennes(i). — A quel moo^nt.^ alors que le peuple, à grands cris , demandait : bat en prononçant ^son nom ; qu'il n'y a^as une âme noble et ^élevée qui ne s'élève lencove en pensant à son courage^; c'est qiii^il n'y a pas nn étrse qui^ en nous abordant, ne nous demande comment il est... ce qu il fait... qui ne presse avec plus d'affection cette main qui a serre la sienne , et qui ne nous dise : Vous avez vu M. de Peyronnet ! Que vous êtes heureux d'être sou ami ! J. DE R. Pakis, octobre i834. amis ! . • . . est-ce qu'ils vont par troupe , et se rencontrent tiulle part , autrement que rares et seuls? Celui qui m'a donné ce droit est dans rhabitude de l'ôter ; car c'est le malheur. Oui^ c'est lui qui, me délivrant des in- grats, dont la fausse affection n'était que. convoitise et hypocrisie , a inspiré en re- vanche aux cœurs désintéressés et sin- cères une touchante émulation de dé- vouement et de sympathie. C'est à lui que j'en dois le discernement et le partage. C'est de lui qu'est sortie la voix qui a dit aux premiers : Loin de lui! et aux autres : Voici venir votre jour, avancez! Je les ;a^ donc comptés, grâce à lui, sans avoir plus à craindre ni confusion ni méprise. Je les ai comptés , et ma joie a été profonde, car il s'est trouvé qu'ils étaient plusieurs. Malheur , je te remercie! tu m'as fait là une faveur précieuse, et qae nulle prospérité ne m'eût jamais faite. A vous donc, généreux et nobles amis ; à vous qui ne trahissez pas, n'oubliez pas, ne délaissez pas, ne reniez pas; à vous qui honorez, quoiqu'on soit pros- crit; qui défendez, quoiqu'on soit absent; qni aimez encore, quoiqu'on ne puisse plus rien ; à vous ces pensées , toutes mes pensées; à vous cet hommage, l'inva- riable hommage d'une gratitude sans fin. • • t. Dans ce malheur , qui vous a laisses si fidèles, vous êtes ma plus chëre et plus habituelle pensée. Un recueil de celles qu'il m'inspira serait incomplet si vous n'y . étiez point. C'est votre droit et ma dette : la première page est à vous. DE Peyronneî. Château de Ham , septembre i83/|. LIVRE PREMIER. DE LA JUSTICE POLITIQUE, Camificem et laqueum pridem aboUta : ut «M0 pœnaB legibiu eonttitUtaâ , qui- buM , »inè Judicum gavittà , et tempo- rum infamiâ, supplicia deeernerentur. Tacite,. Ann, llv. U, ch. ftS. TABLE DU PREMIER LIVRE. CiiÀP. 4. Des deux justices. 2. De la traliison. 3. Dq complot. 4. De la presse. 5. De la goenre civile. 6. De la nécessité par rapport à la justice. 7. Des peines perpétuelles. 8. Du bannissement judiciaire. 9. De la confiscation» 40. De la peine de raorL 44. Desjug;e& 42. Du bannissement politique. 45. De la révision. 44. Amnistie et grâce. DES DEUX JUSTICES. Hani , i83i CoMiis la ptdilique a ses crimes , elle doit avoir aassi sa justice. Ceux de ses crimes qui ne sont que des actions » trouUent plus la société qu'ils ne la corrompent. GHAPITBB I. J9 \ Ceux qui ne se produisent que par des doctrines, la corrompent plus qu'ils ne la troublent* L^ trouble ne vient qu'après ; mais il est Vrai qu'il n'en est quelquefois que plus grand. Les crimes ordinaires attaquent la société humaine dans ses plus profondes racines : dans la propriété , qui en est le lien ; dans le sentiment moral, qui en est la vie; dans l'horreur du sang , qui en prévient la dis- persion. Les crimes politiques n'attaquent de la so- ciété que ses formes extrêmes et extérieures. Les premiers , crimes plus parfaits comme crimes , excluent la société même, puisqu'ils excluent et la vertu et le droit. Les seconds, qui admettent la vertu, et quelquefois la supposent ; qui supposent la société , puisqu'ils veulent seulement en changer la forme, sont, comme crimes, plus incomplets et plus im DES DEUX JtSTIGEft. 5 Les crimes ordinaires , quelque vils qu'ils soient, le sont cependant moins en eux- mêmes, que par leur cause et par leurs moyens- Le criminel surmonte ses craintes , et brave un péril. Ce sentiment, à le considérer iso- lément , n'est point bas. Je ne parle pas de l'infamie. Il n'y a point de bassesse comparable à celle de l'homme à qui sa condition permet de connaître toute l'énormité de ce supplice, et qui s'y ex- pose. A part cela, le crime n'est vil que par la lâcheté de ses trahisons et de ses surprises , et par la perversité de ses passions et de ses motifs. Quand la haine, passion honteuse, re- cherche de honteuses satisfactions dans la perfidie et la' violence, qu'elle soit in- fâme! Quand la paresse , la corruption du cœur 8 GBftPITBE I. actes , il ne serait ni jnsle ni sage qu'il n'y en eût aucune dans la répression. On fausse et on énerve les lois, en les pliant violemment à des choses auxquelles leur espèce répugne et ne convient point. Dans cette confusion de chàtimens et de crimes y ce qui serait à craindre ne serait pas que Topiuion des peuples abaiss&t ces der- niers au niveau des autres; mais bien plutôt qu'en voyant assigner à tous un traitement uniforme, le peuple s'accoutumftt à donner aux crimes vils et honteux quelque partie de l'intérêt qu'il ne peut se défendre d'accorder à ceux qui ne le sont point. Les geôles sont mises en honneur par le séjour de l'homme de bien. Le sang du juste ne souille pas l'é- chafaud , il le purifie. A côté des crimes de la politique , il y a ses fautes, et à qôté de ses fautes, de certaines idées de danger public qui s'attachent quel- quefois à de certains noms. DBS DBCX nimcKs. On pourvoiCaux premiers par les juge- mens. Les antres, qni sont un mal différent, mais pourtant un mal dans l'État, il est bon qu'il y ait aussi quelques moyens d'y pour- voir. Athènes avait l'ostracisme ; Rome, l'exil volontaire; l'ancienne France, l'exil du roi. Si la liberté en prenait ombrage, ce serait à tort. Ce n'est pas la chose même qui est dangereuse pour ell« ; au contraire. Le véri- table danger n'est que dans ses formes. Tout consiste à la régler de manière que ceux qni sont maîtres n'en puissent pas abuser. Sans cela , ce n'est qu'un moyen d'op- pression ; mais avec cela, c'est une garantie de plus pour la liberté. Rome et Athènes l'avaient bien compris. Il n'est pas si contraire à la justice et à la liberté qu'on pourrait le croire, d'avoir un moyen légal de tromper en de certains temps les préventions populaires, et l'ef- frénée vengeance des factions. 10 ÇMJUniUM h Peut-être on exilerait un peu plus; mais on tuerait beaucoup moins. Lequel Tant mieux? Je diviserais donc volontiers la justice po- litique en deux branches, si j'en étais maître : l'une qui ressemblerait par ses procédés et par ses formules , à la justice commune , et qui n'en différerait que par la nature de ses crimes et.de ses peines; Tautre, qui s'élève- rait au-dessus « qui se proposerait antre chose, qui ne songerait point à punir, qui ne sau- rait ce que c'est que les supplices , et qui n'aurait en vue que le salut et la liberté de l'État. Ces distinctions sont à peine utiles, à peine aperçues dans les temps de calme et dans les gouvernemens affermis. Mais aux épo- ques de renouvellement et de subversion, on n'en éprouve que trop la nécessité. OBAFITBa II. DB LÀ TRAHISON. Ham , i83i. Les intérêts du prince ne sont pas ton- joars ceux de TÉtat, ni les intérêts de TÉtat ceux du prince. Tantôt c'est le prince qui se fait imprudemment des desseins et des inté- rêts à part ; tantôt c'est la fortune même qui les lui fait. Sans doute , il en devrait être au- 13 CHAPITKe II. trement; mais où voit-on que soit ce qui devrait être? Il y a donc la trahison envers l'État, et la trahison envers le prince; et quelquefois la fidélité envers le prince pourrait être une trahison envers l'État ; comme la fidélité en- vers TÉtaty une sorte de trahison envers le prince. Quelquefois aussi la plus parfaite fidélité envers TÉtat et le prince est prise un ins- tant pour trahison par l'un ou par l'autre, ou même par l'un et par l'autre. Le temps vient ensuite qui redresse ces méprises là; mais quelquefois tard, quel- quefois trop tard. On trahit le prince en travaillant à le dé- pouiller de ses droits, ou à les réduire. On trahit l'État en travaillant à étendre abusive- ment les droits du prince. Il y a ensuite plu- sieurs actions qui sont à la fois des actes de trahison envers le prince et envers l'État. DE LA TRAHIMMI. 13 Quel faiseur de lois eut jamais Timpru- denee ou la loyauté de donuer une exacte définition de la trahison! On eût dû pour- tant 9 de nos jours au moins, se ressouvenir de la juste sentence de Montesquieu : • Que < c'est assez que le crime de lèse^majesté I soit vague , pour que le gouvernement dé- â génère en despotisme (1)- » On a eu les édits des empereurs , et quels édits i Ou a eu les statuts d'Edouard III , de Richard II et de Henri VIII, et quels statuts! Une vraie, sage et mesurée définition , vous ne la trouverez dans aucune loi ; si ce n'est peut-être dans celle que corrompit Tibère , et qui avait suffi jusqu'à lui. — Si quiê po- AiUme exercitum^ autplebem sedUionitniSj deni-^ que malè ge$0 refubticâj nugestatem pa/ndi romam tntmiiMel. -^ Facta atguebantuar j Acta impuMè étant (2). (i) Esprit des loisy liv. la, ch. 7. (a) Tacite, Ann^Vir, i,ch. 7a. 18 . CBâPITUI UL principe dominant par lequel il la faut juger. J'étends et élève, mais pour réduire; je ré- duis 9 mais pour étendre et pour élever. Qu'est-ce donc pour moi que ces crimes dont les dénominations sont si variées? Des moyens divers d'un même dessein; un crime identique et pareil } toujours et dans 'tous les cas, de la trahison. Or de la trahison » j'en ai dit tout ce que j'en crois. OBAFirmB.IV. DB LA PRE6SB. Ham, i832. Les crimes de la presse sont plus subor- donnés à la constitution de l'Etat qu'on ne voudrait l'avouer : je dis subordonnés pour leur caractère, leur fréquence, leur gravité, leur répression. 20 CHAPITRE IT. Ni ces crimes ne sont pareils , ni le nom- m bre et les périls n'en sont éganx, dans toutes les constitutions. Plus il a été attribué de droits , plus il s'en exerce ; plus il s^en exerce , plus on en prétend. Vous constituez des droits contraires à la vérité des cboses I II s'era inévitable qu'on les exerce selon leur nature, c'est-à-dire d'une façon contraire à la vérité des choses. Vous verrez cela^ et vous vous étonnerez ; vous en prendrez de la méfiance, et vous vous irriterez. Votre colère sera insensée; car les abus qui vous choqueront ne seront que les conséquences logiques d'un abus plus grand que vous aurez vous-même établi. Quel fruit prétendez-vous que produise un principe faux? Vous vous révolterez et dires ; voyait-on rien de semblable en tel temps 3 IiTon , cejrtes ; DE LA PEE5SB. 31 mais c'est qu'on avait un autre principe de conâtitation en ce temps. Avec une constitution qui serait telle que tout écart de la presse serait une infraction de son principe ou de ses clauses, il s'en com- mettrait fort peu. Cela est dans la vérité, dans la nature, dans l'expérience même des cho- ses. Tout serait crime, et il y aurait moins de crimes. Cette assertion semble bizarre , et elle est certaine. Avec une constitution fondée sur un prin* cipe opposé, il y à beaucoup moins d'actions qui soient réputées criminelles; mais de celles qui le sont , il s'en commet un bien plus grand nombre. Et de ces deux choses » la première est incontestablement la cause de l'autre. Peut-être aussi en est-elle l'excuse. Si vous craignez les égaremens de la presse, ayez une constitution qui les exclue. Si vous avez une constitution qui les provoque , ou 23 dUPiTRE nr. changez votre constitution, ou supportez-les. Il y a des lois vicieuses qui multiplient les crimes. Cela est vrai à plus forte raison de la première de toutes les lois, la constitution , quand elle est vicieuse. Vous faites des lois rigoureuses contre la presse, et demeures confondu parce qu'elles sont impuissantes. G'^t que la constitution, comme il est naturel, a plus de force et d'au- ,torité que vos lois, et que le principe de vos lois n'est plus d'accord avec le principe de votre constitution. * Ayez une constitution légitime et vraie , qui rende à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César, au peuple ce qui est au peuple; qui définisse mieux les libertés, et mieux le pouvoir ; qui assigne plus exacte- ment aux premières leur but , au second , sa destination et son origine ; qui dise uni- formément du pouvoir et des libertés, ils seront stables et hors d'examen : qu'en même DB LA PIB8SB 15 temps votre constitution proclame un prin- cipe qui, bien loin de contrarier ce langtige , le confirme et. le justifie; un principe telle- ment favorable à la stabilité des droits de chacun, qu'il se confonde, pour ainsi parler, avec elle, et n'en puisse pas être séparé : c'est alors que le problème sera résolu , s'il peut Fêtre; c'est alors que si vous faites dés lois contre la discussion des choses mises hors de discussion, et des lois qui ne soient pas contraires à la discussion des choses lais- sées à la discussion, le principe de vos lois ne choquant plus le principe de votre cons- titution, vos lois cesseront d'être impuis- santes et inefficaces. Le plus grave inconvénient de la presse n'est pas d'exciter au changement; car il y a des situations d'états si malheureuses, qu'ils périraient s'ils ne changeaient pas. Tout ce qui est propre à hâter ce change- ment est alors utile et favorable. 2ft aUPlTBE !▼. Le grand vice et le plus dangereux incon- vénient de la presse, c'est qu'elle excite per- pétuellement au changement, et que^ lors- qu'on est sorti d'un état malheureux , elle y ramène. Mais dans toute constitution fondée sur le principe de la souveraineté populaire, c&mme il est de droit que le peuple y parle , il est de droit aussi que quiconque est du peuple lui puisse parler. Dans les autres constitutions, on peut ac- corder, favoriser > souffrir cette liberté j dans celle-là, on ne la peut pas refuser. Elle n'est pas cessible ni aliénable. On ne la concède pas; elle appartient.. On ne la ré- voquerait pas sans changer la constitution. Elle est de la constitution même, et de sa substance. On ne pourrait pas même l'altérer : car l'altérer, c'est la réduire; et qui larédnit, la fait autre; et qui la fait autre, la détruit. DE LA PBB8MK. 25 On est ou on n'est pas libre. Qui n'est pas pleinement libre ^ ne Test pas du tout. Il aura des cboses qui seraient de la liberté s'il était libre, mais qui ne le font pas libre , parce qu'elles ne suffisent pas à la liberté. Il sera fort paisible , fort riche » fort heu- reax, si vous le voulez; mais libre, il ne le sera point. Or qu'il vaille mieux être heu- reux que libre , ou libre qu'heureux , ce n'est pas de quoi il est question,. Si ce n'est pas son droit d'être pleinement libre , il n'a rien à dire. Mais si c'est son droit, que lui direz-vous ? Dans les autres constitutions, comme cette liberté n'est pas un droit fondamental, es- sentiel et préexistant, on l'accorde , ou on la refuse; et comme on est en droit de la refu- ser si on en a la volonté et la puissance , à plus forte raison peut-on ne l'accorder qu'a- vec des conditions et des restrictions. On y CVAVtVBB ▼. DE LÀ GUBEBB CITILB. Haniy i83a. Dans le combat livré sur le lanicule, un soldat de Pompée tua son frère qui combat- tait pour Cinna. Quand il Teut tué, il le reconnut , et détestant sa victoire , il s'en punit lui-même en s'dtant la vie (1). Voilà (i) Tacite, Eist.,\x9. 3, n* 5i. OB LA «OnBE GIVILB. M en ane seule action la plus vive image de la guerre civile. La guerre civile est donc un fléap , et un horrible fléau; qui oserait en douter?* Mais est-elle un crime? l'est-elle toujours, et pour qui Test-elle ? Hélas! elle l'est toujours; mais pas tou- jours des deux côtés à la fois » ni pour tout le monde. Elle ne devrait Têtre que du seul côté qui s tort; elle ne l'est» qu'on ait eu tort ou raison 9 qu'aux yeux du vainqueur » et dans la seule personne du vaincu. Un roi vaincu tombe au pouvoir de celui qui lai disputait la couronne. Prince coupa- ble I lui dit ce dernier... Il n'y a qu'une heure , répond le roi , qu'il a été décidé que ce n'est pas vous. La guerre civile est, à bien peu d'excep- tions près , inexcusable dans ceux qui atta- qnenty toutes les fois que ce qu'ils attaquent 30 CHAPITRE V. a ses fondemecs dans le droit , ou dans la longue possession qui en tient lieu (1). Quanta ceux qui*ne l'entrepreennnt que pour se défendre, il y a bien des distinc- tions à faire, et des exceptions. Je n'ai lu ■ nulle part que l'on condamnât les guerres de Sertorius ; et Pompée qui combattait con- tre lui , fit tuer Perpenna qui l'avait tué. Il semble que toute guerre civile entre- prise pour renverser ce qui est en vertu du droit ou de la longue posseslsion , étant cri- mitielle , ceux qui la font dans le sens con- traire, pour maintenir ce qui iest selon le droit ou la longue possession , ne remplis- sent en réalité qu'un devoir. Malheureuse- ment , il est plus facile de s'entendre sur ce qui fait la possession , que aur ce qui consti- tue le droit. (i) Fénélon. DE LA «IBKBE GITILB. Si Il semble aussi que ceux qui u'eutrepren- nent la guerre civile que pour obtenir des redressemens de griefs , qu'on peut faire redresser par d'autres moyens , allant à un but légitime par des voies qui ne lé sont point, se rendent» dans tous les cas, criminels. Mal- beurensement , il n'est pas toujours facile de bien jnger en quels temps ces griefs peu- vent être redressés par d'autres moyens. Qui avait tort de Sylia ou de Marins ? peut- être tous deux ; de Pompée ou de César ? peut-être tous deux ; d'Eiiménès ou d'Anti- gone? peut-être tous deux. Mais Gbarles tvait-il raison à Montihéry , contre Louis XI ; Coligny j à Meaux ou à Dreux , contre Henri III ; Mayenne, à Ivry, contre Henri IV; Montmorency , à Gastelnaudary , contre Loais XIII j le grand Coudé , à la porte Saint-Antoine , contre le grand roi ? Il ne fallait pas que Montmorency et Coudé fissent cette guerre! Sans doute; mais eux la fai- 32 CHAPITRE V. sant , fallait-il aussi que leurs adversaires s'en abstinssent 7 L'insurrection est~elle jamais an devoir, et un saint devoir 2 On a, dit en France » il y a quarante ans » qu'elle pouvait rêtre« On en pensait tout autrement dans le même pays antérieurement. Dans ce temps, il n'était permis de se révolter, pour aucune cause (1). Cette dernière opinion condamnait abso* » loment et indistinctement la guerre civile* Mais l'autre l'approuve et l'exalte , au moins dans de certains cas. Il ne reste plus qu'à rencontrer ces cas , et à les bien discerner : chose capitale , puisqu'il n'y va de rien moins quQ de toute «la différence qui existe entre une vertu héroïque et un forfait. De la révolte à la guerre civile il y a bien loin. La révolte est toujours coupable; mais de (i) àrréi dupaiiement de Paiti en i6i5. SI hk «UmiB €IfILB. Il la guerre civile , on n'en peut pas toujours dire autant. C'est que les changemens tentés par un petit nombre , contre la volonté d'un très-grand nombre 9 ne peuvent manquer d'être injustes, au moins relativement. La révolte a contre elle l'illégalité de la forme , et Tinjustice probable du fond. Le seul moyen pour elle de se faire absoudre , est de s'élever jusqu'à la guerre civile. Les suf- fin^ies alors se partagent plus également , et la multitude de ceux qui veulent les change- mens pour lesquels ils combattent , rend la justice de ces changemens plus probable , et moins certaine la justice de la résistance qu'on leur oppose. Montesquieu (1) ne comptait que deux sortes de guerres civiles en France : celles dent la religion avait été le prétexte, et celles qui n'avaient eu que la légèreté de (i) Grand, et die. des Roin^^ diap. x3. 1. S H CHAPnWB V. I quelques grands pour motif. Il ne songeait 4u'à la fronde et à la réforme. Jl oubliait les guerres des deux premières races , ati Ton combattait pour l'empire. Il oubliait aussi les guerres de Cliarles YII , et il n'avait pas vu pelle pti^e réunissaient deui: des plus grande intérêts qui pui^se^t eji^citer les peuples : J'enthousiasme de la fidélité politique^ et le fanatisme de la liberté. Eût - il égale- ment condamné la guerre dans les dcigi partis? * . Le monde a eu quelquefois d'étranges spectacle^. Quand des multitudes d'honmies ont été réduits en servitude, et qu'il ne leur est resté de leurs droits naturels qu'à peine celui de vivre , s'ils reprennent enfin con- « fiance en leur courage , et qu'ils invoquent le dieu de la guerre, quel crime est le leur? La loi politique les condamne ! Oui , celle du maître. Mais la loi naturelle les absout, et il ne leur manque que la yictoire pour ê DB LA 6UBB1IB CIVILE. S5 l'être même par la loi polî^qae. On a plaint, mais on n'a point bUmé les ilotes; on n'a point blâiné, on a admiré Spartacns. Des peuples entiers ont été quelquefois rëdiiitsv p^ur des catastrophes politiques où par la t^onquête , à un tel état d'abaissement et de sujétion, que leur condition ne diffé- rait guère de celle des esclaTès. Rejetés hdrs du droit politique pair les mépris , les exac- iioBS et les Tiolénces de leurs oppresseurs , on en a vu secouer le joug, et se réfugier dans le droit naturel, leur unique et dernier abri. Le malheur CMusait au moins leurré- Tolte , et les historieuB n^ont eu garde de la condamner i Laissons les temps modernes, et ne parlons même- ni de l'Irlande, ni de la Morée; mais la Messénie est admirée, et son Aristomène- est au rang des plus grands hommes de ^antiquité ; mais la guerre «o ^ ciale est vantée,. et Tacite lui-même a ho«- noré la mémoire de l'illustre veuve , reine 16 aUPITRB V. dépouillée i qui pienait au combat les Bre- tons soulevés conti«iles Romains (1). Ne peut-on proposer une hypothèse? Je suppose, comme il arriva par exemple en Angleterre au temps de Mathilde et d'É- tienne ; je suppose que , dans la querelle qui a allumé la guerre civile , le droit étant d'un côté , il y ait de l'autre quelque apparence de droit qui puisse faire illusion aux esprits, et avec cela une possession de quelque durée. Gens de passion et de politique, vous n'en condamnerez pas moins, je lésais; vous, gens de passion , vous direz : ma vengeance est juste, et vous vous laisserez aller à votre vengeance ;. vous , gens de calcul et de poli- tique, vous croirez affermir votre pouvoir, et effrayer ceux qui niéditeraicnt encore de le renverser. Mais vous , hommes de vraie justice et de plus réelle sagesse , vous qui savez que le sang appelle le sang, et qui ju- (i) Tacite, Jnn.f Ut. x4. DB LA «OBMB GIVILB. 37 gez d'ailleurs les acUoos plutôt pour ce qu'elles sont , que pour ce qui vous importe, qu'estimeriez-Tous de celle- ci» et de quel côté condamnerieZ'YOus ? Est*il si peu ex- cusable de défendre le droit qu'on a, si peu naturel d'essayer de se maintenir quand on est en possession? Il est juste encore de distinguer entre les causes pour lesquelles* on fait cette guerre , et la manière dont elle se fait. Ce qui produit la très-légitime horreur qu'elle inspirc> c'est d'abord que les mal- heureux qui. s'entretuent sont d'un même pays et d'un même sai^ ; et ensuite qu'elle se fait avec plus d'archamement et de téna- cité qu'aucune autre. EUe^est plus furieuse et plus implacable ; elle est plus difficile à discipliner et à terminer. Oui, elle est impie cette guerre ; mais c'est principalement par- là qu'elle Fest. Pour ce qui est de la cause , s'il est vrai S8 . CKAHnBt. qtt'il y en ait de justes, le reproche d'im- piété jaie leur revient point : justice et im- piété se repoussent. Tout liorrible qu'elle est, la guerre civile est quelquefois plus fâcheuse par elle-même que par le principe d'où elle procède. C'est un effet désastreux qui peut venir d'une heu- reuse cause.. Qn trouve souvent dans ce mal un symptôme dcWîiilité qui fait bien augu- rer des peuples qui en sont atteints. Mal- heur à ceux qui languissent dans la certitude d'être à l'abri de ce mal ! la vie leur manque. Les autres souffrent aussi » mais d'excès de vie*. . . . Une circonstance qui redouble l'hotreur de la guerre civile, est celle-ci : les deux partis prétendant que le droit est de leur côté^ et ayant d'ailleurs le plus grand. intérêt à faire croire qu'il&l^p croient, chaque honmie saisi est un prisonnier , chaque prisonnier un re- belle, et le carnage des champs de bataille se ' m LA COBMB dVlLB. SO prolonge après le combet sur les échafauds. Si c'était un étranger, on l'épiû^nerait ; mais parce qu'il n'est pas étranger, on l'égorgé. Son crime est manifeste : il est né sur la même terre que tous. Vous punissez de. mort pour votre sûreté, dites-vous! Oui; mais comme on sait que vous tuez encore après le combat, on s'opi- niàtre, on s'acharne, on ne se rend point. On vous fait acheter au double cette victoire qui sera souillée , et il vous faut donner plus de sang vous-même, parce que vous ne voujs contenterez pas d'en répandre sur le champ de bataille. Ce que vous faites pour votre sûreté est ce qui l'expose. Les malheurs que vous prodiguez retombent sur vous. Dans cette guerre , le sang est fécond , et la mort produit. Il sort des légions de ces cadavres et de ces ruines : ce sont les dents du dn^on. Le supplice de Montrose fit plus de royalistes en Ecosse, que n'en avaient fait ses succès (1). Le nom de Westermann est en exécration chez les Vendéens ; il de- vrait Têtre encore plus chez les soldats de Ja république. Ceux - ci ont payé cher ses # fureurs, plus cher encore que leurs en-^ nemis. Tai parlé de Montrose : qui condamnerai- Je, de lui ou de Leslie? Je ne sais; mais le sort de Montrose excite encore la pitié , et sa mémoire ne périra point. Qui condamnerai- je de Constantin ou des Polonais? Je ne sais; mais les Polonais se sont fait admirer et plaindre par leur constance et par leur courage. Qui condamnerai -je , de la Conven- tion ou de Bonchamp ? Je ne sais ; mais Bon- champ est resté illustre, et je ne vois nulle part personne de si renommé qui ne se con- tentât de sa gloire. Il y a donc toujours dans le monde des (i) LnroAED , tome ix ychap. i. DB LA «uns CffILK. ftl approbateurs pour toute guerre civile (1); et on en peut même citer qui ont eu tout le monde pour approbateur. En direz -vous autant de quelque autre crime? Citerez-vous des crimes dignes de ce nom, qui ne soient universel- lement condamnés de toute la terre? C'est donc un crime à part , et par conséquent un moindre crime ; un moindre crime , puisqu'il y a la honte de moins , et que les jugemens du monde y sont partagés : non pas moindre, assurément , plus grand au contraire , si vous en considérez les effets ; mais réellement et certainement moindre, si vous tenez compte du sentiment qui y porte , et de la droiture de ceux qui le provoquent ou y prennent part. Aussi la justice humaine a beau faire; elle a beau infliger des peines de même nature , la différence qu'elle refuse de reconnaître (i) jiliù pcssimum , aliis pulcherrimumf admis vî- àerttur. Tacitb , Ann. , liy. r, ch. 8. demeuré. rL'ignoiniiiie s'éloigoe de ses juge- menaet dQS6S;iiieurtres. L'éebafaud est pa*- reilyimais qoa le supplice. Elle tue, mais ne flétrit point ; si ce n'est qu'elle se flétrisse elle-mâme , par l'abus du droit de tuer, L'undi^ plus grands inconyéniens peut^tre des guerres.civiles , c'est d'être condamnées à vaincre.; car ce qu'elles ne détruisent pas» elles.le fortifient. C'est pourtant à quoi d'or- dinaire on pense le moins , et ce serait, à mon àTis,?à quoi il serait bon de songer le plus. Qu'y^a-t-il en effet déplus contraire au dessein qu'on a» que d'afferjoir ce dont on souhaite avec tant d'ardeur le renverse- ment? Si cette idée pénétrait aussi profondément qu'il sqrAife désirable, dans l'esprit de peux qui méditent de pareils, projets , elle aurait pour effet de n'en laisser en quelque sorte entreprendre l'exécution qu'à coup sûr. Elle rendrait ces guerres si rares, et en même DB tJL «UBBKB GITILB. k% temps si infaillibles, qu'elles perdraient une grande partie de l'horreur qui les accom- pagne. Le succès 9 presque toujours assuré, en serait plus prompt. La lutte, moins dou- tense et moins balancée, serait ou moins violente, ou moins long -temps violente. Elles n'auraient pas le temps d'acquérir la dorée , et de déployer la férocité qui en ont fait un fléau : tant il y a quelquefois de fé- condité et de puissance dans une vérité bien comprise ! DB LÀ NÉCESSITÉ PAE RAPPQET ▲ LA XD8TICB. Ebun, i83a. La nécessité est autre dans la politique, et autre dans la justice. On ne la conçoit qu'uniforme et régulière dans la J4istice ; on la concevrait plus aisé- ment diverse et irrégulière dans la politique. r OB Là ■iCBSSITÉ »AB EAPPÛBT A LA JUSTICE. 45 La nécessité dans la politique , c'est le sa- lut. Hais il y a le salât du gouyemement, et celui du peuple , lesquels ne sont pas tou- jours une même chose. Il s'est vu que le salut du gouvernement était la . ruine du peuple; il pourrait se voir que le salut du peuple fût la ruine du gouvernement. La nécessité n'est pas un principe de gou- vememLent : au contraire y elle est le principe des temps oh Ton sort du gouvernement; des temps oà le gouvernement proprement dit , le gouvernement régulier , autorisé , lé- gitime , ne suffit plus ou à lui-même ou au peuple. C'est le principe de l'extrême résis- tance et de l'extrême envahissement. C'est une tyrannie accidentelle i qui tend à se per- pétuer comme toutes les autres , et qui en a besoin. La nécessité l'a produite , et c'est en- suite une nouvelle nécessité pour elle de pro- longer sa durée. Telle nécessité qui paraîtrait légitime^ à CBAFIIBB VI. ne considérer que le temps où l'on s'y sou- mit» devient ipanifestement criminelle par l'autorîté qu'on lui attribue après qu'elle a cessè^ "Le plus sûr moyen de faire nier la néces- sité même pour le temps où elle exista , est d'agir . toujours comme si elle était quand elle n'!est .plus* . En accérdant même Texcuse de ia nèces* site > il reste encore à savoir comment cette nécessité est venue , :et par la faute de qui. Husieurs, 'qui agissent légitimement en tant qu'ib agissent par nécessité , agissent illégitimement néanmoins, en taiM qu'ils sont eoiupahles ,de la nécessité .qui les fait agir. * . Les moyens peuvent éli^ë nécessairesi pour le l^ut^ et le but n'être pas lui-même néces- saire. . ri :. • . il : n'y a de légitimement nécessaire que DE LA micMMni pam bavmat a la justice. «3 les moyens nécessaises ' d'un but légitime. Un gouvernement ^cieux .commet des ac» lions abusives, £t il; £aif voir elairenient qu'elles lui étaient nécessaires. Sans dt>ttte , eUes lui étaient nécessaires ^ à lui; mais était-il nécessaire au peuple d'avoir lingou- vemement vicieux 2 OrV pour (fujr était établi le gouveriiemedt? Pour lui-même y ou^ bien pour te peuple? De même un peuple en révolte commet des crimes qui étaient nécessaires à la ré- volte. J'entends bien; mais la révolte^ à qui étaient nécessaires les crimes , lui ^tait-'elle aussi nécéssaiie ? ^ ^ '> /) Toutefois v le champ de la politique est vaste, et s'oilvre à des' ^entreprises de toute nature. Ilya du bien ; il y a du maL SU ne sttflh pas ' qu'une actioh condamnable soit politique pour cesser d'être condamnablo^il ne suffit pas non plus qu'elle soit coaidam- nable pour cesser d'être politique. Elle sera 48 CBAPRBB TI. méchamment et criminellement politique, mais politique pourtant. Rien de tout cela ne peut se dire de la jus- tice. On dira d'un crime, d^unc violence , d'une injustice, qu'ils étaient politiques ; on ne les dira jamais justes. De quelque manière , et pour quelque cause que vous sortiez des règles de la jus- tice, c'est de la justice même que vous sor- tez; car les règles de la justice en sont les fondemens, les limites, les garanties, les conditions. * Qu'est-ce que la justice parmi les hommes? L'application d'une règle préexistante et connue à un fait prohibé et prouvé. Nulle autre chose, de quelque part qu'elle pro- vienne, n'est la justice , et dans la justice, toute chose qui n'est pas elle en est le con- traire. Malheur à qui ose dire d'une injuste con- damnation , qu'elle fut nécessaire I *i DB LA MUClSSnt PAS BAPPOBT A LA JUSTICE. 4Q Une ÎDJusto condamiiatioii est an crime. Gelai qui avone que ce crime lui fift néces'» saire i s'avoue coupable de ce crime ^ et des choses qui firent que ce crime lui fut néoes* saire. Il n'y a de nécessaire dans la justice qu'elle-même. Si vous eussiez interrogé Philippe II snr la eondamnation et sur le meurtre de son fils 5 que vous en eût-il dit? qu'ils lui étaient uéeesaaiFes. Sivous eussiez interrogé Pierre I^ sar la condamnation et sur le meurtre de son filSf que vous eût-il dit? qu'ils lui étaient nécessaires* Si vous eussiez interrogé Néron sar le meurtre de sa mère , que vous eât-*il dit? Séaèque»Sénèquelui-même serait venu, ainsi qu'il fit au sénat (l)«vou8 montrer que Tabominable forfait H&tait nécessaire. (i) PublicÀ fortunà exstinctam refereus.... Adverso ru- nore Seneca erat, quodoratione tali confesslonem scrip- sisset. «-*Tacit«, >tfiiit., \\y. iliyn, ii. 4 50 OUPITBB VI. Car de vous dire que ces parricides étaient justes» aucun d'eux ne Faurait osé» sachant bien qu'il n'y a pas de justice qui puisse en- trer dans le parricide. Carlos, Alexis, Agrippiue, voilà de ces merveilleuses choses que produit la néces- sité , quand on l'introduit dans la justice , ou plutôt quand on la met à sa place. Tout acte de justice s'explique et se jus- tifie par la justice. S'il lui faut autre chose , c'est qu'il est autre chose lui-même qu'un acte juste. S'il lui faut la nécessité , c'est donc que la justice ne lui suffit pas. Si la justice ne lui suffit pas, et qu'il soit question de spoliation et de violence Quel nom donnez- vous à la violence et à la spoliation que la justice et la loi n'autorisent point ? La nécessité I La nécessité de qui ? De la société, ou de vous-même? La nécessité de faire outrage à la majesté DE LA ViCEêSni PAB RAPPORT A LA JUSTICE. 51 des lois et de la justice, en couvrant témé- rairement de leur nom un fait de rapine ou de cruauté! La nécessité d'un premier crime par la violation des lois, et d'un second crime par l'abus effronté de leur puissance ! Pensea&-vous me faire douter du caractère de votre action, en alléguant qu'elle vous était nécessaire? Bien loin de là; vous le confirmez. La nécessité I c'est l'excuse de toute chose > qui n'a point d'excuse. G^est l'excuse des volenrs et des meurtriers : ils volent d'à*- bord , parce qu'ils ont besoin ; et ils tuent ensuite ceux qu'ib ont volés, toujours parce qu'ils ont besoin. Ils ont besoin de votre or pour vivre , et de votre vie pour que votre témoignage ne les fasse pas mourir. ■ Aux condamnations justes , le crime est sur l'accusé ) aux condamnations néces- saires , il est sur le j uge. cMAwnBM vn. DBS PBINBS PBEPBTUBLLBS. Ham, i83i. PERPiTUiTÉ I c'est la sentence de Dieu ! ■ Vous condamnez à perpétuité? vous! La vie de l'homme est perpétuelle , sans doute ! Parlez donc exactement 3 dites à vie. Con- damnez à la prison 9 jusqu'à ce que mort s'en- I DES PEIIIBS PERPinjBLLBfl. > 53 suive f comme autrefois quand vous faisiez pendre. Et alors on dira à vos geôliers ainsi qu'on dit au bourreau : fais vite. Mais Tëpondez*moi : un crime a été commis, et deux misérables y ont pris part. Quelle peine leur allez-vous infliger? une peine égale, n'est-ce pas? c'est fort bien. Cependant l'un des deux a conçu, résolu, préparé, suggéré le crime ; Vautre y a seu* lement aidé. K*y faites-vous pas de diffé- rence? — Non, la loi n'en fait pas : le com- plice du crime sera puni comme son auteur. — Cest fort bien. Et cette peine égalé enfin , quelle est- elle? — Les galères . -—A perpétuité ? — A perpétuité . — Pour l'un et pour l'autre? — Pour l'un et pour Vautre. — Attendu que la peine doit être égale , n'est-il pas vrai ? — Oui , parce que la peine doit être égale. — C'est fort bien. Mais ils sont d'âges inégaux. — Je ne puis rien à cela. — L'un n'a que vingt ans ; l'autre 54 I OUPITEB fIL en a soixante. — Je ne puis rien à cela. -^ Et celui qui en a soixante est Tiastig^ateur du crime. — Je ne puis rien à cela, -r*- Et Tinstigateur du crime est incomparablement plus coupable que le jeune insensé dont il a séduit et égaré Vinexpérience. -^ Je ne puis rien à cela. — Vous n'y pouvez rien» juste Dieu! Mais leplus coupable,qui vamourirtout à Theure, n^aura eu que quelques jours de galères, et le moins coupable, qui n'est qu'au commencement de sa vie, en aura^ de vos gar 1ères, durant cinquante ansi Et voilà ce que vous appelez des peines égales ! et voilà pour quelle égalité merveil- leuse vous condamnez uniformément à per- pétuité! Impuissance de la puissance de l'homme ! injustice de sa justice! ym. 1W BAN«ISI£MBlfT JUDICIAiaB. Yinoenncsy novembre i83a Madame de Staël a dit dn bannissement^ que» la mort exceptée , c'était la plus crnelle de tontes les peines. Madame de Staël a raison : ce langage ex- 56 CIUPITBB ¥111. prime à la fois une idée juste et un senti- ment généreux. Quand le bannissement est en effet une peine» c'est une peine excessive. Pour l'ac- cusé qui peut le subir et le ressentir, c'est un dhàtiment odieux et intolérable. Le bannissement n'est pas naturellement applicable à toutes sortes de crimes. Il ne l'est point, par exemple, aux crimes bas et communs que font commettre la mi- sère et l'oisiveté. Queperdraieat leurs auteurs à cbanger de lieu ? Tout pays est bon aux gens de rapine. Le bannissement n'est pas non plus ap- pli^^able à toutes sortes de personnes. Il faut être de quelque cbose dans l'État; il faut avoir une patrie et une famille; il faut posséder un foyer dans cette tùTte qu'on ne doit plus voir, pour ressentir toutes les 4ou«> leurs du bannissement. Aussi doit^on des éloges à la loi firançaise, DU BAmftSBHBST JUDICIAIRE. 57 Il importe beaucoup au contraire , pour ceux qui tiennent au sol par Taffection ctla possession, A l'égard de ceux-ci, je n'oserais al&nner ipie le bannissement perpétuel, par exemple , ûm fût pas , dans quelques circoU'- stances , pire que la mort (i). (i) Montaigne n'était pas de cet avis î nais Socrate en était. « Ce que Socrate feit sur sa fin, d'estimer une » senlente d^cxil pire qu^une sentence de mort contre soy, » jencjcrs^àmoQ^dvîi, jmvais.nysîeaMésyflîestroiete* > ment habitué en mon pais, que je le feisse. » Liv. 3 , ch. i)» 58 CBAPniB VIII. Mon esprit ne conçoit rien de plas rigou- reux que ce sentiment continu des privations < • de l'âme , cette séparation sans retour avec tout ce qu'on a , tout ce qu'on aime, tout ce qu'on connaît. Perte de la vie civile et de - la vie politi- que; perte des droits et des espérances ; perte des habitudes et des douceurs domes- tiques : la vie brute pour unique bien ! Rompre avec la vie «vaut de mourir » et ne voir d'autre terme à un tel malheur, qu'une triste mort y ignorée et abandonnée ! Mort, vous seriez, il est vrai, hors du monde ; mais vous n'en auriez pas les r^^ts. Banni , vous en avez les regrets , et êtes pour* tant hors du monde. Plutarque voulant consoler un riche ci- toyen de Sardes , qui était condamné à l'exil, lui proposait de bien étranges ai^^umens , et qui ne m'eussent, quant à moi , que médio- crement consolé : par exemple, que le DU IIAaillUSEMfilIT JUDICIAIRE. 50 monde entier est notre pays ; que la terre n*est autre nulle part; que la lune d'Athè- nes n'est pas meilleure que celle de Corin- the : qu'en racadëmie, qui n'était qu'un petit verger, Platon pi Xénocrate passaient tout le temps de leur vie ; qu'il n'y a point d'Ile qui n'ait une maison i un promenoir, une étuve, des poissons, des lièvres : que le banni peut aller durant la solennité des mystères , à Eleusine'; durant les bacchana- les, à Arg[Os; à Delphes, quand on célèbre les jeux pythiques ; à Corinthe , quand on célèbre les jeux isthmiens : que Thucydide écrivit son histoire en Thrace ; Xénophon , la sienne , en Elide : qu'aucune partie de la terre n'est éloi^foée d'une autre, vu que les mathématiciens prouvent, par raison, que le total d'icelle ne tient lieu que d'un point qui n'a nulle dimension dans le firma- ment. . • . Si ce sont là les meilleurs aigumens qu'oii 00 CHAPITRE VIII. puisse alléguer pour me réconcilier avec Tcxil , ai-je tort de persévérer dans mon aver- sion t Ce que dit Plutarque de plus judicieux , dans ce traité peu digfne, en général ^ d'un esprit si juste et si grave, c'est que le banni anquel il écrit , ayant conservé d'immenses richesses , ne laisserait pas de faire envie en- co;c, dans l'exil, à ceux des autres habitans de Sardes qui étaient dans la pauvreté j et que le sort d'un banni est fort supportable, I auquel, en lieu qu'il soit, ne défaut la « commodité des choses qui lui sont néces- f saires et agréables pour sa vie. » Sans doute , si le banni â de grands biens ; si sa famille , ses amis , ses trésors, le suivent, il ne lui restera plus à regretter que sa pa* trie , et celle-ci pourrait être dans un tel état d'hnmiliation et de désordre , qu'il se féli- cit&t presque de n'être pas témoin de ses malheurs. Mais le nombre de ces bannis DI7 BAJIIllflSEMElIT JUDICIAIRE. 01 privilégies Q*est pas grand » et pour les au- tres, les misères de rexil n'ont point de bornes. Sertoiius , victorieux et puissant , écrivait cependant à Pompée « qu'il aimerait mieux • être le moindre citoyen de Rome > qu'étant I banni de son pays , être appelé empereur i de tout le reste du monde (1). t Je ne m'étonne point qu'on eût mis en France la détention an^lessous du bannis- sèment (2). Quoique la privation de la liberté soit toujours une grande peine , il faut pour* tant considérer que la liberté n'ade prix que par son usage. Si elle ne consistait qu'à sortir à son gré de sa chambre ou de sa maison , on en jouirait sans doute dans un lieu d'exil. Mais qu'est-ce que la liberté réduite à la fa- culté de se mouvoir? Qu'est-ce que la liberté, sans le pays , les lois , la famille ? (i) Platarqne, Fie de Seriorius, (^) On a changé cela , en iSBi. os CH4P1TBE Vllf. La détention enlève le premier de ceg avan- tages; mais elle conserve les autres. On perd la faculté d'aller et d'agir; mais on est près des siens ^ on les voit encore, on reçoit leurs consolations et leurs soins > on n'est pas re*- tranché du peuple et de la famille. Quoique cela puisse choquer au premier aspect , . il est pourtant vrai qu'il y a moins de liberté réelle dans l'exil que dans la prison. Fran- çais, j'aimerais mieux être prisonnier en France que libre ailleurs et banni. Je di£fère beaucoup, sans contredit, et en beaucoup de points, de Montaigne; mais j*en diffère au moins bien certainement en ceci, que disant de grand cœur ainsi qu'il le fait : f Dieu chasse loin de Parijs nos divisions ! » je n'ajoute pas cependant avec lui : t Je ne suis Français que par cette grande cité (!)• » Non , certes ; et ce que je dis ne ressemble (i) Liv. 3, chap. 9. DO BASnlMEMElIT JODICUIRE. 05 gaëre à cela : je ne suis homme , moi , que par la France. * Je fais volontiers ainsi que Montaigne : i rembrasse un Polonais comme un Fran- i fais. V Mais je ne posipose pas t cette liai- I son nationale à Tuniverselle. i An con- traire , je postpose Funiverselle à la natio- nale. Autre chose est l'homme d'ailleurs , et autre chose l'État. Il y a dans cette peine du bannissement des circonstances qui lui sont propres , et qu'il ne faut pas négliger. Le bannissement est une peine moindre dans la jeunesse 9 et beaucoup plvs dure dans l'Age avancé. Outre les goûts changeans et aventureux du premier âge^ on y a aussi plus de facilité pour prendre de nouvelles mœurs. On a eu moins de temps pour s'attacher au pays qu'on quitte ; on en a beaucoup plus pour s'accoutumer à celui oà l'on se retire. On a si i M CHAPITBB VIU* * peu vécu chez soi , on peut s'arranger encore pour passer sa vie dans un autre lieu. Rien n'empêche qu'on y acquière un état et une famille. C'est le jeune plant qui jette facile- ment ses racines dans le nouveau sol où il a été transplanté. Dans la vieillesse > il n'est plus temps. On a SA vie faite au pays d^où l'on sort; celui où. l'on va y reste étranger ^ quoi qu'on fasse , jusqu'au dernier jour. On ne recommence pas une vie quand elle a fait tant de pro- grès. Les vieux hommes et les vieux chênes n'ont plus qu'à languir et à mourir quand on les transplante. Entre le vieillard et l'homme jeune , la peine serait inégale^si elle était d'égale durée. Il faut qu'elle soit d'une plus courte durée pour ceux qui ont vieilli. L'homme aime à retourner à son berceau pour mourir. Il y aurait une extrême dureté à contrariar cet instinct ; la nécessité seule DO BAHnmeifElIT JDDICIAULE. <{j& en peut donner te droit. Mais ces cas sont rares. Que peut un vieillard qui vient de- mander un tombeau ? C'est à quoi je voudrais songer si je fai- sais une loi de bannissement; encore plus, si je rappliquais. »• A- DE LÀ CONFISCATION. Ham, i83a. Dans un État où il y a encore de grandes familles, et de grandes fortunes qui sont en la possession de ces familles, la confiscation est une peine politique , peut-être même la plus politique des peines* DB iék OOWUQATlOSr. ^ Dans les autrea^tats, ce n'est qu'une peiae simple, et où la nnlitiaue n'entre pour riea. iml La confiscation , dans le pivmier, détruit l'existence politique de toute une raee. EUe lui 6te toute sapéiiorité et toute influence; elle étouffe tous ces projets d'ambition et de ▼engeance que se lèguent les générations; elle assure le pnnee et l'État: le prince , contre des ennemis dangereux ; l'Ëtat^ contre les désordres ifu'ils auraient in£aillible«ient suscités. On a frappé le coupable dans sa peiBonne, pour punir le crime^ on le frappe encore ^ns ses biens ^ pour ériter que des erioMS pareils soient essayés par les héri-^ tiers de son injure et de sa puissance. La mort n'eût tué que l'homme; )a con- fiseation efface la race. C'est d'ailleurs une grave peine, là oti il y a des ordres, des classes , des castes. Lft où l'État est constitué de telle sorte , qu'on se M • CB4PITBB IX. fait gloire d'être hors du peuple , c'est une grave peine d'être àétu^aàè, soi et les siens , et relégué par l'indigence dans le peuple. Mais où tout est peuple, l'effet est bien différent. Où tout est peuple , la possession :des biens n'en fait pas sortir ; la perte des biens n'y fait pas rentrer. S'il s'est agi d'un attentat politique^ il restera toujours aux races frappées , ne fût-ce que par l'illustra- 'é tion même de leur crime , plus de ressources et de facultés qu'il n'est nécessaire dans un tel pays , pour remplir les conditions de la vie publique , et se faire rouvrir la barrière. Vous eussiez voulu une peine politique» puis- que .le crime l'était : la confiscation ne la fournit plus. Un peu moins de luxe dans la famille , un peu plus de privations et de gêne , voiU à quoi se réduit pour elle la condamnation. On voit bien que la politique n'a rien à ga- gner à cela. DE LA GOliriSGÂTlO^. 00 Il n'y a pins de puissance perdue dans la confiscation; il n'y a que de l'argent. . Il semble qu'on n'ait aboli de nos jours, la confiscation que par un souvenir confus et irréfléchi d'un temps dont celui-ci n'est pas même l'ombre. On s'est voulu ménager des garanties contre les spoliatioj^s dont la confiscation était le moyen» contre les con- dananationa dont la confijiscation était le mo- tif. On oubliait qu'il n'y avait plus de dé-r ponilles assez belles, et qui valussent un, tel crime : c'était un anachronisme de peur. Quelques siècles plus t Ot, passe encore . Alors en effet , il eût été bon d'abolir la confisca-^. tion. Bon pour les grands, je m'explique ;> car on eût préservé par^là leur famille, et de plus, on les eût quelqtiefois préseryési .eu3^-7 mêmes , puisqu'il n^étaftt paf.sanl <^]iemple que la jalousie et la convoitise «dc^.^if^ xkh chesses eussent été le plus sérieux fond£rv ment de l'accusation. 7a cBânnui ix^ Quelle est donc la raison actuelle et ayouée de rabolition ? Le désir d'éviter que Tinno- ceut soaffre avec le coupable ; de bor&er la peine à celui qui l'a méritée ; d'empëelier que le fils^ qui ne doit pas être frappé , le soit avec son pire, qui doit Vêtre ? S*il est ainsi, que faites-voqs de toute vo- tre justice? Croyen-^vous avoir si bien dis-- sous la famille, qu'il ne reste plus rien, de la solidarité d^intérêts, d'boimeur et de condition que la nature, la société, lesmiÊurSy. vos lois elles-mêmes lui ont imposée? PDur-« quoi séquestrez-vous les biens de ee contu^- mace? Pôurqïioi faites**voas payer sa con*. damnation tnême à ce condamné? pourquoi à ^on père? ponrquoi à son 61s ? Pourquoi vos amendes, qui réduiront et absorberont peut-ètM le patrimoine? Pourquoi la prîso» de'cetkomme dont les enfans ne vivaient que de son travail ? Pourquoi cette mort ct^ vile qui fait, ce qui n'a pas de nom ni de DB fJL «OHriKATion. 7i iensf dm t euvM qui ont uâ mari , des «avis dont les femnoM ne sont pins îta ]p^H ? Poiu^ quoi cette interdiction dont l'effet est tel que des familles entières ne peuvent touchera <^e quiest àellesl JPonI^q et qui pourtant ne se las- sait pas d'obliger; qu'il ne pardonnait à personne , et qui toutefois passait sa vie à solliciter pour ses ennemis ; qu'il avait amassé des richesses , et qui d^ns la vérité ne vivaft que du légitime salaire de ses ser* vices et de ses travaux. Cet homme était d'un pays où les lois ia^ terdisaient la confiscation. La constitution l'interdisait eUednéme, et des gens fort scru- puleux sur les sermons d'autrui>avaîent juré solennellement et à plusieurs fois 4'^li^x &dèles à cette constitution. Un événemtent vint qui changea pourtant quelque chose à cette constitution; mais bien DB LA COVDGftnOH. 79 loin d'avoir rétabli la confiscatioa abolie, cet èvéoement en avait fait confirmer et renoo- vclerl'; Et tous ceux qui avaient pris part à Tévè- nement, jurèrent de nonreau d'obéir à l'acte qui abolissait la confiscation. Mais quelques mois écoulés, les mêmes bommes dépouillèrent l'autre bomme des cboses dont il vivait, qu'il avait acquises à la sueur de son front, et dont la possession lui était garantie par des lois formelles. Vous croyez qu'il s'en est étonné? Nulle- ment. Vous croyez qu'il s'en plaint? Au con- traire : il remercie les spoliateurs d'avoir eu l'ingénuité de se montrer , ainsi qu'ils sont , injustes, déloyaux et inconséquens. Il lai en coâte quelque chose ; mais il a la preuve de leur onépris pour les lois , et que ce n'était pat sans sujet qn'il s'étai* élevé contre leur hypocrite ambition. 70 oumsB IX. Et peut-être vous persuadez-vous que cet exemple ait été le seul ! Non certes ; il y en a eu d'autres , et en grand nombre. La confiscation , est dans le fait ; l'interdiction de la confiscation dans le droit. L'inverse vous plairait peut-être mieux ; je dis comme vous. Ceux qui confisquent; quand la constitu- tion le leur a permis , que peut-on leur dire? G'estle droitde leur temps : ils n'auront point dérobé. Mais ceux qui confisquent en dépit de la constitution qui le leur défend, que répondront-ils, s'il s'élève une voix qui leur dise : Allez à ma gaucbe, car vous avez re- tenu le bien d'autrui ? On a demandé , que sont les lois sans les mœurs? Et moi je demande, que servent les lois sans les hommes? Lesquels direz-vous? Apparemment ceux qui, voulant que les lob obligent les autres, ne refusent pas de s'y reconnaître obligés. DB LA PBINK Dti MORT. Vincennes, novembre i83o. IB n'imagine rien ie si odieux que l'abus des peines; à plus forte raison^ Pabus de la peine de mort. Ce sont autant de crimes que l'on commet en haine du crime. Puisque je ne parle que de Tabus , on ▼oit assez que je ne m'élève pas absolument 7S CHAPRBE X. contre l'usage. C'est qae je reconnais qu'il peut y avoir de tristes nécessités qui l'exi- gent, et qu'à mon avis, ce que la nécessité , la vraie nécessité, exige des peuples, cons- titue pour eux un droit positif. Noble et séduisante opinion que celle qui conteste à la société le droit de mort sur ses citoyens ! Je me seira en révolte contre mon esprit pour le refus qu'il fait de la partager^ Mais c'est un refus réfléchi > il faut se sou^- mettre. Voyons oti tend cette opinion. Pourquoi ne serait-il pas vrai que l'homme eût pu engager ^a vie à la société ? Parce que la vie ne lui venant pas de la société , mais de la. MiurCf ii n# peut U Mndro fu'à la fiat«re|««tYon à la Bodiéiél Mais ki liberté lui vient aussi de la mtiure : A a'auradMii pas engagé non pl«s sa Ubilrté. Vkm il aae fiuit « plus le c ni honte , et qu'au bout du compte il n'est ques- tion pour lui que de mourir : Parce que le peuple en porte le même ju* gement que lui , et ne trouve rien en cela qui lui doive inspirer autre chose que de la pitié ; si ce n'est toutefois votre vengeatice lâchement travestie en justice, laquelle ne tardera guère à lui faire horreur : Parce que enfin ceux que vous appelez ses complices , ne le sentant point criminel , et ne pouvant dire : c'est juste, diront seule- ment : c'est l&che et atroce; ils se sont ven- gés ; nous nous vetogerons ! Un homme connu a dit récemment : Si l'on eût étouffe César au berceau , Rome n'eût pas cessé d'être libre. DE LA PBUUC DE MOET, 01 C'était aller bien avant : c'était prendre la mort comme moyen préventif y pour jus- tifier la mort comme moyen de répreasion ! Bien n'est d'ailleurs moins vrai que ce mot. La liberté de Ronus avait péri sous Itfa- rins et Sylla. S'il en eût resté qurique chose après eux y croit-on qu'il n'eût pas suffi de Pompée? Croit-on que César écarté $ il ne se fût présenté personne pour recueillir l'héri- tage de Marins (1)7 Rome n'était pas alors si dépourvue de factieux. Sa liberté était au premier occupant. A quoi sert le sang? Le sang de Pompée est retombé sur César; celui de César sur Brutus; celui de Brutus sur Antoine. Il n'y a qu'Auguste qui ait survécu, mais en par- donnant. (i) < Si César et Pompée avaient pensé comme Caton, • d*antreB auraient pensé comme firent César et Pompée, > et la république destinée à périr aurait été entraînée au 9 précipice par une autre main. » Montesquieu, Grand, etdicad. des Aom.ychap. ii. n 98 GflAPlTKE X. . « Vous la craignez vivante , dit l'un des f personnages de Schiller? Ah! craignez-la ». surtout quand elle ne sera plus ; c'est alors n qu'elle sera vraiment redoutable. Elle re- f nattra de son tombeau , comme la déesse f de la discorde , comme l'esprit de la ven- « geance, pour détourner de vous le cœur I des peuples ! » OBAVinB XI. DBS JUGES. Hain , i83i On 8e trayaiUe pour imaginer des combi- naisons de justice qui produisent des tri- bunaux incorruptibles et indépendans. Ce serait une grande et généreuse pensée ; mais dans la plupart de ceux qui Texprimeut lœ cHAPins XI. elle n'a que les apparences de ce caractère , et point la réalité. Car il en est bien peu de ces gens , qui cherchent sincèrement des juges à indépen- dance réelle et parfaite ; il en est bien peu aux yeux de qui il soit question d'autre chose que d'une indépendance relative, et qui leur profite. Chacun stipule pour soi. Celui-ci, qui ne rêve que pouvoir et obéissance , entend par l'indépendance du juge celle seulement qui l'encourage à mépriser les opinions et les passions populaires : pour lui, le juge indé- pendant n'est que celui qui condamne. Cet autre , qui ne se préoccupe que des intérêts de la liberté , entend par l'indépen- dance du jbge celle seulement qui le porte à mépriser les menaces et les faveurs des gon*- vememens : pour lui , le juge indépendant n'est que celui qui absout. La \vsie indépendance me serait ni l'une 1« ni TantM de cm choses » et ite comprendrait toutes denx. Elle fsrmenit indistincteiient roreilk du juge mnx reproches et om flat^ teries do .peuple et du prince. Elle ne hii laisserait craindre d'autre péril que Terreur, et ne loi permettrait d'autre espérance que la Técité. La waie indépendance est pour-^' tant de la dépendance : elle est d'être dé* pendajit de la loi ; mais de ne l'âtce que d'elle. ' Mais oà se Toît une si rare menreille l Que de lumières il faut , et d'attentieii f et de va- lonté , pour se dérober , dans ks jugemens , à l'influence des opinions extérieures doat onestperpétuellementassailliet circonvenul Quelle pureté d'ftme, et quelle exquise ja- lousie de sa dignité , pour résister invuria^ bfement fiux allèchemens de la popularité et de la faveur» aux dommageables dégoûts de l'impopularité et de la disgr&ce 1 Quelle puis- sauce d'esprit » pour ne pas céder i l'entrai^ 103 CHAPITRE XI. 9 nement du temps oti Ton juge; pour n'ou- jblier ni ne mettre en doute que la Justice et la vérité ne sont pas choses d'un jour, et que toute chose qui ne doit pas être toujours vraie et juste , ne Test jamais ! Et quand vous auriez rencontré cet homme étrange et surnaturel qui n'est nulle part , de quoi vous servirait votre découverte, puis- qu'il ne saurait juger seul, et que ce n'est pas uniquement d'un prodige qu'il serait ques- tion , mais d'un assemblage et d'une succes- sion de prodiges? Plus l'accusation intéresse le prince, ou soulève les passions populaires, moins il est facile que le juge reste indépendant. C'est où se trouvent la plus grande difficulté et le plus grand péril des jugemens politiques. De la justice politique , j'ai presque peur qu'il n'y en ait point. Il y a là je ne sais quel accouplement de choses , monstrueux et con- tre nature. Ou la politique étouffe la justioe. DU JVCBSb tOS OU la justice la politique. Plus la justice au- rait d'importance et d'effet^ moins elle est facile, moins on l'obtient . Que n'a-t«on pas essayé sous ce frivole et décevant prétexte d'impartialité et d'in- dépendance? Que n'a*t^Ki pas entrepris pour avoir des jugemens libres , tantôt de l'influence des grands ou du peuple , tantôt de l'ascendant des gouvernemens? Des com- missions, des chambres de tournelle, de hautes-cours nationales, une cour des pairs, le jury , que sais*je encore l Dieu me garde de comparer les parlemens aux commissions, institutions ennemies (1 ) ! Mais la cour des pairs, l'assimilerai-je au jury? (i) Dans le procès da duc de LavalleUe, lequel fut fait (chose inouïe) au conseil inéme du roi Louis XIII , les* présidens et le doyen du parlement de Paris furent appelés et eurent séance. Les présidens de Nesmond « Séguier et de Bellièvre et le doyen Pinon, remon- frétait a^ec fermeté que le jugement ne pouvait avoir iùfk GBâPITBB U. Oni» disent agtéablemdnt quelques-uns; caries jurés sont les pairs du peuple, comme les pairs , les jurés de ceux qui tombent sous leur justice. C'est, dans les deux cas, la même merveille , le même effort de génie y la combinaison l(pplus favorable et la plus parfaite ; c'est dans les deux cas (compreneft lieu en cette forme , et qa'il le fallait renvoyer au parle- ment. à L'assemblée s'étaitt sépaifée, messieurs du parlement » forent rappelés , et le roi leur dit qu'il était fort indigné » contre eux , et qu'il voulait bien qu'ils sussent que tous « ceux qui soutenaient qu'il ne pôUTail pas ftdre fUre le » procès à ses sujets qui l'auraient offensé , par telles per- « > sonnes que bon lui semblerait , qu*ils étaient indignes » de posséder leurs charges. » [Mémoires ^ Orner Talon, tome Z| pag. 190.). IVIalbeureusement le roi avait un motif fort plausible pour le croire ainsi. En ik^Sy Jorsqu'il fut question de ûdre le procès au duc d'>Uençon , Charles Vn fit con- sulter le parlement par Jean Tudert, son conseiller et ioaaitre des requêtes de son hôtel. « Et il fut répondu » qu'il était au pouvoir du roi de lui f aire dire son procès » en telle manièrb et par tels juges que bon lui semblerait.* Au moins est-ce en ces termes quele chancelier Michel de Marillac rapporta la réponse du parlement, quand il DU l««Hb tV^ et glorifiez-Yous) , le jiig€ti|ient de Paocasé par Mg pairs t Dérision , dérision ; misérable abus de l'es- prit! Esfc-ee que les pairs ne jugent pas fré- quemment les hommes du peuple » lesquels ne sont pas leurs pairs 7 Est-ce que » soumis Tun et l'antre à des influences toutes puissantes, le jury et la cour des pairs ne le sont pas d'habitude à ▼ooliit r^MMidre hu-mimey dam le procès du duc de LaTallette ^ux objections qae faisait le premier président, Jean BocharL J'Ui bien quelques doutes mt rezactitade dm cban- cclier; car le président H^ault donne un tour fort différent à cette réponse du Parlement de Paris. Il eût fallu que je passe consulter du Tillet Bu Tillèt n*est pas â Uam 9 comme on peii^. Quand on Toulut juger le maréchal de Marillac , « le • Parlement de Paris s'opposa à la procédure , faisant » délmscs aux juges de passer outre jusqu'à ce que re« » montrances seraient faites au roi de ce qu'il le tirait do > Parlement et lui donnait des commissaires. • Mémoires du cardinal de Richeiieu , t 7, page 71. 106 OUPITIIK XI. de» influenccis opposées , savoir : le j ury à celle du peuple ; la cour des pairs à celle du gouvetnement? Est-ce que la toute-puissance du jury s'é- tend plus loin que le fait? Est-ce que la toute-puissance des pairs connaît des limi- tes, et n'envahit pas jusqu'au droit? Le jugement par ses pairs! Absurbe confu- sion de temps et de choses! Si vous y cherchez une garantie, pardonnez-moi, j'ai pitié de vous. Le jugement par ses pairs est une institu- tion féodale, je vous en avertis. Ce ne fut pas une pensée de justice et d'indépen- dance juridique, mais d'indépendance po- litique et d'orgueil. On ne voulait pas s'a- baisser devant de moindres que soi; on ue voulait plus, dédaigneux vassal, se sou- mettre au juge commis par son suzerain. Ce fut la conquête d'un pouvoir rivai. La justice proprement dite y était pour peu de DBft JUfiEft. 107 chose, et la liberté du peuple pour ïieo. L'homme qu'on accuse n'a point de pair pendant qu'on l'accuse. Or, c'est de ce temps qu'il est question. L'homme qu'on accuse est , au moins ac- tuellement, l'inférieur de tout le monde , et dans tout le monde, il n'y a personne à qui il soit plus inférieur qu'à celui qui le juge, en quelque rang que vous l'ayez pris. Etonnante idée, qu'un malheureux aille en- core de pair avec ceux qui ont droit de vie et de mort sur lui , et qui exercent ce droit ! L'homme qu'on accuse est seul, d'un côté, avec les humiliations, les périls et les ter- reurs de sa condition. De l'autre côté , est é l'homme qui juge, avec la société entière derrière lui, et en son cœur un vif sentiment de sécurité, de puissance, peut-être d'or- gueil. Quelle parité prétendez-vous que je trouve entre ces deux hommes ? C'est par la loi , et par la loi seule , si 106 cauranuE ». elle est favorable à l'accusé , que peut s'éta- blir quelque équilibre. Faites donc qu'elle s'exécute , cette loi; faites, c'est-à-dire, que le juge ait delà science, du désintéressement, de la fermeté. Il n'y a que cela quHmporte ; le reste , e'est^*dire la condition civile de l'homme qui juge , n'est rien : car ce n'est pas cette condition qui le fait juste. Plus vous ètez à l'aecnsé, plus s'étend la dUpariié qu'établit l'accusation même entre lui ejt ceux qui le jugent. Or , s'il a encore quelque chose à lui , l'accusé , ce n'est que la loi. Ne lui donnez donc pas des juges dont la condition les élève au-dessut d'elle; on si vous les donnez , que me pariez-vous d'égalité et de paritél Que puis*je voir antre chose , si ce n'est l'impuissance absolue , aux prises avec l'absolue puissance? Vienne l'impuissance, disant : je n'ai point failli ; vos preuves n'ont rien prouvé, contre moi ; vos propres lois vous défendent de me con- 100 damner : la paissance viendra à son tonr , f ni répondra d'utilité » de nécessité, de vo« lonté , de raison d'état. Et il y aura un arrêt de mort, parce que tel auxa été l'intérêt oa le ]>on plaisir de la puissance. Lm pairs d'un accusé, bon Dieu! où sont* ils, s'il est innocent} et s'il est coupable, où sont-ik } Une cour depairsl Qu'une telle cour soit un rentable tribunal de justice, cela est difficilej qu'elle soit un bon tribonal de justice, cela est imposible. Les lumières ne lui manquent pas apparemment, ni la fidélité, ni la loyauté. Non, ce ne sont pas là les choses qui luiman* quant; je m'en fiûs garant. Ce qui lui manque, c'est de n'aroir pas moins qu'elle n'a , et de n'être pas inférieure à ce qu'elle est. Elle est cour et chambre, voilà le défaut ; et plus es« sentiellement et habituellement chambre que cour, voilà le vice et l'obstacle. Oiambre , elle a la prérogative de faire des 110 cMàpmm XI. lois. Or, qui s'est accoutumé k faire la loi plie difficilement son orgueil à Tliumble et docile office de l'appliquer. La loi appli* quée ! il n'y a pourtant pas d'autre justice. Chambre, elle a en elle une majorité toute faite, que des conyictions du des engagemens antérieurs lient invinciblement à toutes les entreprises du ministère régnant. Or, ces engagemens ne se rompent point dans la passagère transformation de la chambre en cour. Et comme c'est le ministère qui ac- cuse, c'est-à-dire la majorité dont il n'est que l'expression, l'accusation intentée, on pour- rait dire à l'instant même le nombre de voix qui s'élèveront pour la confirmer. La sen- tence ne sera pas un vrai jugement. Le juge- ment préexiste : il aura précédé l'examen et la défense; la sentence ne servira qu'à le dé- clarer. Mais a-t-elle au moins une juridiction cer- taine, infaillible et invariable, cette cour. DU JCWBft. lit tellement qu'elle procède toujours quand la la loi le veut, et jamais que par volonté de la loi? Au contraire : un ou deux cas exceptés, c'est par l'impulsion d' autrui qu'elle agit; c'est de par l'ordre du prince qu'elle exerpe sa juridiction; c'est selon l'arbitraire et chan- geante volonté de quelques hommes, qu'elle juge ou qu'elle s'abstient de juger. Quelle différence donc y a-t-il entre les commissions d'autrefois et elle? Ohl une prodigieuse dif- lèrence ^ une différence immense et impos- sible à mesurer.... dans les mots. Une cour des pairs n'est point une commission. Non, sans doute; car sa composition est à peu près pernpianeute. Seulement , elle juge par commission. Mais ne s'est-il pas rencontré des cas où. sa composition avait été altérée, profondément altérée même , depuis l'accusation et à cause d'elle? Oh! pour ce cas, car il n'y en a pas eu deux, que je sache, la chose est maU lia cflAi>nrms u. h la jostice, j'os«rai bien en décider seul : rien ne lui est plus étranger et antipathiqpie. Un corps politique est nécessairement un . mauvais corps de justice , et s'il est question d'accusations politiques , le plus mauvaiis. Car il n'y a point de moyen terme pour lui : il favorise l'administration ou la contrarie^ il est peur elle, ou il est dans ropposition. S'il est en opposition, nulle condamnation n'est possible; s'il est au système qui prévaut^ nulle absolution. Or, il est de la nature même d'un vrai tribunal de justice que l'une et l'autre de ces cboses y soient toujours pos- sibles ;*car en toute accusation non jugée, il est toujours légalement incertain s'il y aura Ken d'absoudre ou de condamner. ohl je sais pertinemment et patfaitement qu'il ne l'est pas. Il intëlTogera, détibét*era, prononcera et fera mourir^ ee n'est pas ce que je con- teste. Je ie prévois aisément , qu'ii fera mou- rir ; mais justice , il ne la lera point j ma» loyale, sinoère, légitime et irréprochable fustice , il ne la fera point. Mandataire de Taccniateur , et par ^conséquent de son en* 116 CBAPimE 11! nemiy l'accusé ne peut voir en lui que son ennemi. Et le peuple dira comme Taccusé : juge et partie, nul ne peut l'être. Qui voulez^vous qu'un ministre de prince choisisse et commette? Un commissaire-qui le condamne lui-même , en absolvant l'ac- cusé ? Il ne le choisira donc que pour con- damner; il ne le choisira que parce qu'il condamnera. Jugement par commission , condamnation avant jugement, 11 y a aussi deux notables inconvéniens dans le jury : ne puis-je les dire? La sentence por- tée , il se dissout j se confond, se perd daus le monde . Il a été exactement le te mps qu'il f allai pour prononcer mort ou. liberté; 'après quoi, la fatale parole entendue , chercheab-le , il a cessé d'être. Le juré n'a pas, comme le juge, un titre permanent et extérieur qui rappelle- rait perpétuellement la participation qu'il aurait eue à l'iniquité. Il n'avait pas , comme le j uge , un devoir rigoureux . et antérieur , DBS MCMê* 117 qui l'eût obligé à de sévères études ,* aûn de se rendre , autant que cela est possible à rhomme, infaillible. Il n'est pas responsa- ble de l'absolution en-vers le pouvoir; cela est vrai : mais il n'est pas responsable uon plus de la condamnation envers le peuple. Oà le saisirait 9 et comment s'exercerait cette utile et regrettable responsabilité ? L'autre inconvénient est que le jury juge sans guide et sans règle. Il lie et délie ; cber- eberez-vous pourquoi? Ne le lui demandez point; il est dispensé de vous le dire. Il re- tient ou délivre; en ignorez-vous le motif? Adressez-vous à to'ut autre ; car pour lui il n'est pas même obligé de )e savoir. Sa con- science, dit-on..... Ob! j'entends: vous me livrez à la conscience du premier venu. Mais est-elle libre , pure » intelligente , cette con- science ? Et si la mienne est nette et sans faute, est-il bien rassurant pour elle d'être mi8<\ à la merci d'une autre conscience prise SI8^ ouMniB xr. au hasard , qil» en pourra faire à sa volonté , et à qui personne suc terre ne demandera* compte de rien ? Qui supporterait» dans les intérâts les plus^ médiocres , l'arrogante et insensée réponse de qui dirait : La chose est ainsi , parce que jelecrois.-<-]|iais^aunom du ciel! pourquoi le crois-tu? Explique-moi tes raisons » afin, que je lasse comme toi» et que je croie. Or» il n'y a dejustice que ceHeen qui les^ peuples ont foi. Heureux le eondamné» même^ en son malheur» si la voix du peuple pro* nonce aotreoMnt que celle du juge I Dite»- lui donc vos raisons à ce' peuple , afin que » voyant pourquoi vous avee condamné» il puisse dire à son tour .; o'est bien cmi- damné. On a voulu voir je ne sais quel avantage dans cet arbitraire mystérieux et aveugle. De l'avantage! Eh! lequel, bon Dieu? De L'avantage dans l'arbitraire exercé etv fait IIBS.J«SBfci 110 d'koBMttr efc ds mort ! Je eherdift en quoi peu* ooBsâstér rofpressioo, et |e ne trouve pas autre chose. Ou le jurf pnofitera deoet atbitimire peur absottdffe au mèfris: des, lois et des pr^^uvea» et il aujna.téméFaîrémiMl usuiipé J» droit de^ giiee , et A aura Cait à la SMiété peiitê|i«: un grand donuMge^ Ou il en. abusera pour condamner saiis preuves , et CMutre les preuves } et que tom* iesienb4*-ilf al^rsr de 'séouritë ^t de . tibenté î Prêtes r«reîlle au laagage lialiilu<^ dto«etii|: fui ponrsMYent. Em quelle occasiori mftnr^ qiient«ils de vappefev ausfurésque la loi ne* leur demande pas compte des* motifc.qiUlm portent ^ prononoty dea eeiidaiMK9tiOfl$> ] El pourquoi ce langage, si ce n'est qu'ils;. Ik eieîent propre àfdétenminea en effet^d^S'C^u- damnatijM^ l Mo^t-iJrmai ». e( eetle p et que la faiblesse de l'homme * supplée au vice de l'iustitutimi. Ils ne le font pas, mais ils le peuvent. Edt^ce donc si peu, qu'ils le puissent? Bien des gens prennent le jury pour une garantie "politique. Non , non ; eUe n'est pas naturellement en lui , cette garantie. EUe serait plutôt , et uniquement dans sa for- mation. Dans sa formation! eKI de quel tri- bunal de justice n'en pourrait-on pas dire autant? « *" •- Pour moi, je ne puis songer sans frémir' aux jugemens de Jeftrfe» , qni àe jugeait -oe^ pendant qu'avec. un jury. ierMUgt^oBifté^f a missant à Ëlisabeth^et à Marîe^iintxiihfitte:, DBS JO«ES. 121 et je dis : voyez qu'il se trouva un jury pour les faire liller à la mort. Tout dépend du temps et quelquefois même du lieu. Les accusations politiques sont y se- lon les temps et le lieu , plus ou moins dan- gereoflies devant un jury, ou devant des juges. Accusé par un gouvernement puissant y je voudrais des juges ; par un gouvernement fai- ble y je préférerais un jury. Les juges ont encore plus de ce qui est nécessaire pour résister aux tyranniques poursuites d'un gouvernement trop puis- sant; encore plus de ce qui est nécessaire pour ne pas abuser de l'abaissement d'un gouvernement faible ; encore plus de ce qui est nécessaire pour refuser ans factions victorieuses lé sang dont elles ont soif. Si j'étais chargé de choisir des garanties , j'en voudrais trouver qui me garantissent de V influence des gouvernemens puissans y et de l'impatiente cruauté des factions. 192 CHAVRSHUi. Mais il y a d69 pré^ngis de oations et de siècles. Ménageons -les pendant qu'ils, ont coiUDS. It ne sérail; pas sege de disputer avec eu^ieer rien Ae ee qui est iautUe, n'est: sage. QVAtnifemvi' DD BÀNAISSKIIBRT POLITIQ0«. Yincennes, noTembre \8^o. Lis jvgeaens ne sont que PappHeation d'une loi antérieure , à un liit postérieur et ▼érifié. Les jugenens dépendent donc toujours de la Ici* 124 , CHAPITBB tXII. Ils ne peuvent être rendus qu'autant que la loi préexiste , et selon ce qu'elle a pres- crit. Ils ne sont qne par la loi, et selon la loi. La loi au contraire est indépendante de tout jugement. On ne conçoit point une procédure ou un jugement sans loi; on conçoit aisément une loi, sans jugement et sans procédure. Qyand on accuse sans loi, Teffet néces- saire est un jugement négatif; c'est-à-dire un jugement qui décide qu'on ne jugera point. Quand on décide qu'on ne peut juger, on décide implicitement et relativement qu'on ne pouvait pas accuser. Cette décision n'est pas une absolution véritable, et elle ace- pendant les principaux effets de l'absolu- tion. Le jugement rendu , le sort de l'accusé est irrévocable. Que le jugement soit négatif oc BAHHIMBIIBMT POUTIQVB. 125 OU positif, il n'importe point : ce jugement est ie titre delà société contre ràceusé; il est aussi le titre , le droit, la garantie de l'accusé contre la société. Il peut cependant y avoir des cas où la société ait des intérêts, même légitimes, que le jugement ne puisse pas satisfaire. S'il s'a- git, par exemple, de dignité, de sûreté, de repos public, c'est à elle de voir et d'agir. ^ Mais tous les temps ne sont pas propres à ces déterminations. Avant le jugement, elles sont possibles; après le jugement, elles ne le sont plus. Statuer par une loi sur une affaire déjà décidée par \in. jugement, ce serait casser le jugement par la loi; monstruosité inouïe, qui ébranlerait les fondemens mêmes de la société. Le tort qui serait fait à l'accusé serait bien moindre que celui qui serait fait à l'État. La loi peut donc , et cependant ne peut pas 128 CHAPRBE XII. beaucoup trop à un jugement, elle a princi- paiement en vue l'embarras présent, et les embarras à venir. Elle n'attente ni à l'état , ni à la sécurité, ni à la propriété de la personne, qui sont en effet dan& la dépendance et sousla protection des actes de justice. Elle restreint seulement l'usage d'une liberté privée, en vue des li- bertés et de la sûreté du grand nombre, qui sont incontestablement dans ses attributions et ses dépendances. Avec ces limites et cette mesure, je ne craindrai pas de le dire, l'acte dont j'ai parlé peut avoir quelquefois plus d'avantages que d'inconvéniens. La politique en tirerait grand profit, et je ne vois pas qu'il y eûtau- cune irrégularité* Il en faudrait parler autrement, je l'avoue, s'il était question de cet acte auquel on donne en Angleterre , le nom de bill d'At- teindér. Dt BAMUaSEMBHT POLITIQUE. 129 Car ces bilb sont des jugemens; des juge- mens sur un fait accompli et réputé criminel; des jugemens rendus par les deux chambres ; des jugemens qui prononcent des peines ; des jugemens où l'on ne tient aucun compte des règles établies pour la conviction et pour la punition ; des jugemens qui ont la forme et le caractère des lois , et l'énorme inconvé- nient de s'appliquer rétroactivement à des accusations déjà intentées (1). On voit bien que ce que je propose ne res- semble guère à cela. « (i) « Il me parait que vous exercer ici le pow^oirlé^ • gislatiff soit en faisant une loi nowfeiie pour déclarer » raocnsé atteint et coûvaincu , et poor retirer son cas « particulier des cours et des règles établis pour » d'autres causes; soit en jugeant 'vous-mèmes, ancpiel cas i, les formalités sont dif{éapntes de celles que tous ayez » presciittt pounles d-Uttèà cas; oht celui-d ne- ser^m*a * jamais de règle pour aucun autre. * — Diççoon de Metbwen en faveur du bill contre le chevalier Fenwich. I. VfL Lk uiYlBlOK. Ham, i83i. 4 • Quelle méprise ou qiiel. 9Çcret degsçin ont pu faire qa'oa ait tant parlé «d instant de révision ? Reviser, réintégrer,' réhabiliter, impor- tantes choses. Sans doute, importantes cho* DE LA El&raiO]!. 131 ses ; mais selon les temps^ et selon le carac-^ tère de raccusàtion. Dans les temps réguUet^i et èmà letf ac- cosations ordinaires, il peut arriver que cela soit jQstei iJEH^rable^ bon à reehercber et à obteniiTi Car il y aura toujours ée déplOMUes mé- priaes dans ees jngemens dliomtne, qu^on donne eonri^usement pour de la justiee. La ehose (je parle dé la révidion) eèt te^ pendant bien difficile aujourd'hui avee les formes de la fmtieà moAtné, kyeà le débat oraU et avee la eOtttietiOtt du fttté piVur tOttf Umâemetti ée eondamnatioti. Cmianient dlM d'tt;& arrêt qu*il a été rendu sans bonne preuve^ soéâ «ne législaiioA qui n'en ttige d'ancnnè sorte? Cioiiinient recont naître que les témoignages ne suffisaient pas, airec nn syal^e éeprotédnre qui ne menellle pal les témoigtiages^l fl nei se peut puint atets fupe Uê eas pos- 132 CHAPITRE UII. sibles de révision ne soient pas singulière- ment rares et bornés. C'est à peine si Ter- reur matérielle et patente sur l'identité de la personne suffit» Est-ee un mal qu'il en soit ainsi? Oui et non. Oui, et mille fois oui, pour le con- damné qui n'eût pas dû l'être. Non peut- être pour la société» en qui de trop fréquen- tes révisions achèveraient de détruire le peu qui lui reste de respect pour la justice de ses tribunaux. Dans les accusations politique^, la révi- sion n'est guère qu'une dérision. Si elle est admissible, ce n'est que pour ceux qui nient le fait» ou leur participation à ce fait; car il est rigoureusement possible qu'on se soit trompé sur la preuve del'unou de l'autre. A l'égard de ceux qui nient que le fait et leur participation fussent criminek» il n'y a de révision raisounable que celle que fait DE LA B^ViaiOM. 133 la fortune , quand elle rend la victoire au parti vaincu. Que ferait de plus la puérile solemnité d*une révision par arrêt? Est-ce qu'il y au- rait une discussion sincère et un examen sérieux? Est-ce qu'on verrait autre chose qu'un insolent simulacre d'accusation et de jugement? Est-ce qu'il se rencontrerait quel- qu'un d'assez insensé pour douter de l'abso- lution, ou d'assez téméraire pour la refuser? Ni la révision ne fait l'innocence, ni la con- damnation ne fait le crime. Une seule chose résulte clairement de l'une et de l'autre : de la condamnation, ^que vous étiez le plus fai- ble; de la révision, que vous êtes actuelle- ment le plus fort. Que prouvait, je vous prie, la révision des arrêts du duc d'Alençon et du prince de Condé? Rien que je sache, si ce n'est que Louis XI venait de monter sur le trône, et que François II était mort. Il n'était pas 134 CIUPITKB XIII. besoin de cela piQur croire q^e Charles VII n'était plus , on que Charles IX était roi« Qw prouvait la rëvocatipn de la sentence portée contre les Spepcer? Rien ^ si ce n'est j^ j^ crQÎs, que I^ai^caatre avait succombé , et qu'Edouard II triomphait. On le aavait hîea sauf cela* I^es duc« dç Cruisfb d'Slheuf et de Lava^ lette avaient été con^damués, et i][a étaient fu- gitifs» Sitôt que Lo^is XIII fut mort, ils re* vinrent. Il ne fallut pas une heure au parle- ment de Paris pour anéantir çea grandea condamnations. Les troia duc^ venaient ce- pendant de porter les afmes pour les Espa- gnol9» et contre la France, Mais à quoi regarda-t-on d^ns le parle- mont ? A une seiile chose qui absorbait tou- tes lea autrea : qu'iU avaient lutté contre le oairdinal de RicheUeu qui hiuniliatt ce corpa de magistrature ; qu'ils avaient été les enne- mis de son ennemi. Que signifiait donc le DK LA ttiflSMNI. ISI « notttrel arrêt? Cela iDiôiiie» et rien que cela; si ce n'est pourtant que le redoutable ennemi avait ditparu (1). Etait» il besoin d'un arrêt pour réhabiliter Jeanne d'Arc ? Il y en eut ttn cependant ; mab qui s'en Souvient , ou qui s'en en- qniert? Quelqu'un a^t<41eu la sacrilège pensée de proposer la révision du jugement de Char- les I*' et de Louis XVI? Non; maïs parce qu'on ne pouvait pas les juger, me répon- dra-t^on. Et quand on aurait pu les juger , quelqu'un Faurait^'il eue cette sacrilège' pen- sée? Quelqu'un a»t-il eu au moins la pensée de faire juger qu'on n'avait pas le droit de les juger ? (i) < Lesquels, pour laformalUéj furent déclarés inno- • cens 9 par arrêt du parlement, des crimes dont ils • étaieac accusés. Ce qui se fil satu aucune d^ficukéfle • parlement ne comptant pour rien qu'ils venaient de a Élire la guerre contre la France , etc. » ( Mémoires de Monfglat, t. I , p. 410.) 1S6 cHAPinB mu Dans les accuantions politiques , la^ seule révision légitime est celle qui se fait par la conscience des peuples et par l'histoire ; et celle-là, grâce à Dieu , ne manque jamais. Pour moi j dont le père a succombé il y a maintenant quarante ans , à une accusation de cette espèce , je me serais cru inepte et presque coupable d'en souhaiter seulement la révision. Je sais assez qu'il n'y a pas un être humain à qui il vtnt à l'esprit de douter que ce jugement ne fût un assassinat. Merveilleuse inconséquence de la cruauté et de la peuri Noble, pour ainsi parler;^ de la veille , ce fut pour cela , et seulement pour cela, qu'on tua* mou père: l'arrêt en fait foi. Il eut Féchafaud par droit de naissance. On ne reconnaissait plus de noblesse , si ce n'est qu'il fût question de faire mourir. On avait aboli les privilèges , et de leurs débris s'en formait un inévitable et terrible, celui du supplice ! DB LA rAvIUOS. 1S7 Moi-même qui n'ai pas été non plus épar- gné par les justiciers de la politique, je pro- mets bien qu'il ne me prendra jamais fan- taisie de demander la révision de ma sentence . Il m'est trop évident que ses absurdités, ses illégalités, ses iniquités, sont dans la con- science même des plus ignorans. S'il était en mon pouvoir de faire disparaître cet acte et toutes ses traces , je m'en garderais comme d'une insigne duperie. J'entends au contraire le léguer aux miens, intact et complet, comme une précieuse part de mon béritage. Ob! le grand coupable qu'on n'a pu condamner qu'en violant toutes les lois et en en faisant même l'aveu ! Quels ne devaient pas être les temps où se sont trouvés des juges à qui leurs propres périls ont inspiré une si dés- espérée résolution ! Demander la révision, c'est supposer le doute, et mettre soi-même son innocence en question. 11 le faut bien dans les accusations UO GHAPITHB UT. der troubler qui que ee fût pour ses actions passées. C'est de là que nous est venu l'acte et même le nom. L'amnistie ne remet point; elle efface. La grâce n'efface rien ; elle abandonne et remet. L'amnistie retourne vers le passé, et y dé- truit jusqu'à la première trace du mal. La grftce ne va que dans l'avenir , et conserve dans le passé tout ce qu'il a souffert ou pro- duit. La grâce suppose le crime et la condam- nation ; une certaine régularité dans la con- damnation et une certaine justice. L'amnistie ne suppose rien , si ce n'est pourtant l'ac- cusation. On reçoit plus et on est moins redevable daos une amnistie. Dans une grâce, on reçoit moins et on est plus redevable. La grâce s'accorde à celui qui # été cer- tainement coupable; l'amnistie, à d^ux qui ont pu l'être. AHHUTIE ET CBACB. 14i « Il n'y a aucun doute sur le crime après Tacceptation de la gr&ce ;^ il n'y en a plus sur Tinnocence après l'amnistie. L'amnistie ne fait rien perdre à l'homme innocent. La gr&ce lui fait tout perdre., jus- qu'au droit de se dire tel. Quiconque a failli doit s'humilier : il peut demander grflce et la recevoir. Qui n'a point failli faillirait en s'humi- liant. Il ne peut ni recevoir ni demander grâce, La grâce ne réhabilite pas ; au contraire , car elle ajoute à la sentence du juge l'aveu au moins implicite du condamné qui l'ac- cepte* L'amnistie ne réhabilite pas non plus; elle fait mieux. Elle ne purifie pas seulement raction; elle Fabolit. Elle abolit jusqu'au souvenir et à l'ombre même de l'action. C'est principalement pour cela qu'on doit plus d'usage de l'acte de grâce aux ac- lAS CHiiprrEft xnr. cusatioQS ordinaires, et de ramnistie aux accusations politiques ; , Dans les accusations ordinaires, PÉtat n'est jatnals intéressé à iet que le souvenir s'en eifaee. Il y est souvent intéressé dans les ae^ cusations politiques ; Cfar, s'il n'owblie pas, aussi n'onblie-t-ott point, et s'il se maintient ennemi , aussi se maintient-on ennemi. La grâce est pins judiciaire que politique. L'amnistie est plus politique que judiciaire.* La première est une faveur isolée qui dOtt-* vient mieux aux actes individuels. La se- conde, une solution générale qui convient davantage au* faits colleetif^. Quand le prince veut flétrir, tout ei^ ces- sant de punir, il fklf grftee. Il amnaiMie quand it ne vent pas punir, et ne doit pas flétrir. C'est une eliose importante pe«r lui que de bien choisir entre ces deux aotes^ Il vaut ' souvent mieux punir çue flétrir. Dans les accusations politiques, il n'est jsh* AWlIftTR BT «II4CE. US mai^ sâr de flétrir celui qui ne doit pas l'être. La politique a des erimes auxquels on ne doit ni auuiistie ni grâce. Elle en a auxquels on peut impunément faire grâce. Bile en a qu'il est plus avanta- geux d'enserelir dans une amnistie. Elle a aussi des aocui^ations où il n'y a pas de crimes , mais oé. Terreur passagère du temps en fait sopposer l'apparence. Le prince qui cède à cette erreur saM la partager , amnis- tie alors , et ne fait point grftce ; sans quoi , it se rendrait propres la folie et l'iniquité de racousatîon. LaJQstice (je pai-le de la justice commutie) a beaucoup moins à sacrifier dans Tamnistie que dans la gr&ce; parce que la grâce étant toute j«ridlftte»seBftbleiie devoir être déter- minée que par des misons prises du fait ou de la légalité littérale ; au lieu que l'amnistie étant toute politique, peut être déterminée. Wl CHAPITRE Xïïf» ^ indëpeiidainment de la légalité et même du rait> par des raisons de politique et d'étal. La grftce altère la sentence en la conser- vant. L'amnistie y qui la supprime , ne l'al- tère point. L'amnistie ne sait ni . ne recherche si la sentence était juste. La grâce suppose et dé- clare qu'elle ne l'était qu'impar&itement. La grâce retranche à la justice l'excessif et le superflu de son œuvre : il y avait donc de l'excessif et ^u superflu. Dans Tamnistie, la politique dit seulement à la justice : je n'ai plus besoin de votre secoujrs. Quelquefois le juge peut dire qu'on lui fait tort quand on fait grâce : il peut se plaindre qu'oie répand du doute sur son în- tégritëy ou sur ses lumières. Il ne peut ja- mais s'en plaindre quand on amnistie. L'amnistie est souvent unacte de fustice; quelquefois un acte de prudence et d'habi- leté. AmurriB bv «bace. 145 Il n'est pas sans exemple que le prince et l'Etat y aient «encore plus profité que ceux qui en étaient l'objet. C'est selon les temps, et selon le nombre ou la condition des personnes auxquelles on l'accorde. Il y a dans cet acte , bien plus que dans l'acte de gr&ce , un air de générosité et de force qui impose au peuple, et met le prince en renom. Il a , de plus que l'acte de gr&ce , de ne laisser après lui aucun motif légitime de res- sentiment. Il a de plus, qu'en dispensant de la peine, il dispense en outre de l'humiliation de la grâce. Il se rencontre des cas singuliers d'injus- tice, dcTiolence, d'abus reconnus. Quand le maître envoie , dans sa colère , une sen- tence toute faite; quand le flot populaire monte vers le prétoire et gronde à la porte , 1. 10 m le JQge opprimé pfioiiotice %î ne juge point. La sentence n'est qn'à peine nu fait; le droit lui manque. C'est alors surtout que la sentence ne ta- che point, et que la grâce tacherait plus qu'elle. Car on n'accepte pas la sentence, on la subite La grâce, au contraire, on Taccepte et on en pi^fite. On consent à la sentence en consentant * à la gr&ce ; on se reconnaît bien accusé^ et à boa droit condamné. fioilffren la sentence ; vous ne lui aurcE rien accordé , puisque vous y êtes oonti^int^ Acâeptet Ih gr&ce $ qui maintient au moins le passé) vottsdoiinea> sansy ôtre contraint, votre assentiment à tout ce qu'elle main- tient. Sans y être contraint , car il n'est au pou-^ veîr de persotine de vous obliger à accep- ter bu à stibir biltre eliosa ^e votre sea^ tence. AHHnnS BT «RACE. MfJ Louis XIV rentreprit contre Fouquet. Mais l'histoire Fen a sérèrement repris , et avec raison : ce fut un grand abus de la puis- sance. Il est peot*4tre encore des États où cet abus pourrait se renouveler. Je le tiens pour impossible dans les États libres. On parle quelquefois » pour n\ avoir pas réfléchi 9 d'amnisties conditionnelles. Mé- prise grossièse : ces denx mots ne s'allient point. La condition , quelle qu'elle soit , con- serve les traoes de Taccusation et du juge^ ment. L'amnistie eût fiait oublier ; la condi* tîon fiait qii*on se souvient. Où prendra la condition, son excuse, son motif, son droit? Dans la sentence sans doute. Otes la sentence , quel droit auriez- voiis d'imposer des conditions 1 La condi-- 4îon malntsmdra donc et confirmera la sen* lence. Il n'est donc pas vrai qu'il soit ques- 1A8 CHAPITBB UV. tion d'amnistie ; car l'amnistie abolit, et de toutes les choses qu'elle abolit » il n'en est aucune qu'elle ait plus spéciale mission d'a- bolir , que la sentence. L'amnistie exclut la condition ; la condi- tion exclut l'amnistie. Et que serait-ce si la condition était prise dans l'ordre des peines? Si légère que soit la peine , c'est néan- moins une peine mise à la place d'une au- tre. Ne me parlez plus alors d'amnistie ; ne parlez même pas de grâce : il n'est ques- tion là que du plus misérable de ces actes, savoir, les lettres de commutation. L'amnistie conditionnelle n'est qu'une commutation grossièrement déguisée sous un titre dérisoire et faux. Où la grâce ne serait pas admissible , à plus forte raison les commutations de pei- nes; à plus forte raison les amnisties con- ditionnelles. LIVRE DEUXIÈME. DU SERMENT POLITIQUE. La raison nous ordonne bien d'aller touiours meame chemin, mais nou tontesfois mesme train. MOITAICIIB , Ht. 1 , chap. 44« TABLE DU DEUXIÈME LIVRE. Avertissement. Chap. 4. Proposition. 3. Du serment en soi* 5. En quoi les sennens diffi^nt. 4. Suite du précédent. 5. Du semieDl par rapport à la rtligion du gouver- nement. 6. Du serment envers le gouvernement. 7. Du serment relatif. 8. Du serment par rapport à la constitution de l'état. 9. Suite du précédent. 40. Suite du précédent. 4 4 . Du serment par rapport à l'opinion commune. 42. De la souveraineté populaire. 45. Des sermons successifs. 44. De l'obéissance. 45. De l'obéissance passive. 46. De la soumission. 4 T. De la nécessité. 48. Conclusion.. AVERTISSEMENT. Je suis celui qui ai répondu dans une cir- eouBtance sérieuse : « Mon serment n'était > pas temporaire y mais perpétuel; ni condi- 153 AVEBTIMBHRST. f tionnely mais absolu; et je ne sache pas f que le malheur délie les sermens. t Je mets Thonneur de ma vie à cette ré- ponse : il y a peu d* apparence que je songe à la rétracter. Mais eQe ne fait point obstacle à cette autre opinion non moins véritable , que les sermens » si importans et sacrés qu'ib soient^ sont néanmoins relatifs à l'objet pour lequel on les prête , et y s'il s'agit de la politique , relatifs à la nature du pouvoir qui les reçoit : en sorte qu'il les faille tenir pour absolus et perpétueky si le pouvoir est complet et l'objet durable; pour temporaires et bornés» si l'objet est borné lui-même et le pouvoir imparfait. Non 9 le malheur ne délie pas les sermens ; mais il n'en resserre pas non plus les liens. AVEBTUSBMEBT. i53 Il n'en chaîne ni le caractère , ni T autorité. Il ne rend point temporaires ceux qui doi- vent être perpétuels , ni perpétuels ceux qui doivent être temporaires. Ce qu'on va lire a été écrit au mois de juin 18S1. On s'en apercevra aisément dès les premières pages , où sont examinées quel- ques assertions qu'on proposait en ce temps, et qu'on reproduit maintenant un peu moins. Je ne l'ai pas publié alors parce qu'il ne paraissait pas que les esprits fussent assez préparés, ni les temps assez opportuns, et parce qu'il n'appartient à personne aussi peu qu'à moi, de montrer la route à autrui. Je m'en fais moins de scrupule aujour- d'hui, que je viens après tout le monde. Pour les habiles , ce serait une raison de se taire ; pour moi, c'est ma seule raiso^i de parler : je ne crains plus de mal dire. 15d Il m'eût été facile de hâter de 4pie]qiiet jours cette pablication^ et de duMsir nm mo- mept qae inen des ^n$ aonient Mtimé pitts favorable. Mais leur opporfaraité a'ttitpas toiit^-Wait la mienne. Il m'est pasimfeqii^n voie aatrament les choses séloii le lii^u d'^oik' on les regarde. Dire de faire, n*est point mon affaire. C'est bien assez, et peut-être trop^ que je m'ingère à examiner si ce qui B'#3t fait est bien fait. Simple spectateur j'applau- dis. A d'aatres l'action et la scène.. OBAFITBB I. 9BOP0SITION. Oif demande aujourd'hui des sermens de fidélité y à tout propos , et pour toute chose. C'est un grand abus. On s'est laissé aller » par imitation et par liabitude , sans réflé- chir à ce qu'on faisait* C'est une grande mé- 156 CBAPITBB I. prise.Oa a prescrit imprudemment des choses semblables pour des temps dissemblables et même opposés. C'est une étrange confusion. Quand le prince était souverain» d'une souveraineté antérieure , d'une souveraineté permanente, d'une souveraineté qui avait fait la constitution bien loin d'avoir été faite par elle 9 on pouvait jurer à ce prince de lui être fidèle, parce qu'une obligation perpé- tuelle peut fort bien convenir avec un droit qui est perpétuel. Mais quand le peuple est souverain, il se- rait absurde d'imaginer que le prince le fût, et non moins absurde d'agir comme s'il l'é- tait. Le serment qu'on lui fait à l'occasion de son droit , doit être analogue à ce droit , et ne peut manquer d'avoir les mêmes bornes que lui. Or, ce prince , qui n'a pas la souveraineté PBOPOftITIOH. 1$7 proprement dite, n'a rien en effet qui ne soit borné. Car dans Tordre politique, il n'y a que la souverafbeté qui ne soit bornée par aucune chose extérieure ; et toutes choses y sont bornées par la souveraineté. La souveraineté est bornée aussi, mais par elle-même: en ce sens seulement, que sa propre nature lui interdit de rien entrepren- dre contre soi. Elle se home dans cet unique dessein de ne pouvoir altérer la propriété qu'elle a d*être sans bornes. Or, au dessous de la souveraineté , on ne saurait rien concevoir de plus élevé , de plus étendu, de plus puissant que la loi. Sitôt donc qu'on a établi que la souve- raineté n'est pas dans le prince , la plus fa- vorable assimilation qu'on puisse faire de lai, est de le supposer pareil à la loi. iSa CHAPIIBB I. Et en effet si l'on considère la natnre, la source , l'objet de ces deux pouvoirs , on y reconnaît aussitôt de nombreuses et évi- dentes analogies. # Leur nature; car la perpétuité leur est également déniée : leur origine ; car ils déri- vent l'un et l'autre du suffrage variable d'hom- mes qui le sont eux-mêmes , et en eux- mêmes, et parce qu'ils se succèdent : leur ob- jet; car la souveraineté retranchée, l'objet du pouvoir du prince n'est autre que le pou- voir même de la loi ; et par conséquent l'ob- jet, le but, la fin que se propose la loi, est l'unique objet, l'unique but, l'unique fin ^ui soient proposés au pouvoir du prince. Ce pouvoir comprend bien la proposi- tion , la sanction , Texécution ; mais de quelle çtiose? de la loi. Ce pouvoir aura, si l'on veut , deux rapports : l'un , de politi- que théorique et spéculative , dans la propo* sition et dans la sanction; l'autre, de poli- PROMMinCM. 159 tique pratique et appliquée ^ dans reiëcu- tion. Mais ces deux rapports n'auront néan- moins qu'un objet, et cet objet simple et unique est toujours la loi. Le prince est chef de justice, mais pour Vexécution dfis lois de justice; chef d'admi- nistration, mais pour l'exécution des lois d'administration ; chef de guerre , mais pour taire la guerre dans les limites (|ue lui im- posent les lois de subsides ; chef politique, mais pour prévoir l'utilité de ces lois, et en provoquer l'émission. Encore pourrait-on citer des pays où cette vérité si manifeste l'est , s'il faut ainsi dire, encore plus. En France, par exemple, où les hommes qui ont institué le prince, l'ont voté et institué dans la forme des lois, et n'avaient d'ailleurs d'autre pouvoir que celui de faire des lois. Le sèment qu'on lui d^it équivaut donc 160 CBâPITBB I. au serment d'obéissance à la loi , ou plutôt n'est pas auti^e chose* Car on ne peut pas promettre d'être fidèle à la loi. qui est temporaire et changeante. Et l'on ne peut pas promettre d'être fidèle au prince , qui n'est lui-même que ce qu'est la loi, que la loi faite homme, et dont le pouvoir, n'étant pas souverain, peut être lé- galement changé, ou même détruit par le pouvoir souverain. Tout se réduit donc logiquement et cons- titutionnellement à l'obéissance; tout se réduit à l'obéissance, soit à l'yard de la loi, soit à l'égard du prince, qui n'est que le ministre et le coopérateur de la loi. Quelque chose qu'on fasse, on ne doit, et on ne fait réellement que cela. C'est le but certain, la limite profonde et infranchis- sable de ce qui se fait. Les apparences, s'il y en avait de contraires p ne seraient que des apparences* C'est l'esprit, la substance. la TÎe, la vérité de ce qui se dit : les mots ii*y font rien. Cette opinion n'est cepend%pt pas sans difficultés : j'en rechercherai les raisons. 1. " •• OBAVtVmi u. DU SBRMBEIT BN 101. Serment et promesse , ce sont deux choses. L'honneur n'en voudrait faire qu'une seule; mais les lois , la politique et la religion en font deux. La promesse n'est qu'un engagement DU 0BB1IBHT BR 801. lOS d'homine, temporaire, irévocable, condi- tionnel , comme il platt à l'homme. Le serment est aussi un engagement d'homme, mais rendu inviolable et perpé* tuel par l'invocation de Dieu qui en devient le dépositaire et le garant. Ce n'est pas le nom qu'on donne à l'en- gagement qui en fait réellement, un serment ou une promesse : c'est la présence ou l'ab- sence du sentiment religieux. Celui qui manque à la pVomessè faite à un homme y ne viole pas même la loi civile, qui ne tient pas compte des simples paroles : il ne fait aucune offense à la société. Celui qui manque aux promesses faites à Dieu et à l'homme, blesse la loi religieuse, qui est le premier bien et le premier lien de la société. Celui qui rompt la promesse faite à un homme n'encourt que le ressentiment de l'homme, qui est passager et borné; celui qui rompt la promesse faite à Dieu et à rhomm^, iil CHAPITEE II. encourt la justice de Dieu , qui n'a de bornes que celles qu'elle se prescrit. Quand on ne s'engage que par une simple promesse , on sait , et les autres savent aussi, ^ qu'on ne s'engage qu'imparfaitement. On ne s'engage qu'imparfaitement, puis- qu'on peut trouver quelque chose au-delà, qui est le serment. Il y a entre l'un et l'autre toute la diffé- rence qui existe entre le témoignage de l'homme et celui de Dieu; entre les de- voirs de l'homme à Dieu, et de l'homme à l'homme. C'est pourquoi l'on ne peut jamais prendre une promesse pour un serment ; encore moins un serment pour une promesse. Ceux qui ont dit le contraire se trompaient; et s'ils ne se trompaient pas, il faudrait plaindre le peuple chez lequel cette erreur serait devenue une vérité : ce peuple-là se- rait athée. DU ftUUUVT EB SOL 14» il est vrai qu'il n'y a point de serment entre deux athées. Aucun d'eux n'a pu croire qu'une promesse fût sainte, puisqu'ils ne croient pas à la source de ce qui est saint. Tout se réduit pour eux à une volonté douteuse, changeante et sans garantie. Ils ne savent pas les moyens dont la religion se sert pour élever la parole humaine au-dessus d'elle-même , et lui donner ce qui lui est le plus étranger et le plus contraire , la certi- tude et l'immutabilité. On m'entendrait mal si l'on prenait ceci dans un sens trop absolu. Quand je dis qu'il n'y a pas de serment entre deux athées, cela ne signifie point que leurs sermens, s'ils en font, n'en aient pas réellement le caractère aux yeux de la loi et aux yeux de Dieu. Cela veut dire seulement que relativement aux athées, et dans leur conviction, qui exclut la croyance de Dieu , leur serment IM CHAPITRE IL n'a rien que d'humain, et ne s'élève pas au- dessus des simples promesses. Gela veut dire qu'ils se croient obligés par une pro- messe autant ou aussi peu que par un ser- ment. Dieu existe même pour ceux qui le nient; et quoique intérieurement nié par ceux qur l'attestent extérieurement , leur incrédulité ne détruit pas le fait de rinvocalion. Mais ce fait n'est pas selon eux, ce qu'il est selon Dieu et selon la loi. L'athée qui aurait fait un serment dirait en vain qu'il ne croyait pas. Cet aveu n'em- pêcherait point qu'il ne fût tenu des obliga- tions que la loi fait résulter du serment. Ce- pendant, contraint par la loi , et même par son serment, la loi ne saurait faire qu'il se crût contraint par lui comme serment, c'est- à-dire comme engagement religieux. Cette distinction, qui explique ce que j'ai DO WKMm n fOL 107 déjà dit, servira également à expliquer quelques-unes des choses que j'aurai encore occasion de EN QUOI LES 8ERMENS DIFFÈEENT. Les sennenssontde plusieurs sortes; mais ils ne varient que daos leur forme ou dans leur objet, jamais dans leur caractère. Dans tous, on atteste Dieu, quoiqu'on ne l'atteste pas,, dans tous, pour la même cause; et cette sa QUOI LBft SBIMESS DIFFÉRVIT. 100 invariable interveuiion de l'Être qui ne varie point, ne permet d'y chercher aucune diffé- rence sur ce qui constitue leur autorité. Les principales distinctions que j'y fais sont premièrement celle des sermens volon- taires, qui n'ont lieu qu'entre personnes privées, et des sermens légaux et publics, qui n'ont lieu que dans les choses oà le pu- blic est intéressé ; Secondement, entre ces derniers, celle du serment politique, du serment judiciaire et du serment pour les services publics. J'entends par serment politique celui dont la politique est à la foisTobjetet l'occasion; celui que prêtent le peuple au prince , et le prince au peuple ; celui que prêtent , dans de certains Etats, les assemblées législatives et les électeurs. La politique prend part aussi à quelques autres ; mais si elle en est Vobjet, elle n'en fournit pas l'occasion. On la contraint d'y entrer, plutôt qu'elle ne s'y 172 CHAPITAB nr. même manière sous un gouvernement mo- narchique et électif, et sous un gouverne** ment monarchique et héréditaire ; ni sous un gouvernement qui donne la souveraineté au prince, et sous un gouvernement qui la lui refuse. Dans le& uns, c'est la perpétuité que la constitution se propose ; dans les autres , c'est le changement. C'est pourquoi les obligations des peuples ne sauraient y être semblables. Dans les gouvernemens qu'on a eu le dessein de rendre perpétuels, il est néces- saire que les peuples soient perpétuellement engagés. A ceux-là conviennent les sermens de fidélité ; parce qu'être fidèle, de la part des peuples, c'est être soumis, obéissant et affectionné à toujours^ Le principe du gou- vernement et l'engagement envers ce gou- vernement sont alors de même nature : il SUITE DU PBéciDElIT. 17^ n'y a rien que de légitime et de régulier. Dans les gouvernemens qu'on a rendus y ou qu'on s'est réservé le droit de rendre à volonté temporaires, les peuples ne peuvent être engagés que temporairement et condi- tionnellement. A ceux-là, ne conviennent plus les sermens de fidélité, dont la perpé- tuité choquerait le principe du gouverne- ment. Il ne leur faut que des sermens d'o- béissance, parce que l'obéissance a pour terme naturel celui du droit de commande- ment. C'est le seul moyen que l'on ait de mettre d'accord, dans ces sortes de consti- tutions, le principe du gouvernement et ce- lui de l'obligation. On peutjuger maintenant en quoi diffèrent ces deux sermens politiques. Ils obligent également, c'est-à-dire aussi rigoureusement pendant qu'ils obligent. Mais ils obligent inégalement, par rapport au temps pendant lequel ils obligent. La durée de l'un peut ilt aUFRUB IV. avoir des boroes ; la durée de Tautre n'eo a point et n'en peut avoir. De pins 9 robéissance n'exclut pas préoî«- sémeat l'affection ; car rien ne s'oppose à ce qu'on aime ceux à qui l'on est tenu d'obéir. Mais l'affection n'e^t pas nécessaire à l'o- béissance; car on peut fort bien obéir à ceux que Ton n'aime point. La fidélité» au contraire* exige et suppose l'affection. Il n'y a de fidèles que ceux qui aiment ; parce qu'il n'y a que l'affection qui puisse faire supporter et respecter un enga* gement qui ne finit point. Ce n'est que par l'affection que la fidélité peut acquérir ce caractère de perpétuité qui est le sien. Voilà principalement pourquoi l'affection est né- cessairement dans la fidélité, et n'est pas nécessairement dans l'obéissance. QMAwnmm ▼. DO nAMtMT PAl HAPMULT A LA RBLIOtÔN OU OOUTBANBIIEHT. S'il j arait nu gouvernement qui eiclût \m cfoyance deDieo, ce gouvernement serait insensé de prendre pour de véritables ser- mena les aermens que lui feraient ceux 170 CnâPITRE V. de ses sujet» qui excluraient aussi cette croyance. Mais il aurait certainement le droit de prendre pour tels les sermens que lui fe- raient ceux de ses sujets qui auraient foi en Texistence de Dieu ; parce que s'il est vrai que l'étendue et même la durée de la pro- messe puissent dépendre, dans quelques oc- casions , de la conduite et de la volonté de celui à qui on la fait, sa nature, comme en- gagement simple ou comme serment, dépend uniquement des formes qu'on lui donne, et de la conviction de ceux qui la font. Le serment de celui qui croit y prêté à ce- lui qui ne croit pas , est un véritable ser- ment. Il se peut bien que celui qui a reçu le ser- ment, ne le croyant point sacré , ne le croie pas non plus inviolable. Mais il ne se peut point que celui qui s'est engagé par une promesse qu'il tient pour sacrée; la tienne» à MT BEUDOT PAB ftAFPOn A l«A EBIMIOU DU GOUVEMBMKHT. 171 caoBe de cela» pour moins saorée et moi 09 ia?iolabJe. La sainteté du aerment n'est paa à la merci df , ^çelui À qui on le fait* Son in-^ crédulité ne fait rien A la croyance de celui qui jure» ni par conséquent ji F opinion que doit avoir ce dernier de l'importance et de rirrévoeabilité de son obligation. lia question change lorsque c'est celui qui a juré qui est l'incrédule» et celui k qui Von a juré qui est le croyant. Celui-ci a bien cru recevoir uu serment ; mais il s'est trompé. L'obligé n'a pas cru en faire, et; selon lui , il n'en a pas fait. Il n'en est pas moins obligé sans doute » et même il ne le nie poiiit. Mais il ne l'est» à ses yeux» qu'bomaîpcme^t et non reUgieuaement; il ne l'eart qn'avec la sanction de la honte » et aoA avec la garantie de Dieu. Il n'y a plus» à San SCM» entre lui et ceux envers qui il s'est engagé » que sou bouA^ur et le monde. BÊÊHtt un nvenli^e que je prétende faire 1. lî 178 CHAPITRE r« aux athées ? A Dieu ne plaise ! C'est un dés- avantage au contraire, et qui n'est que trop mérité; car il n'en résulte (Qu'une chose , savoir, qu'il ne faut pas avoir commerce avec eux. Il n'est pas sage de croire à ceux qui ne croient point. S'il y a un gouvernement qui admette la croyance de Dieu , et en même temps tous les cultes fondés sur cette croyance , il * est faux que les sermens qu'on loi fait n'obligent que comme de simples promes- ses. Gai' ce n'e^t pas le culte qui fait le ser- ment ; c'est Dieu. C'est Dieu invoqué et pris à témoin; Dieu donné pour garant, et par conséquent reconnu vrai, puissant, immua* ble; Dieu avec son être et ses attributs. Ni la variété , ni le grand nombre des cul- tes n'y changent rien; parce que le culte n'est que la fprme de l'adoration, et que Ta- doration, quelle que soit sa forme, suffit. mi SBBMBHT PAS BAPPOKf A LA mSLlCUOa DU «OOVBIHBIIBBT. 179 La tolérance ou Tiadifférence même du gouvernement n'y changent pas davantage ; par la raison que cette indifférence ne por- tant que sur le culte , laisse subsister la croyance de Dieu, qui est l'unique sceau du serment. S'il en était autrement il faudrait dire que )e serment est sans valeur , entre un catholi- que et un protestant , ^ntre un protestant et un déiste; et personne, que je sache, ne dit cela. ». 18S CMàPtXtLM VI. , dissemblables ; car ee n*est pas une même chose d'être engagé envers un homme ou en- Ters l'état, et la distance est grande entre les obligations que le sujet contracte envers l'é- tat, et celles que l'homme^ peut contracter envers l'homme. y Hais qui ne Voit que cette différence est ' '■■■ dans l'objet de Yengagement , ét^nullement dans son caractère I J'ajouterai bien, si l'on veut, qu'elle peut se retrouver encore dans les consé- quences de sa violation; car il peut être en effet très-différent, quant aux eonsé- quences, d'avoir manqué à ses obligations envers l'homme , ou à ses obligations envers VÉtat. Mais que foçt l'objet et les conséquences même de l'engagement,. A l'ob^gation ob l'on est de l'exécuter Z ^ . . Qn4mporte la différence des choses que DO SBBMEIT BmTEBft LE COVTBIMEMBIIT. 183 Ton a promises , si la manière dont ou les a promises n'est pas différente ? Vons êtes obligé h autre chose ; mais vous ne l'êtes pas autrement. ' Quand çn a jurépar sa foi et devant Dieu, tout est dit. Il n'y a pas deux façons de faire cet acte là. Il n'y a pas du plus et du moins dans la parole qui atteste Dieu. Fût-ce un mil- lion ou une oboïe, fût-ce un goujat ou un prince , le serment esl le même en tant que serment ;il est également sacré et inviolable. Ce n'est qu'une formalité, nous dit-on; et la formalité, quelle esV-elle? Apparem- ment une chose vaine ? Quoi , vous qui croyez en Dieu , il y aurait un cas oti Tinvo- calion de Dieu se ferait en vain ! Cette opinion ne peut-être vraie que pour l'homme qui ne croit pas Dieu. Mais elle va plus loin alors qu'on ne le suppose; car on croit toujours invoquer en vain ce qu'on ne croît pas , et par conséquent il n'y a jamais ISâ CBAMTHB VL de senDeat , et k Mnhent qwel qu'il soit, n'est dans aucun cas qa'nne formule sans réalité. Pour celui qui croit > rkiTteatîon àt Dieu est toujours sériMse. Bourctlui qui ne croit pas , «He ne Test jamaîs* I ^ DU SEBMSNT RELATIF. On à fait une seconde distin(ïtion. Antre chose, a-t-onâît,estle serment ab- solu et spontané ; autre chose , le serinent relatif et accJAeatel, Le pmnier n'étant détemkié par au^ 186 CBAPRAB VIL cun fait spécial qui puisse servir à Tinter- prêter , ne doit être interprété que par ses termes. Le second n'étant déterminé que par une circonstance particulière et spéciale, y trouve naturellement son explication et sa limite. Suivant cette opinion , quiconque aurait juré, seulement comme homme ou comme sujet, d'être obéissant ou fidèle, devrait l'être indistinctement et perpétuellement. Au contraire, celui qui n'aurait fait ce serment que par occasion, commepour l'exer- cice d'un droit ou l'accomplissement d'une i obligation , ne serait engagé qu'autant que durerait l'obligation ou le droit. Ainsi l'électeur, forcé de jurer pour élire, serait bien lié pendant l'élection; mais l'é- lection faite, il se trouverait affranchi. De même , le jeune soldat forcé de servir et par conséquent de jurer, serait engagé tant DD SniMBIT RELATIF. 187 que durerait son service , et dégagé dès que son service serait ^terminé. Je ne prétends point nier qu'il ne puisse y ai#ir des subtilités justes et vraies; mais je nie que celle-ci soit de ce nombre. Le serment, quoique relatif à la cause qui fait qu'on le prête , peut en être indépendant par son objet et par sa durée. Il peut aussi eu être dépendant. ^i vous êtes électeur et que vous juriez seulement de certaines choses qui n'aient de rapport qu'avec l'élection ; si voua êtes sol- dat, et que vous juriez seulement des.choses ^n ne se rapportent qu'au service militaire, il est clair que le service fini et l'élection faite, le serment n'a plus d'objet et n'oblige plus. C'est le cas de la dépendance entre. le serment et sa cause. Mais si parce que vous êtes électeur ou soldat, vous jurez des choses étrangères par leur durée au service militaire etft l'élection, 1i88 /CBAPITRK «U. le aennenl; et V^wwon tdv «ejrmeAt pe peii- vent plus se confoadr^- jL'oficasion^ quqUe qix'e|]i$ffQiti)iepeiutpii^lweqa'oa n't^tjpas juié oe qu'.oii a juré* ^ J'avoue que çeW est eacore plu^ vmi pour le droit que pour^L'obligiitioa,. Coavwne on n'a aucune liberté «le neipaaiserYÛr,mi par conséqtteqtde ne pas préiqr le sermcwt que doivent prêter ceux qui senveni^ H se pQiit qv'on ne soit «qu'imparfaitement ^igagé par ce serment imposé et involontaire. ; Mais quoi qn'pn Ait un :grand infaiset ft exeroer le droit d'élire j. et que ce droit soUt, en plusieurs points., semblable a^ax.^ei^oiffs, on «l'y est cependant pas aownis par une telle nécessité et par une teUe «^ntraiate, qu'oti s'y puisse oroKre entièrement dépourvu de liberté. Cet acte, quoique néce^aiûre ^et ^elqne «néoessaire «qu'il »S€ât y apte l'^t fias «pendant de la même mamiure que l'aiM^pe. On peut le croifie plus Uhre , et par icooaé- DU mimi MLATIF. IM qaenU 1^ jeûnent > pltt» libve kii^méaie , Minblerait engager d'iudie obligatioiv jfjM étroite et plus rigoureuse ^ . Au prcoiier cas ^ oa est également forcé de BUfim et de jurer* Aiu? seeoudi on est l^en forcé de îurev éi. en. élU; *iai0 eoaiiue on u'cat pas matérieHemeut forcé d'élire, on li'est pas non plna matérieUement forcé de juief • La eeoitraute qu'on y éprouye ne vient pas de la força comme pour le service mili* faire} elle vient du devoir, et du sentiment que FoB à de ce qui est nécessaire à l'État. BBe est mdtrala et non matérielle , et il y a des^gcns qui font une grande différence entre cesdeut violences Ift. Pour moi,- j'en ferais fort peu. La distinction est donc fausse ; maïs de plus f elle est dangereuse. Elle distingue mal à propos et à contre-temps. Outre cela ^ elle ne dislingue pas ce qui doit l'être. Le serment , suivant elle , ne serait res- IVO GHAPItUB nu ' treint que dans sa durée ; il ne le serait pas dans son étendue. On en serait plus tôt affran-^ cbi» qu'on ne peut; mais avant d'en être af- franchi , on serait plus obligé qu'on ne doit. On le serait indistinctement et absolument; quelle que fût la constitution du pays ; en quelque main que la souveraineté tàt placée; quels que fussent l'acte ou le fait; dans les obligations du sujet, comme dans les droits du législateur ou du souverain. Je doute que cela soit véritable. A mon avis f le serment général survit à l'acte' par- ticulier qui en a été l'occasion. Mais s'il peut jamais s'entendre et s'exécuter en un sens inconciliable avec la constitution de l'état , c'est une question qui mérite d'être exa- minée. ofAmrnaTin. DU SBAMBRT PÀB RAPPOAT ▲ LA CONSTITUTION DE l'ÉTAT. Daks les états ob la souveraineté appar- tient au peuple , le prince peut-il exiger du peuple des sermens qui engagent sa souve- raineté? je ne le crois pas. Peut-il exiger, par exemple^ le serinent de m CHAPITBB TIII. fidélité? Je ne le crois pas. Car il faudrait que ce fût une fidélité véritable , c'est-à-dire absolue et perpétuelle, et alors le peuple engagerait sa souveraineté; ou il faudrait que ce fût une fidélité révocable et condition- nelle f et ce ne serait plus une véritable fidé- lité. Par la doctrine de la souveraineté popu* laire , le peuple est en même temps souve- rain et sujet : Sujet dans l'ordre civil ; Dans l'ordre politique, souverain. C'est pourquoi, il doit jurer obéissance; parce que l'ordre civil en exige , et que sa condition dans cet ordre là, comporte une telle sujétion. Mais il ne peut pas jufsp fidélité, une vraie et parfaite fidélité; parce que la fiidé- lité est de Tordre poUtf que , et que dms cet ordre là , il doit refTter maître , c'est^li^^Ure libre. MJ snUIEIIT PAB BAPPOET A LA CORlTlTirnOH DB L'^AT. 19$ Admettre, comme l'ont fait quelques-uns, que le peuple , souverain pour instituer son gouvernement , cesse de l'être» sitôt que aon gouvernement est institué , est une chose in- conséquente et impossible ; car la souverai- neté , qui dans sa plus grande extension peut tout, est cependant bornée en cela » comme il a été déjà dit , qu'elle ne peut rien sur elle- même. C'est le principal attribut de la sou- veraineté d'être inaliénable. En sorte que le peuple est souverain» ou il ne l'est pas : s'il est souverain une fois , il l'est toujours; il l'est tant que dure la constitution qui l'a établi 8ouve)rain. S'il y a un jour où. il ne le soit pas , il ne Test jamais. « Qui accepte la couronne des mains du ^ peuple, reconnaît que le peuple peut la donner. Qui reconnaît qu'il peut la donner, recon- aalt qu'il la peut ôter. I. i3 m CMàPnÊM Tlll. Car premièrement , il a fallu pour la don- ner, qu'il l'ôtftt. La concession suil et suppose la révoca- tion. La révocation est l'origine , la cause , le moyen même de la concession. Vous avez pu donner si vous avez pu re- prendre ; si vous n'avez pas pu reprendre , qu'avez-vous donné? Soluto jure dantis j solvitur jus accipientis : c'est un principe universel de droit civil et de droit public. Qui accepte , admet naturellement en la personne de laquelle il accepte , la faculté de disposer de ce qu'il accepte. Mais en second lieu , comment , le souve- rain antérieur vivant t peut-on se dire auto- risé à recevoir la couronne des mains du peuple ? Seulement, par la supposition, et à plus forte raison par l'aveu , que le peuple a DP SttMBHT FAR MAPPOin A LA COlliTITUTIOIl DE L'ETAT. 105 sur la couroiioe> tia droit supérieur, perpétuel et inaliénable. Car sans cela, il est mani- feste qu'il n'aurait pas pu la reprendre, ni par conséquent la donner. Or si vous accordez qu'il a pu la repren- dre , c'est une conséquence insurmontable, qu'il pourra la reprendre une seconde fois , s'il lui plaît. Si vous accordez qu'il a pu la reprendre i un prince qui la possédait à de plus Cavo- râbles titres que vous , à plus forte raison , est-il accordé qu'il la peut reprendre à vous, qui ne la possédez qu'à des titres condition- nels et moins favorables. Je n'imagine pas de plus étrange préten- tion que celle-ci : que le peuple aura pu dépouiller un prince héréditaire , et ne pour- ra pas révoquer un prince élu. Il aura pu le plus , et ne pourra pas le moins ! c'est se moquer. 106 CBAPim VIII. Il ne le pourra pas en fait, s'il est le plus faible » la chose est certaine. Il ne servira même de rien qu'il le puisse, s'il ne le veut pas , la chose est encore cer- taine. Mais faible ou fort, voulant ou ne voulant point j il le peut de droit ; la chose n'est pas moins certaine. Elle l'est d'autant plus qu'elle est avouée. Elle est avouée , comme je l'ai dit , par le seul fait de l'acceptation. Ainsi, toute constitution d'état qui dérive d'une révocation de prince, étant nécessai- rement et évidemment fondée sur le principe du droit de révocation , il est manifeste que le prince établi par elle est perpétuellement soumis à l'exercice éventuel de ce droit. Un tel prince est constitutionuellement révo- cable , et il y a même consenti. Mais ce n'est pas là qu'est la question. Voici où elle est. Si le prince quoiq^ù'il i|e DU SBRMEirr PAB HAPPORT A LA GOHftTITirriOH DE VàtkT. 197 puisse pas exiger le serment de fidélité, l'exige cependant et l'obtient y le peuple est-il réellement engagé dans les choses qui cons- tituent la souveraineté? rhésite, à cause du caractère de rengage- ment ;. et cependant s'il faut absolument répondre, je crois pouvoir dire que le peu- ple n'est pas engagé. La raison de cela est d'abord que la cons- titution de l'état forme un engagement géné- ral et antérieur, lequel est infiniment plus sacré, plus nécessaire, plus essentiel quç le serment postérieur qui lui est contraire. Elle est ensuite, que le peuple n'ayant certainement pas eu l'intention d'aliéner sa souveraineté, son serment ne l'engage que selon l'intention qu'il a eue, et que nul n'a pu ignorer. Elle est enfin, que le souverain n'ayant pas le droit d'aliéner sa souveraineté, le serment IM CH4P1TRE VIII. par lequel il Faliénerait, passerait son pou- voir et resterait sans valeur. Il n'y a pas de droit contre le droit : cette maxime est de Bossuet. Or le> droit, pour le souverain, le droit principal et supérieur, le droit qui prévaut contre tous les autres» et contre lequel aucun autre ne peut prévaloir^ est celui qui constitue la souveraineté. Que le souverain soit prince ou peuple, la règle est la même. SUITE DU PRÉCBDBNT. Il peut se rencontrer des cas où Ton ait une raison de plus pour embrasser cette opi- nion. Dans ce qui vient d'être dit , le serment en favear da prince est considéré en lui- 200 CMàPVnM IZ. même et indépendamment de tout autre. Je l'ai supposé seul et ne concourant avec aucun serment analogue qui pût le modifier et lui faire obstacle. C'était pour la question qui m'occupe, le point de vue le moins favo- rable. Mais supposez, comme cela se voit dans quelques états à souveraineté populaire, que le serment* exprime à la fois la fidélité en- vers le prince et la fidélité ou l'obéissance envers la constitution de l'état; comment accorder ces deux fidélités diverses et pres- que opposées? Si vous entendez que la fidélité envers le prince soit une fidélité parfaite, c'est-à-dire absolue et indéfinie, vous traitez le prince en vrai souverain, et manquez à (a fidélité envers la constitution qui place la souverai- neté dans le peuple. Si vous voulez maintenir la fidélité jurée à la constitution, et laisser par conséquent la souveraineté ob elle est placée, tous ne pouvez concevoir la fidélité jurée au prince, que comme un devoir subordonné aux prin- cipes de la constitution , et par conséquent comme un devoir qui bien loin d'être indé- fini, devra naturellement prendre fin s'il vient un jour oti la souveraineté populaire et constitutionnelle le prescrive ainsi. C'est une règle connue, qu'une obligation renfermant deux clauses^, celles-ci doivent s'expliquer l'une par l'antre, et de telle sorte que cbacune d'elle obtienne l'effet qu'elle peut avoir sans nuire à l'effet que doit avoir la seconde. Or il est évident que celui qui jure fidé- lité envers la constitution, entend bien que la fidélité qu'il jure, au même moment en faveur du prince, se concilie avec celle qu'i) jure à la constitution. Il ne se peut point que sa fidélité envers le prince détruise sa » fidélité envers la constitution, non plus que 203 oUpIIBB IX. ' sa fidélité envers^ la constitution exclue toute fidélité de sa part envers le prince. Ces deux fidélités doivent subsister toute» deux, puisque toutes deux ont été jurées. Il ne s'agit plus que de savoir comment on pourra les associer. Toute fidélité prise à part étant absolue et par conséquent exclusive, il est clair qu'on ne saurait les maintenir également toutes deux avec*cette autorité et ce caractère. Car deux obligations également absolues/ ayant une égale autorité l'une sur l'autre, auraient aussi une égale force pour se détruire réci- proquement; et pour avoir voulu deux ser- mens égaux de fidélité, il arriverait qu'on n'en aurait plus d'aucune sorte. Il faut donc nécessairement que l'une des deux fidélités cède àl'autre^ et qu'il y en ait une au moins qui cesse d'être absolue, si la seconde doit absolument continuer de l'être. BVm DU PAKCàDEHT. 309 C'est par la nature des pouvoirs auxquels elles se rapportent, que doit être réglée cette différence; la fidélité la plus étendue demeu- rant an pouvoir le plus étendu , et la fidé- lité limitée au pouvoir inférieur et subor- donné. D'oti il faut conclure que lorsque le conflit s'engage entre la constitution qui dis- pose de la souveraineté, et le prince qui n'y participe pas, la fidélité envers le prince ne sera que ce que la fidélité envers la consti- tution lui permettra d'être, et rien au-delà. Je limite la fidélité envers le prince par la fidélité envers la constitution, plutôt que la fidélité envers la constitution par la fidé- lité envers le prince , par la- raison que ce qui me sert de limite , dans la constitution, est la souveraineté elle-même, que je ne puis transporter au prince , et que je ne pourrais féduire non plus qu'en la déplaçant. Subordonner la fidélité envers la consti- tioa à la fidélité envers le prince , ce serait 20ft aurnsB n. violer le principe même de la constitution , h laquelle le prince est subordonné. Subordonner au contraire la fidélité en- vers le prince à la fidélité envers la consti- tution, c'est maintenir la constitution , sans rien refuser au prince de ce que la consti*» tutionlui accorde. C'est même plus : c'est rendre an prinee tout ce qu'il prétend ; car il ne prétend pas apparemment autre chose que ce que lui at- tribue la constitution. Obligé de faire que les deux sermens co- existent f et que les deux fidélités se conci- lient, je modifie celle, que cette modification n'anéantit pas, et laisse entière celle que la modification anéantirait. Il n'y a pas d'autre moyen d'obtenir que ces deux sermens simultanés produisent ré- gulièrement leur effet. SUITB DU PRjiCBDKNT. TiNsisTB, parce que ce point me semble essentiel. Vous ne pouvez pas Ic^quement , je di- rai même consciencieusement , entendre la fidélité que vous promettez , autrement que 20è OUPITRE X. ne Tentend la constitution qui vous la pres- crit. Vous ne pouvez pas lui attribuer plus d'é- tendue qu'elle ne lui en permet. Vous ne pouvez pas dans un acte que vous ne faites que pour vous conformer à cette constitution et lui obéir , lui désobéir ■ au contraire et lui contredire. Vous ne pouvez pas quand elle ne vous demande que d'être fidèle à une principauté révocable, vous croire engagé par elle-même, comme envers une principauté irrévocable et perpétuelle. Ceci , qu'on y prenne garde, n'est pas une restriction frauduleuse et mentale; mais une restriction logique , nécessaire , patente, et qui pis est , constitutionnelle. Ce n'est pas une restriction que fasse dé- loyalement et secrètement celui qui promet ; c'est une limite qu'a établie sciemment et ou-* ▼ertement la constitution qui lui prescrit de promettre. La constitution exige de lui qu'il prête ser- ment d'obéissance envers elle : c'est ce ger- ment même d'obéissance qu'il tient et qu^il exécute, en ne jurant et ne vouant au prince qu'une fidélité temporaire etconditionnelle. La promesse de fidélité envers le prince élu , est naturellement et essentiellement li- mitée eu deux façons différentes ; par le pouvoir même du prince , et par le droit d a peuple à qui il est redevable de son élec- tion. Le pouvoir du prince étant révocable, l'en- gagement contracté envers le prince à l'occa- sion de ce pouvoir , participe à la même in- stabilité , et s'anéantirait avec lui dans la même révocation. La fidélité promise au prince révocable , ne signifie qu'une seule chose, savoir; qu'on- 900 GBAPITRB Z. sera fidèle tant que le prince ne sera pas ré- voqué. De même> le serment de fidélité n'étant qu'un engagement de sujet i si le peuple qui le'prête » est à la fois sujet en la plupart des choses, et souverain en quelques-unes ou en une seule , son serment» parfait et inyio- lable aux choses où il est sujet , sera sans application et sans force, aux choses ob il est resté souverain. Comme , par exemple , si le peuple a dé- légué au prince tous ses pouvoirs de gou- vernement et d'administration, et s'est réser- vé seulement la faculté d'élire ou de certains magistrats , on ses députés à l'assemblée gé- nérale, ou à la fois les uns et les autres. Dans ce cas la fidélité promise n'enchatne ni n'altère cette faculté. Cette faculté réser- vée étant hors des attributions conférées au prince, est pareillement hors des engage- BORB OU vmicÉonT. aM mens dont ces attributions sont l'uniqne ob- jet. Votre serment est précaire, parce que rautorité du prince Test elle-même; et il est restreint, sinon dans ses termes au moins , et bien certainement, dans son éteii- due , par la raison que votre qualité de su- jet est bornée , et que l'engagement du sujet s'arrête oii le sujet cesse de l'être. L'enga- gement du sujet suppose un sujet. I. ^ DU SBRMBNT PAR RAPPORT A L OPINION COMMUNS. Il y a ane autre considération. L'étendue des eiîgagemens politiques (je ne d|^s pas le caractère) dépend-elle unique- ment de leur forme 7 n'y doit-on faire aucune différence , pour la différence des- temps » des DO SEBMEIT PAB EàMNMlT A l/OPlHIO!l COMMUIIB. 211 nmnrs, des oyimiMifl, des institutions i Ques* tion délicate. Dans les temps de simplicité , de sincérité» de fidélité » il est hors de doute que ces scMrtes d'^n^sgemene doivent avoir tonte l'étendue ff qne suppose leur expression littérale. Ea* tendus et acceptés ainsi , par celui qni les a reçus, ils ne pentrent être «ntendns et exer- çâtes autrement par ceux de qui on les a exi- gés. Plat à Bieu ^que ces temps fussent i'i*- miage du nôtre l Dans les siècles plus avancés et plus cor- lompQs y si de nombreux changemens ont toncRi^tour cenauveié l'état et couCoadu les opinions » la solution deivient moins facile. La ndson naturelle veut que tout soit égid entoe celui qui s'engage , et eelni envers le- quel il s'engage. &i celui enrers lequel vous vous engagez eoÉend votre engagement et le sieai d'une antre aaanière que vous , ce n'est plus qu'une 312 ' CHAmWE II. duperie : l'égalité et la réciprocité dispa- raissent; un jurisconsulte dirait qu'il n'y a plus de lien. Je trouve sur cela deux règles : Tune, que Tengagiement ,' quels que soient ses termes , n'obl^ que pour les choses à l'égard des- quelles celui auquel on s'est engagé , a com- pris que Ton s'engageait envers lui; L'autre, qu'on n'est obligé qu'autant que celui envers lequel on s'est engagé , se aérait cru obligé lui-même , si c'était lui qui se fût engagé. C'est que l'étendue des engagemens de toute sorte , dépend principalement , non pas comme on l'a dit q^uelquefois , de l'intention secrète de ceux qui contractent , mais de l'opinion commune de ceux qui contractent et de ceux envers qui ils contractent. Voilà ce qui fait, qu*à mon avis, jugeant sans partialité et sans prévention , les enga- gemens publics ne peuvent s'interpréter sai- ou SBBMEHT PAR BAPPOBT AX'OPJMOH tiOMlliniB. 3iS nement que par ropînioa du public , c'est- à-dire par l'opinion qu'on en avait généra- lement au temps oJH ils ont été contractés. A plus forte raison , si les^ institutions de ce temps en favorisent les opinions , ou , en autres termcs>, si les. institutions sont telles par leurs formes et par leur principe j qu'elles limitent elles-mêmes ces gngagemens , ainsi que le font les opinions. Toutefois f il ne faut pas s'y méprendre : ceci ne s'applique qu'à l'étendue et à la durée de l'engagement , nullement à son caractère. On peut bien rechercher ce que signifient, selon le langage et les institutions du temps, l'obéissance y la fidélité , la perpétuité ; s'il y est question d'une perpétuité absolue et illimitée , ou d'une perpétuité relative et conditionnelle, qui ne s'étende que jusqu'à un événement possible et prévu ; si la fidé- lité dont.il s'y i^it est prise pour une véri- table fidélité y c'est-à-dire pour ce sentiment 214 CttAmU n. siftcère , profond et ÎAaliérabk , qû se pose d'amoasy de dèTOuemenl et d'abnéga- tion,, oa ai elle est priac seoleioeat po«r cette sorte de devoir i|ifti oblige à laisser faire et à obéir tant que l'on commande. Mads ee qu'on ne peut point, c'eat de mettre eu donte si ee qai est en effet dans l'engagement» ce qu'on a réellement' et scieaa- ment promis, selon l'acception aotaeDe et généralement reçue des termes , on l'a pro- mia i titre sérieux et inviolable. La limite de l'engagement une fois connue,, ce qui s'y troure enfermé par l'opinion com- mune est sacré. Je conçois qu'on acoorde à l'infirmité du temps , que la réalité de l'en- gagement se puisse cbercber bors de la si- gnification apparente (ks mots. Mais cette réalité enfin découverte , il y a , quant h elle, obligation pleine et parfaite. Interprètes; ne violez pas. Interprétez pour savoir le vrai, puisque le serment ne peut comprendre en IMJ SBBMEHT PAR EAPPOKT A L'OPllfOl GOIIIIIIBB. 2tô effet que ce qui est vrai ; mais ne supprimez pas à ' la fois la vérité et la fiction » sous le prétexte que quelque fiction se mêle à la vérité. Borné qu'il est , ce serment n'en est pas moins un serment* Si Iç siècle en venait à croire que le serment ne fût rien du tout , suive son siècle alors qui voudra ! DB LA SQUVBBÂINETE POPULAIRE. Rigoureusement 7 je n^aurais nul besoin de dire ce qae je crois de la souveraineté po- pulaire ; si je la crois vraie ; si je la crois lé- gitime ; si je la crois ou absolument y ou re- lativement légitime et vraie. DB LA fOUVBBAUnré VOPOLAIEB. 217 Je prends une certaine constitution y et je Texamine. Je Tezamine non dans son priu^ ripe, mais dans les conséquences de ce principe. Que ce principe soit bon on mauvais , fa* vorabletMi penùèieux, il a'importe. Il m'im- porterait peut-être beaucoup autre part; mai& ici, d'aucune façon. Et même , que les conséquences , quoique ce soit elles que je cbercbe, soient ou parais- sent heureuses ou funestes , à quelques uns ou à tous , ce n'est pas non plus de quoi la'occuper*. Mon seul intérêt dans cette dis- cussion, est qu'elles soient justes. Si le principe , ou du moins son étabks- sèment était de mon faiti ce serait autre chose. Mais il n'en est pas, grâce à Dieu. Disons toutefois quelques mots touchant ce principe. L'homme a été créé sociable, et cette fa- culté révèle la fin première de sa création. 21B OUKIBBin. Famille, triba, peuple, natiœit ce sent les degrés que pareoiirt sa race. La société politiqve est sa destination pri- mitive et essentielle , sur la terre. Nulle société politique , A elle n^est pas gouvernée. Elle est parce qu'on lagonvome; on la gonvenie parce qu'elle est* Ce qui gouverne une société politique , est nécessairement antre dbose qm'elle^mânie. Gonvemer, c'est agir sur. Un peuple agit bien sur lui-même , mais aveuglément et à son insu. Il ne saurait agir de cette ac^on constante et éclairée qui est on doit être Fac- tion du gouvernement. L'organisation du peuple, comme peuple, et comme peuple gouverné , ne dérive donc pas de deux principes distincts , subordon-- nés , successifs , engendrés l'un par Pantre. Elle dérive d'un principe unique , et par conséquent égal, contemporain, uniforme. Elle dérive de la sociabilité de Tbomme. Le peuple n'est p8s la ^nie ei primitife source da gouyernement. Il en ett VchfiU Le peaple est Fob|et dn gouvetnemcol r non seulement pour en être gouverné » m$U pour en être bien gouverné* Le peuple n'est'bien gouverné, qu'autant qu'il est gouverné selon lea beseîna que lui imposent les divers aeeidèns de son existen- ce politique* Et pmoe que ces accidens ne dépendent pas de sa volonté , les formes de son gou-* vemement ne peuvent pas non plus en dé- pendre. M'est pas monarckie ou république, qui veut. Le penpk n'est donc pas le mattre. Le principe de la souveraineté qui s'eaerce sur lui , est donc bors de lui. L'bomme isolé a bien plus d'autorité sur lui-même, que n'en a le peuple; car TbouMne 2Mr GiuniBi xtft peut TOttloir périr , et le peuple ne peut pas avoir eette volonté. C'est pourquoi il ne peut résister long- temps à la forme de gouvernement que la nature des choses lui impose. Or ce n*est pas lui qui la crée, cette nature. des choses» que je sache. Ha le nombre , et par conséquent la force, et s'il lui vient en fantaisie de faire abus de cette force , il peut bien faire aussi de témé- raires essais d'établissement , qui subsistent le temps que Dieu veut. Alors voyant son ouvrage , il s'en glorifie , et ne doute plus qu'il ne soit en effet la vraie source de Tan- torité. Mais l'expérience se fait à la laïque , et le plus souvent elle est dure». Après quoi , l'illusion dissipée , il est bien contraint d'a- vouer, que tout ce qu'il entreprend cobtre la force extérieure qui pèse sur lui , n'a ni fondement, ni durée. Tel peuple ne peut pas plus se soustraire DK LA SODVBBAIUBTÉ POPIJLAIRB. Tïi à Idle forme et à tel principe de gouverne- ment , que tous les peuples ne peuvent se passer de toute sorte de gouv^emement. Le peuple n'étant le mattre , ni de n'être pas gouverné 9 ni d'être gouverné d'une certaine façon, quelle plus forte preuve qu'il n'est pas vrai qu'il soit souverain ? Il y a deux choses dans la souveraineté : sa source y et son exercice. ^ source , j'ai déjà dit où elle est. Son exercice, en quel coin de la terre est-il possible pour le peuple ? A quelles conditions de pauvreté , de sim- plicité , d'oisiveté , d'obscurité , n'est pas soumise cette exception , où qu'elle soit? Tentends bien que la souveraineté n'est pas le gouvernement ; mais entendez-vous même qu'elle le comprend. Comment imaginez-vous que vous puissiez être souverain, si vous ne gouvernez pas, et si vous ne pouvez même fonder un gouver- neoKeaty qu'em satit&îsaiil ans exii^ences d'-une mflexiUe néDesmté quiTMissobjnguc, et qui T«BB étfeint? Le peiifte, dites-rous, n'itislxtiie, ni ne gT>nyei'ne en réalité; mais si bien parle droit, « et airec l'aide d'une Et qu'est-ce qu'un droit qu'on n'exerce pas, ou qu'on n'exerce que par une fiction, ou qu'on n'exerce que pour se nuire, ou qu'on n'exerce que par une impulsion qui vient d'ailleurs? Le droit qui ne «'exeree» lu ne ise pourra ej:ercer, n'est pas un droit. Le droit de se nuire est le contraire d'un droit. Is droit réduit i un^ fiction, est un mexusonge et n'est pas. Le droit qui ne s'exerce que sous l'in- fluence d'autrui, est le droit d'autrui. La tulèle du miaecr n'-emifèdm yoimt que ice mineur n'ait des droits; car le teasps iriendra qu'il les poucra texeKer. il iomêen DE LA saorimiBwii pirrBAAniKn& FOPCLAIRB, 329 VOUS prie? Son autorité? son autorité sur lui-même? Il alira un mandataire j|ui ne sera point en sa dépendance , mais en la dé- pendance duquel il sera? Un mandataire qui sera son maître , et dont il ne le ëera plus ? Ne voyez-vous point que c*est encore un abus de mots , et que rien n'est plus op- posé à la nature de la délégation et du man- dat, que ce que vous qualifiez de ce nom? Puis le mandat concédé, que sera le people? Sera->t^ii touj<)urs souverain, lui qui se coitfnlMderà plus ; toujours souve- rain, kii qui nfo c^ssern plus d' obéir? Est-il du smrveruiii'ifidii^iil^^ii de coibiiaânder? Et où. rtsld^tf 'te ' sfottvei^neté dont le commandement est un principal attribut, pendant que le peuple réduit à Tobéissance n'aura d^autre condition que celle du sujet? Me direz-vous qu'elle sera dans le prince? Il est donc de l'essence de votre souveraineté populaire d'être babituellement ailleurs que 23a GBAFITaE XU. dans le peuple? Obi la merveilleuse prérc^a- tive qu'on ne possède que pour la subir, et qu'on n'obtient que pour la laisser exercer par d'autres l Me direz-vous qu'elle ne sera pas dans le prince? Elle ne sera donc nulle part? Ad- mirable souveraineté dont le caractère est qu'elle ne soit qu'à peine une fois et un jour, pendant de longs siècles I Confesse^-le donc h . la souveraineté popu- laire n'est que la négation de la souveraineté. Vous en donnez l'apparence au peuple, pour en dtec au prince la réalité ; vous ôtez la réalité au prince sans pouvoir donner au peuple autre chose qu'une stiirile et fausse apparence, . . : . : .. DBS 8BRMBN8 8DGCBSS1F8. Reprknons : le serment défini, il reste encore à savoir quand on peut le prêter , et dans quel objet. Dans les temps et dans les pays ob se for* ment sucessivement plusieurs oi^anisations 212 CHAPITBE JUII. d'État , si roi^anisation qui précède établit la souveraineté dans le peuple , et celle qui succède, la souveraineté dans le prince, le problème à peu de difficultés. Il n'implique point que les sujets ayant fait un serment durant la première, fassent encore un autre serment à la formation de la seconde. Quand la souveraineté est placée dans le peuple, les sermens du peuple envers son gouvernement ne sont, quoiqu'on fasse, que « des sermens d'obéissance, puisqu'ils ne pourraient aller jusqu'à la fidélité propre- ment dite , sans engager et déplacer la sou- veraineté. Or, l'obéissance est rdalive au comman- dement. Qui ne commande plus ne peut plus exiger qu'on lui obéisse* Tout serment borné à l'.obéissance est naturellement tem- poraire. On en est relevé par la fi:n du com- DES ftEBMBNS ttUGCBMirs. S3S mandement, comme on est relevé du ser- ment de fidélité par la mort. Ce terme arrivé, et le serment n'existant, plus, ou n'obligeant plus, rien ne s'oppose à ce qu'on en fasse un nouveau ; pareil ou différent, peu importe. Mais si l'oi^anisation qui précède place la souveraineté dans le prince , et que celle qui succède la place au contraire dans le peuple, l'embarras est considérable. Il ne s'agit plus alors, comme dans le premier cas, de substituer seulement un serment de fidélité à un simple serment d'o- béissance; c'est-à-dire un serment absolu et irrévocable , à un serment révocable et conditionnel. Il s'agit de faire qu'un serment de fidélité, antérieur coexiste avec un serment postérieur d'obéissance, et qu'il n'en soit pas altéré. Obéir à l'un sans cesser d'être fidété'à Vautve , cel» se^ ff(4.t*^îl l 234 CHAPItRB XIIL Au premier aspect , cette proposition choque et révolte. Il faut pourtant examiner et approfondir. La fidélité comprend le service et Tatta— chement. C'est à l'attachement que se rapporte ce que la fidélité renferme de perpétuel. Cela est ainsi, parce que cela peut être , et que l'attachement dépend uniquement de la vo- lonté. Il n'en est pas de même du service. Ceci n'est plus un sentiment qui est toujours libre, mais une action qui peut ne l'être jamais. Tant que l'action est possible , le service est dû. Quand elle n'est plus possible , il ne reste d'obligatoire dans la fidélité que ce qui est encore possible , c'est-à-dire l'atta- chement. Ainsi, le prince commande; ses sujets le DBS SEBUMS SDGCBSSIFS. 335 servent II cesse de commander; ses sujets cessent de servir. Heureux ou malheureux, il -n'importe point. Ils servent pourvu qu'il commande. Mais s'il ne commande plus, comment se pourrait-il qu'ils servissent? , Leur serment ne les obligée pas à se com- mander eux-mêmes à la place de celui qui en a perdu le pouvoir. S'il l'a perdu par la force^ c'est que la force de ceux qui ont méprisé leur ser- ment, l'emporte sur la force de ceux qui l'ont respecté. Hais quand ceux-ci se commanderaient à eux-mêmes, afin de continuer à servir, ils ne le pourraient sans rencontrer la même force qui a surmonté celle du prince , et par conséquent sans s'exposer à périr. Or, pette extrémité qui peut devenir un devoir tant que le prince exerce ou défend 230 CHARITES SIU. ses droits» ne doit jamais Têtre quand il ne les défend ni ne les exerce. Il y a pour les sujets cessation ou inter- ruption légitime de l'obligation de servir, quand il y a,. de la part du prince, cessation ou interruption de T exercice du droit de ■ commander ou de résister. ■ Sans quoi, il faudrait admettre que le devoir de fidélité comprend un devoir indé- fini d'actions violentes » insensées et infruc- tueuses ; ce qui est absurde. Mais l'interruption survenue, l'Étatchange seulement et ne périt point. Ce ne sont plus les mêmes personnes qui commandent; toute fois il y en a encore qui commandent. Quel est alors le devoir de ceux qu'engage un serment antérieur de fidélité? Obéir; car il n'est pas en leur pouvoir de détourner d'eux ce malbeur. Ils le doivent four eux , poar l'État^ pour le prince absent. A qwoi sertiviôft levr^ ohsti^ DBS iBBlIBVS WOCBflSlFft. S» nation y si ce n'est à désoler FÉtat, et à di- minuer intempestivement et sans fruit le nombre des bons serviteurs \ Obéir : c'est le précepte de la reli^on chrétienne; de cette religion si sévère sur les devoirs , quoique si indulgente pour les fautes. Il est donc prescrit à la fidélité même d'obéir. Or 9 si l'on est tenu d'obéir, comment se- rait-il interdit de le promettre? Quelle dif* férence la morale fait-elle entre la promesse et l'obligation? Qu'importerait qu'on ne pro- ■ mit point , puisqu'on est obligé? qu'importe, puisqu'on est obligé , qu'on l'avoue et qu'on le promette? Si l'on est tenu d'obéir , cette obligation n'est donc pas inconciliable avec la fidélité ; car il est certain qu'on est tenu d'être fidèle, et si cela était inconciliable, il ne serait plus vrai qu'on fût tenu d'obéir. SSa GBAMIBB SOI. Si, le devoir d'obéissance étant reconnu , la promesse qu'on en fait n'ajoute rien au devoir, la promesse d'obéir ne saurait être inconciliable avec la promesse d'être fidèle, puisque les deux devoirs ne sont pas eux- mêmes inconciliables* La promesse d'obéir , qui est essentielle- ment temporaire et conditionnelle , pourrait donc coexister avec la promesse d'être fi- dèle y qui est absolue et irrévocable/ imârnmmxxw. DE L'OBIÎISSANCE. Mais il faut prendre garde à ce qae signi- fient la promesse et l'obligation d'obéir. Obéir et servir ne sont pas toujours ni en tout point, deux choses semblables. Il y a une obéissance de nécessité . comme IftO CBAPITU XIY. un service d'obéissance. C'est en quoi le service et Tobéissance se rapprochent. Mais il y a un service volontaire et libre ; celui-là diffère beaucoup de l'obéissance. Le service prescrit et imposé par Tobéis- sance , est licite quand l'obéissance Test elle- même. Le service libre est hors de l'obéissance , et peut être illicite quoique l'obéissance ne le soit pas. La promesse d'obéir , qui se fait par né- cessité', comprend la première espèce de service , et exclut l'autre. Ainsi y lorsque vous aurez fait la promesse qui s'explique par l'obéissance, j'entends bien que vous servirez en tout ce qu'on près- crira et exigera. Tous le' devriez quand n^ême vous ne l'auriez pas promis. Tentends même que voua ferez^ à la fa- veur de cette promesse et des lois , tout ce DE L'OBBIMAMGK. 2ftl que vous estimefez nëcessaû^ et avantageux pour le bien public. Mais je ji'entends ni que vous songiez. à retirer un avantage personnel et privé de cette prome3se, ni que vous serviez dans les choses qui ne sont pas exigées» et qui ne seraient utiles qu'au gouvernement auquel vous ne voulez qu'obéir. La nécessité seule formant l'obligation et justifiant la promesse, ces choses-ci, qui n'ont assurément rien de nécessaire, ne peuvent être ni dans la promesse, ni dans l'obligation. Il ne faut pas confondre d'ailleurs , sous une constitution telle que celle que j'ai en vue , le serment que l'on prête comme ma- gistrat , et le serment que l'on prête comme peuple, c'est-à-dire comme membre du sou- verain. Le peuple qui jure à l'occasion de son droit n'est pas censé faire un serment con- 1. i() 242 'CRAPRRB XIV. traire à ce droit. Il serait inique et absurde de prétendre avoir combiné le» choses de manière qu'il ne pût exercer son droit sans Valiéner. Un droit qu'on ne pourrait exercer sans l'aliéner, ne serait plus un droit : on serait conduit par-là à nier la souveraineté du peuple sous une constitution qui Fat' firme. Le magistrat, au contraire, ne jure pas pour un droit , mais pour un devoir* CSe de- voir , étranger à ses droits conune homme du peuple , il ne l'aurait pas s'il restait dans les rangs du peuple ; il ne l'a que parce qu'il lui platt , ou qu'il y consent. Il l'accepte tel qu'il est , et tel c^u'on l'impose ; il le prend volontairement avec ses avantages et ses con- ditions. Le serment donc qu'il prête librement et de son plein gré ne trouve pas, comme l'autre , sa limite légale et essentielle dans le fait même qui en a été l'occasion. Car il DE L'OBélSMHCB.. M n'est pas essentiellenient contraire au devoir de l'office qu'on reçoit du prince , de s'en- gager à ce prince à perpétuité , tandis qu'il serait essentiellement contraire au droit de souveraineté ^ que celui en qui il réside s'en- gageât à perpétuité envers celui en qui il ne réside pas. Il est donc naturel que ce serment -là oblige autrement que l'autre , et plus rigou^ reusement. C'est une raison de plus pour s'en abste* niri puisque la nécessité n'y est pas. DE l'obéissance PASSIVE. Ce qui précède revient , à quelques diflTé- renées près , à Tancienne distinction de l'o- béissance active et de T obéissance passive. Je n'adopte pourtant pas cette distinction, quoiqu'au fond mes principes ne diffèrent DE L^OBilSAAliCB PAMIYK. 349 point des principes de ceux qui l'ont établie. Une obéissance réellement passive, je n'en- tends pas ce que c'est (1). Ce qui est passif reste inerte; il a'exprime,ne montre, n'^écute rien. Ordre ou menace», il souffre^et illaiçsq faire. Mais lui , il ne fait point » pas même pour ne pas souffrir ; car s'il faisait, ii ne se-^ rait plus passif : il serait actif. Obéir , c'est agir ; c'est recevoir un ordre et l'exécuter; c'est conformer ses actions k eet ordre. L'obéissance qui n'agirait pas serait le contraire de l'obéissance. Toute obéissance étant donc active , s'il y a une distinction à faire » elle ne peut pas (i) l'ai retroa^é avec iine'yive satisfiiction , la même pensée daus Tan des meilleurs ouTrages d'un homme qui n'en a fiiit que de bons. « On a long-temps disputé chez > nos voisins « a dit M. de Bnnald , sur l'obéissance passive » au souverain ^ et ils ont fini par la résbtance la plus • active. Us n'ont jamais bien entendu cette question. » L'obéissance an contraire doit être actis^e pour être 9 entière, et la résistance /^riijiVcf, pour être insurmon^^ • table. • Pensées liiverses , page 4^. SftO CHAPITRE XT. être dans robéissanoe même , mais dans ses effets. C'est ce.qui m'a fait transporter les distinc-' tiens dans les services » qui sont les effets lé- gaux de l'obéissance. Ç^AWgWmMX9^. DB LA SOUMISSIOir, II. n'est pM rare de voir des personnes à qui lenrs répugnances font; illusion , et qui , par une crainte louable de manquer à leur devoir , Tentèrent. Ces personnes se fatiguent à chercher je DB ^k NâCBSSITÉ. Tai beaucoup parlé de nécessité; il est à propos d'expliquer ce que j'entends par ce mot. La nécessité est ce qui fait qu'on ne peut omettre ou refuser de certaines choses , sans DE LA H^CEMITÉ. 251 s'eiposer à un mal prochain et considérable. Rigourensement , il n'y aurait de néces- saire que la vertu et la mort ; car , à qui ne voudrait pas éviter la mort, le monde ne pourrait rien imposer d'inévitable. Mais la conservation de Thomme étant une loi et un devoir de nature , la plupart des choses qu'exige cette conservation sont en effet né- cessaires. Ce que l'on fait pour préserver et pour garantir, est ce que j'appelle nécessaire; ce que l'on fait pour acquérir et pour profiter , ne Test pas. Beaucoup de choses seraient l^itimes dans le premier cas, qui , dans le second , seraient inégulières et répréhensibles. L'ordre naturel ne produit qu'une néces- sité simple et commune, qui n'a pour objet qae la conservation de Thomme. L'ordre politique admet une nécessité plas variée et plus étendue , laquelle a deux 252 CHAPITRE XVII. objets distincts et cependant identiques, savoir * la sécante de l'homme , et le bien public 9 qui est lui-même un grand principe de sécurité. Dans le premier état , la nécessité ne s'entend que des besoins et des dangers ma- tériels. Dans le second, elle s'entend en outre des besoins sociaux et par conséquent intel^ lectuels . Dans l'un, il n'y a d'autre bien que la vie ; la vie est l'unique source de tout ce qui importe à l'homme, et par conséquent' de toute nécessité qu'il puisse éprouver ou connaKre. Dans l'autre , qui est bien plus compliqué, la vie se complique elle-même , et comprend la vie matérielle et la vie civile , deux sources également légitimes de nécessités. Je reconnais donc , dans Tordre social , deux nécessités : l'une directe, qui affecte DE LA Kàcsasaà. 253 I immédiatement la sécurité de l'homme; l'autre indirecte, qui affecte médiatement cette sécurité par les troubles qu'éprouve Forganisation de l'état. C'est une erreur à mon avis de penser qu'on soit moins soumis à l'une qu'à l'autre. S'il est licite d'obéir pour satisfaire à la né* cessité de préserver sa personne, il ne peut pas être illicite de céde)r, en suivant les lois, à la nécessité de préserver l'État et soi- même. Il ne se peut pas que le danger de l'État produise une nécessité moindre que celui de l'homme; ni que cette nécessité, à son tour, produise de moindres facultés et de moindres *droits. On peut donc se soumettre pour sa sûreté, et faire en outre pour la sûreté de l'État , ■ quand on s'est soumis, tout ce qui peut se faire sans manquer au devoir de l'obéissance. On peut, par exemple , dans un État oà la 75à CHAPITRB XTIL souveraineté appartient au peuple , exercer librement le droit d'élection ; l'exercer selon ses vœux et selon ses vues ; Texercer pour le plus grand bien de TËtat , comme on le désire et comme on l'entend. C'est là ce que j'appelle, dans l'ordre politique, obligation et nécessité. Je dis même plus : comme c'est par-là que s'exerce' principalement la souveraineté qui appartient au peuple , il n'est pas admissible qu'aucun serment , quel qu'il soit» puisse avoir l'effet de gêner cette faculté ; sans quoi ce serment détruirait la constitution même au nom de laquelle on l'exigerait ; car il im- pliquerait que le peuple fût en même temps souverain, et assujéfi dans l'usage de sa souveraineté. En toute constitution d'état qui attribue la souveraineté au peuple, aucun serment ne peut s'interpréter en un sens qui impose de la contrainte au droit d'élection. DB LA mfcCBaUT^ 35S Je rayais déjà dit; mais c'est une vérité que tout rappelle , et à laquelle il faut tou- jours revenir* \ OMMmmM XTIII CONCLUSION. • Je tirerai de ce qui précède trois résultats principaux. Le premier , que le serinent i engagement sacré et inviolable, doit être gardé et observé religieusement y non pas selon ses appa- renées et ses fictions » mais selon son esprit et sa vérité : Le second, que là oii la souveraineté ap-. partient an peuple , les choses qui consti-* tuent sa souveraineté sont essentiellement et nécessairement exclues des sermens qu'il prête au prince et aux magistrats : Le dernier, que la nécessité qui fait que Ton obéit légitimement , pour sa sûreté , à ce qui est établi , peut faire aussi qu- on agisse légitimement pour le bien et la sûreté de l'État, en usant et profitant de ce qui est élabU. Triste condition de ce temps : Ton ne s'ai* tend plus. Les mots et les pensées 1 ne sont plus ce qu'ils ont été. Serment, parole im- muable et sainte, qu'ètes-vous et que voulez* vous? En vous se confondait autrefois tout ce qu'il y a de plus noble dans l'esprit do ' l'homme : la bonne foi , la loyauté , le renon- cement de soi-même. Vous voilà changé, I. 17 2S8 CBAPITBB Xflll. comme tout le reste. On vous mesure au- jourd'hui, on vous réduit, on vous inter- prète ; on cherche quelle est votre étendue et votre durée ; on veut savoir à ipiellc limite il sera possible de vous arrêter. Et ^ ce qu'il y a de plus triste , il se trouve qu'on a raison d'en agir ainsi. La foi absolue serait une faute ; l'entière observance de la parole ex- primée , une abdication de son droit , une trahison envers autrui et soi-même.On s'était accoutumé , soi sujet , à s'engager sans ré- serve envers un prince qui était souverain; il faut apprendre jusqu'où l'on s'engage , soi souverain , envers un chef qui n'est ni sou- verain ni sujet. Il faut apprendre comment il n'y a plus de fidélité qu'à l'égard de ce qui n'est point , et comment on distingue et dis- pute sur l'obéissance même envers ce qui ' est. Triste condition de ce temps ! LIVRE TROISIÈME. I82S— 1830. • * . . Vtf iecundàm vota Parihorum ,««4 Urbs hase periret dexterà, HÔBAT. Epod. 7. TABLE DU TROISIËIIE LIVRE. Avertissement. Gbap. I. Dialogaede8iiK>rls.—Foy y Camille Jordan. 8. Dialogue des morts. -«-Z et T. S. De la dénominatioQ da gouremement. 4. De la majorité. 5. De la direction du gouTemement. 6. De la prérogative. 7. De l'inaction. 8. Des coops-d'état. 0. Delà réaction. •10. De la possession. AVERTISSEMENT. Pliisîeom dbApitres de ce Uvn oot été écrits an pea avaaft ma captivité. Je les y laisserai cependant : d^ abord , parce que les 26S AYBKTI88£HBIT. questions du droit parlementaire qu'on j verra débattues » ne seront jamais tout-à-fait dépourvues d'intérêt en France > tant qu'il y resterfi quelque ombre de cette sorte de gouvernement. Outre cela, ces questions étaient de celles du temps , et ce temps lui- même ayant amené celui oà nous sommes > il ne saurait être entièrement inutile de rap- peler au second les débats et les einbarraa de son devancier. Pour moi, aux yeux de qui ces deux époques se lient si étroitement qu'elles sont tout près de se confondre, il s'en faut de bien peu que je ne croie dire les pensées mêmes de ma captivité, quand je répète celles des jours qui l'ont préparée. D'autres chapitres d'ailleurs., plus fidèles encore à mon titre , ont été réellement écrits depuis que je ne suis plus libre. Je les écri- vais à Tours , tout au c<»mmencement de mes misères , entre des dangers bien réccns, et d'autres dangers encore inconnus , mais menaçans et prochains. Je les écrivais sur la table étroite et boiteuse de ma première pri- son^ ayant pour témoin le volontaire assidu, qui, son mousquet chargé et armé , obser- vait avec la plus docile attention tous mes mouvemens. Il n'eût probablement pas soupçonné ce que je faisais y et ne doutait guère que ces pages où je m'attachais avec tant d'application ne fussent quelques frag- mens préparés pour ma future défense. Il n'imaginait pas à coup sûr que bien loin d'en tourmenter mon esprit, je ne travail- lais qu'à l'en détourner. Car on ne sait pas assez combien l'opiniâtre contemplation d'un malheur le rend plus pesant , et de quel avantage il est pour en soulager le far- deau, de se contraindre à quelque travail dif- fioile , qui lui so'A étranger. Uu peu de lec- ture suffisait à' Montesquieu pour ses rares et faibles chagrins. A des chiens plus pro- fonds, il faut de plus actifs et plus effi- CAces remèdes , et j'ai fait Tépreuvc que le moindre essai de composition pouvait y servir* DIALOGUE DES MORTS. CAMILLB JÛRDAN ET FOT. a5 mars i8a8. Uif soir 4'bîv^r > le temps étant rigoureazt je lésolus de ne pas sortir de ehes moi. Je pris sur mes tablettes Milton et Yiigile , et passAnt tour à tour de la peioture de l'Ely* sée à celle d'EdeUt j'employai délicieusement 266 GHAPITBB I. la veillée à comparer le génie des deux lan- m gues et des deux poètes. Ua publiciste mo- derne était malheureusement sur ma che- minée. J'y jetai les yeux un instant , presque par hasard et par distraction. Ten lus quel- ques pages ; il était déjà t^d,. et je m'endor- nûs. Ce mélange de politique et de poésie con- tinua de m^occuper l'esprit pendant mon sommeil. Il me vint un songe qui retraçait, comme il arrive quelquefois , une image confuse des impressions que mes lectures du soir m'avaient laissées. J'étais transporté, sans que je puisse dire comment , au milieu du plus riant paysage. Des coteaux fleuris, des eaux tranquilles et lentes; une clarté ineertaine \ un air doux , quoique épais et , lourd, un calme inconnu; à peine un tiède zéphir qui plongeait les sens dans de molles langueurs ; des prairies sans fin ; des forêts immenses, toutes de cyprès, seul accident CAMILLE JIMIDAB ET FOY. 267 qoi répandit un peu de tristesse dans ce ma- gnifique séjoor; une multitude innombra- ble d'itres divers toujours agités, mouvement prodigieux d'où ne sortait jamais aucun bruit. Je reconnus l'Elysée, et n'ayant éprouvé aucune souffrance, mon premier sentiment fut une 4ouce surprise en voyant combien peu il en coûtait pour mourir. D'autres réflexions vinrent bientôt me dis- traire. J'étais confondu de l'impression que faisaient sur moi les objets inconnus dont j'étais entouré. Je ne comprenais pas que n'ayant déjà plus la vie, j'éprouvasse tou- jours les sensations qu'elle produit. Ce que je voyais plaisait encore à mes organes éteints, et je continuais de sentir le. même besoin de connaître, comme si le souffle d'intelligence qui m'avait animé ne s'était pas retiré de moi. Pendant que je méditais sur cette obser- vation qui troublait toutes les idées que j'a- 208 GOAPITHB I. vais eues » lorsque j'en ayais , deux de ces êtireadottt j'ai déjà parlée ^^^^f eomtiie mot t la forme humaine , s'arrêtèrent si ]irte « du tieu oti j'étais , qu'ils attirèrent sur eux mon attention. Leurs bras. s'a{;itaiettt coiiime au temps où, jouissant encore de la Vie $ ils cherchaient dans le geste une sorte d'eii- pression pour fortifier celle du langage. Un souffle y un sbii inarticulé sortait de leur bouche. On- eût dit Je rie sikîs quel jjlttiulacre muet delà voix et de la phtole. Frappé plus que je ne puis dire d'um pateil spectacle, je voulus savoir si c'étidt un bruit que mon ouie pût encore saisir. le prêtai l' oreille : j'enlendm; assez distinctement qu'ils par- laient' de 3Pmace. J'approchai de plus près , et dans ces têtes blanches et froides, comme nos slàtnes de marbre , je reconnus » quoi- que avec peine , les traits effacés de Camille Jordan et de Foy. C'est la première fois , disait celui-ci ,. CAMILLE HÏÊDAM ET FOT. 200 que je regrette la vie depuis que je Tài perdue» Pourquoi donc.? démanda Camille Jordan. Si noui étions en ce moment surlaterrc, imprudeas eL. passionnés comme le sont la plupart de^ hommes , nous serions en** traînés par le mouvement politique qui se prépare daos notre pays ^ et nous n^aurions , vous et moi y ni assez d'autorité sur nos par* tisans , pour leur inspirer de sages résolu^^ tiens, ni assez d'empire sur nous-» mêmes pour refuser de les suivre et de les seconder dans leurs entreprises. FéUcitons-nous bien plutôt d'étte éloignés du théâtre des errieurs humaines 9 et rendons grâces & la mori de rimpniss'anpeoii nous- sommes dé prendre part aux événemens qui vont peut«-ètre ré* nouvelér les malhisurs . ^e la France. f aurais été saMsfflit ; reprit Toy^d'assistinr à la ehùte de radknihistratioit que j'ai ^i long-temps combattue, fille- a- fait beaucoup 270 GHâPITBI L de mal à votre parti et au mien; peut-être même était-ce la seule qui pût dans ce temps avoir à la fois assez d'adresse et de force pour nous faire un mal profond et durable. Heureusement elle avait reçu dans son sein » dès le moment de sa formation j le germe actif et puissant de son affaiblissement et de sa ruine. Ceux de ses membres qui s'é- taient montrés 9 dans nos luttes parlement- taires , favorables à la liberté de la presse » et qui croyaient peut-être de bonne foi lui devoir une partie de leur triomphe , ne pou- vaient pas changer tout à coup de langage et de politique. C'étaient des engagemens authentiques qu'ils voulaient tenir. Ils entreprirent de prouver quef les par« tisans du pouvoir royal pouvaient gouverner avec les instrumens populaires. L'idée était généreuse et hardie : ils ne se trompèrent que de temps. Gela eût été vrai , si, dèst cett^ époque la monarchie nouvelle eût été asses CAMILLE JOMDAa ET TOY. 271 affermie pour que les grandes questions qui intéressent son existence et sa sûreté fussent hors d'examen et de discussion. Ils ne pro- fitèrent pas ou ne purent pas profiter des leçons de Texpérience ; ils crurent trop ce qu'on leur répétait » et ce qu'ik répétaient eux-mêmes chaque jour , que la liberté de la presse dépend exclusivement de la nature du gouvernement établi ; ils oubliaient qu'elle dépend encore plus du temps que ce gonvernement a duré. Ils partageaient probablement l'injustice de ceux qui reprochaient avec dérision à la république française d'avoir opprimé cette liberté. Elle ne l'opprimait que pour n'être pas ell^même opprimée , et parce qn'aucun^ « gouvernement ne s'établit avec cette liberté, pas même les gouvernemens populaires dans les pays qui en ont eu d'autrei. Ils ont succombé comme aurait suc- combé le gouvernement de Charles .second 272 CBÉHimB L et de GiiilUame » si la libeité de la presse pé»riodiqoe avait eziaté de lenr tempe. Une seule chose m'étonne , c'est qu'ils aient réussi à retarder leur chute pendant tant d'années. Il est vrai que le changement de règne» en r^ouvelant le mouvement des af« faires 9 a renouvelé aussi naturellement lear pouvoir et leur influence. Cela est certain» dit Camille Jordan : cette administration» formée avec le secours de la liberté de la pressé , ne pouvait pas éviter de se servir d'elle quelque temps.Mais cet état de choses ne devait pas être de lon« gue durée , parce que le principe de la H~ berté de la pressé était opposé au principe apolitique' qui servait d'appui à la nouvelle administration. Il fallait qu'elle mit promp- tement de grandes restrictions A cette li^ berté » ou qufelle se tésigûAt à pénr sons ses attaques. Mais ce n'est pourtant pas la seule cause GAXlUiB JOftDAH ET POT. 373 de sa défaite. Il n'y a rien de simple dans la politique ; et si Ton en excepte la mort des rois , je ne connais aucun événement qui ne soit l'effet d'un grand nombre d'autres. Les cabinets de l'Europe se font , dans la paix 9 une guerre sourde , qui a ses chances bonnes et mauvaises. Ils agissent et réagis sent perpétuellement les uns sur les autres. On a YU dans le dernier siècle de puissans monarques faire alliance pour obtenir le renvoi d'un simple ministre. Âlbéroni? Je le sais, dit Foy. Mais enfin nos adversaires n'ont plus le pouvoir , et je crois cet événement très important et très* heureux pour la France. Important? reprit Camille Jordan ^ je n'en doute pas ; heureux ? je n'oserais l'affirmer. Dans l'état incomplet et mystérieux où nous sommes depuis notre mort , la connaissance des faits accomplis nous est seule laissée , et les événemens à venir se dérobent & no- STâ GB4PITBB L tre jugemeni, comme si noos vivions eacore de la même vie que les hommes. J'ea suis affligé » parce que cet avenir que je ne puis qu'imaginer et prévoir , ne s^offre point à moi sous un aspect favorable. Je con- nais les vœux et les doctrines des amis avec lesquels je vivais. Je les ai approuvés long- temps. Mais aujourd'hui que je suis plus rapproché des lieux oh l'éternelle vérité re- pose , j'ai quelque crainte que ces doctrines soient des chimères , et que le moindre essai en soit périlleux. Mes amis croient que le principe de U souveraineté est dans les élémens maiériek de la société politique; à peu près^ ajoutent quelques-uns d'entre eux » comme le prin- cipe de la création t c'est-à-dire Dieu, est dans le monde» et peut être le monde même. Peureux:» la souveraineté prise à sa source n'est que^ la puissance , et la puissance n'e$t qne la force. CAMILLE JOBDAN ET FOT. 3*79 Le prince u'a point à leurs yeox de droite qui lui soient propres. Tous sont délégués et communiqués; par conséquent , sujets à rabolition ou au changement. Le prince n'est pas la force elle-même ; il n^en est que Texpression et l'image. Sorti des rangs du peuple , il est établi pour le représenter et non pour le gouverner. On a besoin de lui parce qu'il y a d^s choses que le peuple ne peut pas faire lui-même j mais on n'en a besoin que pour ces choses. Elles sont le but et marquent la limite de sa puissance. Tout ce qu'il entreprend au-delà, il l'usurpe ; tout ce qu'il usurpe blesse la na- ture même des pouvoirs publics , et rompt l'équilibre , qui est la loi du monde. C'est la première raison qui s'oppose à ce que le prinee. soit législateur. Ce n'est pas à lui de régler à quelles conditions il exercera le mandat qui lui a été accordé» ni d'impo- 270 aUPlTKB I. 3er des obligations à ceux dont ii ne repré- sente pas les devoirs y mais les intérêts. Il y ep a une autre raison : c'est que si le prince avait le droit de faire des lois » il pourrait en faire d'autres qui révoqueraient les premières. Régner selon les lois ne signi- fierait plus j quoi qu'en ait dit fiossuet , que régner selon son bon plaisir et sa volonté. Autant vaudrait qu'il n'y eût que des com- mandemens et point de lois* Si les peuples étaient faits pour les gou- vernemens , ce serait autre chose : le pasteur fait de son troupeau tout ce qu'il lui plaît. Mais les gouvememens étant au contraire faits pour le peuple 9 ils doivent agir comme < il convient le plus , non-seulement à son in- térêt, mais encore à sa volonté. Le manda- taire, serviteur docile de celui qu'il repré- sente, ne peut pas faire même son bien malgré lui. Foy l'interrompit : c'est, dit-il, le dogme CAKILLE lORDAII ET FÛT. 277 de la souveraineté du peuple dans ^oute sa naïveté. Mes amiis y croient , poursuivit Camille Jordan. Aussi pensent-ils que le gouverne- ment le plus naturel 9 et par conséquent le plus règnVfiTt est celui non-seulement du grand nombre, mais du plus grand nombre. Ce qui les arrête n'est paç Tobjection tri- nale que cette forme de gouvernement ne saurait se maintenir dans un grand État.Ils, y répondent par des exemples^ et même par des raisonnemens. Ils citent Rome , la Pales- tine, la Hollande,. la Suisse, les Etats-Unis, et Topiniondes protestans qui croyaient fa-i cile, au seizième siècle, de fonder en France une république. Ils distinguent d'ailleurs deux sortes de mouvement et d'action dans l'État : l'un particulier et local , qui appartient à char que province; l'autre étendu et même 278 aupmE 1. universel , le seul qni soit vraiment natio— nal. Celui-ci serait pernicieux àTÉtat, s*il n'é- tait soumis à des règles simples et unifor- mes; il diviserait, en se divisant lui-même » et détruirait au lieu de préserver et de garan* tir. Voilà pourquoi il faut réunir tous les principes dé ce mouvement dans un centre unique d^oà parte toujours l'impulsion. Ce centre est proprement le gouvernement de r£tat. L'autre mouvement est d'une nature bien différente. L'uniformité lui serait aussi peu favorable qu'elle est nécessaire au premier. Celte action-là est toute d'opposition et de différence. On lui fait violence en l'unissant à d'autres actions qu'on croit analogues. On les trouble toutes , et quelquefois même on les interrompt » en les soumettant à une im- pukion eommune qui ne convient le plus souvent qu'au plus petit nomit^re. CAMILLE JOBDAB ET FOY. 21» Les foBCtions du goaveraement étaot ré- doites à ces termes simples , n^ezigent plus » même dans les États vastes » une si grande concentration de puissance i et repoussent comme inutile » et par conséquent comme dangereux , le système de Tunité absolue » c'est-à-dire de la royauté. Vos amis sont conséquens , reprit Foy. Du dogme de la souveraineté du peuple à l'établissement de la république , il n'y a qu'un pas, ou pour mieux dire, ce n'Oit guère qu'une même cbose. Telles sont eu effet leurs doctrines , con- tinua Camille Jordan , et même leurs vœux. Si la république pure et absolue pouvait se maintenir en France , ils n'y épai^neraient pas leurs efforts. Mais leur politique n'est pas brutale et irréfléchie. Ils ont trop d'ha- bileté .pour poursuivre une perfection im- possible y et trop d'honnêteté pour vouloir en faire courir les hasards à une nation. Ils 360 oupiniE u n'ignorent point que ceux qui constituent un État 9 ne peuvent faire abstraction des mœurs du peuple, de ses préjiq;és , de ses traditioiis, des droits que son assentiment protège et consacre. Ils avouent qu'une no- blesse antique et une djrnastie de neuf cents ans sont à la fois un obstacle et un avantage : un obstacle pour fonder une république ; un avantage dès qu'on s*est résigné & souf- frir une monarcbîe. On ne peut les détruire, ik le sentent bien, que par des convulsions qui rendraient toute constitution impossible: il n'y a que des fanatiques et des ignonins qui puissent seulement y songer. Mais qu'importe? les formes simples de gouvernement et de politique ne convien- nent qu'aux temps primitife et aux nations neuves. Dès le siècle d^Aristote et de Cicé- ron 9 on avait reconnu que la perfectiOD étnit dans la combinaison et dans le mélange des élémens du pouvoir. Tout consiste donc à CAMILLE JOBPAB. ET POT. 261 trouver la proportion du mélange de ces élé- mens. C'est le plus naturel d'entr'euz et le plus vrai qui doit l'emporter. Or , la démo- cratie ou le peuple est l'élément simple , trai , primitif de l'État ou de la citéi^Les au- tres ne sont que des résultats et des dérivéi de ce premier élément. Le problème se ré- duit donc à faire entrer dans la constitution de l'État la plus grande somme possible de force démocratique^ et la moins grande de force aristocratique et monarcbique. Mes amis n'admettent ces dernières que par dé- férence pour les préjugés de leur temps et de leur pays ; ils appellent la première pour satisfaire aux véritables besoins de la société, ou^en d'autres termes, pour en exercer réel- lement les pouvoirs. Mes amis , dit Foy, vont plus loin» mais P9S si haut que les vôtres. Ils vous trouvent trop spéculatifs et trop raisonneurs. Leur politique a moins de philosophie ; votre phi- 2S2 GIUPITBE k losophie a peut-être moins de politique. Que signifie la monarchie que Vous propo- sez? Si vous accordez l'utilité des formes monarchiques, tout est dit.Cette concession, qui est la base de votre système, suffit seule à le renverser. Les divers pouvoirs de TÊtat sont toujours en mouvement et en contention. C'est même ce qui fait qu'ils se servent réciproquement de barrière , et se cmiservent l'un l'autre en se combattant. Or, si l'élément monarchique est trop fai- ble, il succombera , et vous n'aurez plus de monarchie; s'il se maintient, c'est qu'il sera plus fort que l'élément démocratique , et la théorie de vos amis ne sera plus rien. L'élément démocratique et l'élément mo- narchique ne courent pas le même danger à l'inégalité du partage. Quand le premier, qui est aveugle, remporte sur l'autre , il Ta • CAMILLE JOADAI ET FOY. 283 néantit» parce qu'il ne sait pas l'intérêt qu'il a de le conserver. Quand c'est le second f au contraire , il ménage un rival dont il a be- soin, et dont la force bien dirigée fait sa sû- reté. La vraie question est donc si la forme mo- narchique est en effet nécessaire. Mes amis sont divisés sur cette question , mais plus en apparence qu'en réalité. De vieux préju- gés révolutionnaires préoccupent bien en- core quelques esprits. Une ambition bâ- tarde, née 9 on ne sait comment, dans Fobs* cnrité des comptoirs et des ateliers, fait croire à quelques autres qu'il pourraient donner au monde un second exemple de la brillante fortune desMédicis. Mais au fond, la république est jugée , même parmi nous. Quand il ne serait pas absolument impossi- ble de l'établir dans notre pays , il y a trop peu de temps qu'elle a échoué , pour qu'il fût raisonnable d'en renouveler aujourd'hui 28A CBAPITBE L. la tentalive. Tout autre iQOtif à part, c'est c trop tôt. Il faudrait d'ailleurs être pauvre et sim- ple» avoir des mœurs et pas de voisins. Treute-deux millions d'hommes formeront si vous voulez, tj^ente-deux républiques , mais pas une seule. Après quoi , cette rëpa- blique de républiques étant établie, elles guerroferont entre elles, comme les peuples du Péioponèse et de l'Achaie, et quand elles, se seront bien déchirées et bien épuisées i il surviendra du dehors un Métellus , un Phi-- lippe, un Sylla, un Vespasien, pour leur I ^ rendre le repos en les soumettant à un même Mes amis veulent être libres, mais pas an point d'exposer le pays à cesser de l'être. C'est pourquoi ils admettent la monarchie comme moyen d'union , de force et d'indé-- pendance nationale. Ils l'admettent libre et puissante y afin qu'elle ait la faculté de rem- GUaiXB JOBDAll ET rOT. 285 plir sa destination. Ils ne la comparent point au mandat, mais à la tutelle, qui com- mande au pupille et n'est jamais soumise à ses volontés. Ils lui accordent le pouvoir né- cessaire pour maintenir facilement Tordre dans Tintérieur , non-seulement à cause du bien que produit l'ordre naturellement, mais encore parce qu'il donne de nouvelles forces pourcombattre les ennemis de l'exté- rieur. Ils préfèrent que le monarque soit maître cbez eux , que l'étranger. Mais ils ne confondent pas, comme vous, la monarchie et la dynastie. Ils accordent la première et non l'autre. Vos amis ne croient la monarchie nécessaire que relativement à la dynastie :.les miens croient la monarchie nécessaire absolument, et la dynastie point du tont. Bien plus : ils ont un secret penchant à croire, et un puissant intérêt à dire qu'elle est peu compatible avec le pays. La France 2M CHAPmUS !• d'aujourd'hui n'a rien conservé, suivant eux 9 des mœurs de l'çncienne France. C'est la révolution qui Ta faite telle qu'on la voit, ou plutôt elle est la»révolution même. Elle en a gardé Tempreinte et le caractère » les espérances , et « si l'on veut » les préven«- fions. Leur avis est qu'il faudrait de nou- veaux princes à un nouveau peuple ^ parce qu'il serait bon d'éviter que le prince et le peuple eussent I même en apparence, des intérêts différens. Or , les anciens souve- rains de France sont naturellement contrai* res à la révolution, ne fût-ce que parce qu'elle a été faite contre eux. Vous voyea en quoi mes amis différent et se rapprochent des vôtres. Oui , répondit Camille Jordan , vous accor- dez la monarchie ^ moins la maison de Bour- bon. Et vous I reprit vivement Foy, la maison de Bourbou, moins la monarchie. CAMILLE JOADAN ET VOT. 281 Vos amis i continua-t-il , ne sont-ils pas effrayés du sort qui attend leur monarchie sans base et sans contrepoids ? * Et les vôtres y demanda Camille Jordan » ne sont-ils retenus ni par l'injustice de l'u- sttrpation, ni par les guerres qu'elle fait naî- tre, ni par le trouble oti elle jette le peuple, ni par la confusion oti elle met les fortunes et les conditions 2 Ik se turent à ces mots et se séparèrent Je ne sais si ce fut encore une illusion , mais il me sembla que quelques signes de mé- contentement et de dédain troublaient légè- rement l'immobilité de ces figures glacées, et j'adfloirai que les morts eussent aussi leurs rivalités et leurs passions. USAKTlte n* DIALOGUE DES MORTS. Z ET Y. 5 fèfrier iSag. On croyait communémeat que M. de Z et M- Y étaient encore vivans. C'était une er- reur. Il y avait déjà quelques années qu'ils n'étaient plus de ce monde : les gens clair- voyans le savaient bien. «i^ BT T. 280 Il est vrai qu'où rencootrait eucore çà et là deax sortes, de fantômes qui semblaient avoir retenu un peu de leur apparence et dé leur figure : Tun , se traînant négligemment et péniblement , poudré » paré , doré » parfu- mé i Vautre , tout droit , tout long , tout sec» tout froid et tout pftle ^ taciturne , Tœil atta- ché à la terre» recueilli en lui-même comme pour . penser. On pouvait rigoureusement prendre ces fantOmes pour eux ; mais l'Ame y manquait } il n'y avait plus que leur om - bre. Mercure les avait frappés^ avant le temps, de son sceptre d'or , et ik erraient ensemble sur les bords du Létbé,e0 attendant que le jour de leurs funérailles étant venu , il leur fût permis de passer le fleuve , et de s'abreu- ver de ses eaux qui purifient les ombres par le silence etroubli. Ils parlaient comme s'ils eussent été sur la terre , et gardaient encore les sentimeos MO cHAPirniw. qu'ils y avaient éprouvés. Seulement, Tennui de leur situation nouvelle avait affaibli par d^é Véloignement qu'ib avaient eu antre- fois l'un pour l'autre. Ils n'évitaient plus de se rencontrer, comme dans ce temps, et s'entretenaient même ensemble, sans trop d'aig;reur et de répugnance , des grands inté- rêts dont ils avaient été occupés. Un jour "que l'entretien était descendu des théories générales de la politique aux doctrines particulières que chacun d'eux avait embrassées : je n'ai jamais compris , disait M. de Z , comment vous conciliiez dans votre esprit l'ardeur avec laquelle vous défendiez les principes de la révolu- tion, et Taversion profonde que vous ressen- ûez pour les hommes qui en avaient assuré le triomphe. Ni moi, reprit aigrement M. T, comment vous concilies votre dédain pour les niaxi- mes sacrées de la liberté et votre affection X ET T. 2M pavr les hommes qui lear devaient lear existence et leur renommée. Cette inconséqueiiee n'est qu'apparente , reprit à son tour M. de Z. r Et pensez -vous, interrompit vivement M. Y f que celle que vous m'avez attribuée ait plus de réalité? Je ne sais trop ce qu'il faut en croire, con- tinua M. de Z; mais à en juger par ce que j'ai ai vu , je craindrais fort qu'elle fût plus sérieuse que vous ne croyez. Votre esprit, ingénieux à s'abuser lui-même , aura sûre- ment combiné quelque subterfuge adroit et subtil pour se déguiser ses contradictions. Je vous ai vu quelquefois bien habile à ces ruses^là , et je m^étonnais qu'un homme de votre sorte fût si accetsible à la conviction des choses absurdes. N'est-ce rien , à votre avis , que la bonne foi? s'écria ici M. 'Y. Quand je n'aurais dif- féré qu'en ce point de la foule des hommes I I 202 CHAmBB n. publics de mon temps » je croirais encore remporter .sur eux de beaucoup. Taime mieux avoir à gémir de quelques erreurs » qu'avoir à rougir de toute ma vie. Permettez que je vous interrompe , dit M. de Z ; vous finiriez peut-être par vous emporter i et cela ne ferait point d'effet. Il n'y a pas ici d'auditoire. Les personnes qui ont du goût pour le langage figuré disent bien que la tribune est quelquefois un enfer, mais non pas que l'enfer ait une tribune. Vous aimiez passionnément et sans restric- tion la liberté» l'égalité > la publicité et l'hu- manité; vous baissiez merveilleusement le despotisme y la superstition » l'aristocratie et les privilèges; vous aviez pris en grande aversion la supériorité , l'éclat et les distinc- tions des grands et des riches. Je ne m'en défends point , interrompit & son tour M. Y : j'allais au secoura de ceux qui manquent et qui souffrent, contre eeux Z ET T. 30S qui ont usurpé et qui abusent. Je m'étais -s mis du parti du pauvre et du faible. Oui , continua M. Z, mais à l'époque oà les faibles et les pauvres étaient devenus les plus riches et les plus puissans. Je n'imaginais pas , reprit M. T , que je dusse avoir A m'en justifier avec vous , et il me semblait que vous aviez généreusement embrassé vous-même cette noble cause. Sans doute, sans doute, répondit M. del{, la même cause , mais non pas de la même manière que vous. Il y avait peut-être un peu plus d'imagination et d'ingénuité dans votre détermination; il y avait dans la mienne un peu plus de discrétion et de prévoyance; Toutes ces belles choses faisaient bondir vo- tre cœur; vous brûliez de les voir pleinement établies et réalisées; c'était sérieusement votre espérance, votre volonté, votre but. Et vous, demanda M. T, frappé de sur- prise ? ' 29A CBAPITRB U. Moi, continua M. de Z, je les prenais pour ce qu'elles sont : j'en faisais un moyen et un instrument. Vons arrangiez laborien- semient et poétiquement un conte de fée » et je faisais prosaïquement une froide page d'histoire. Vous confondiez quelques vérités avec beaucoup de chimères ; je retranchais les chimères et ne conservais que les vérités. Jeté de bonne heure par le sentiment de mes forces, ou , si vous l'aimez mieux, par mon ambition, jeté dans la carrière des grandes affaires, je compris, après quelques hésitations , que le parti de la cour ne pou- vait pas être le mien.Je suivis l'autre, n'ima- ginant pas d'abord qu'il pût être entraîné ai loin qu'il, le fut. Une fois lié avec lui, il me fut bientôt impossible de rétrograder. Le tourbillon l'emportait ; je me laissai em- porter avec lui par le tourbillon. Qu'aurais- je fait ? On n'eût plus voulu de moi chez les miens. Il n'y avait que de grands succès et I ET Y. S05 uAe graode renommée qui pusaent désor- mais imposer aux vives aversions que j'inspi- rais, le travaillai assidûment à acquérir ces deux avantages. J'y parvins ; mais ce ne fut qu'en sacrifiant aux idoles. Il fallait alors outrer toute chose; le mépris des préjugés, l'enthousiasme des libertés politiques , l'in- différence pour les liens les plus nécessai- res de la société. Je fis , non par goût ou par lâcheté , mais par la nécessité même de mon ambition, ce que la fortune exigeait de moi. J'allai à elle caché sous les couleurs qui for- maient alors le déguisement nécessaire de ses favoris. Mais si je prétendais au pouvoir» n'imagi- nez pas que je le voulusse dégradé et anéanti. Je l'aimais d'une affection sérieuse et réflé- chie. Ce n'était pas son imi^e seulement que je recherchais » mais sa force réelle et ses effets positifs. Je le voulais tel qu'il est, quand il est tout ce qu'il doit être. Qu'au- 206 CBAPmiE II. rais-je fait d'un pouvoir qui n'aurait pu rie»? Vous le préfériez pouvant toute chose ? demanda M. Y avec un sourire. Point du tout» répliqua M. de Z; mais sa- chant pourquoi le pouvoir a été étaUi, je lui souhaitais des facultés analogues à sa des- tination et à sa nature. Ten connaissais les besoins et les conditions. L'exemple des au- tres peuples m'avait appris que la liberté d'un grand Etat ne peut pas ressembler à celle d'une petite cité, et que le bon ordre» qui est le premier des besoins publics , ne s'obtient pas au même prix chez l'un et chez l'autre. Il me semblait que chaque sorte de gouvernement devait avoir ses conditions propres et naturelles : réalité, par exemplCi avec l'ostracisme, dans les Etats populaires^ et les distinctions d'individus et de classes dans les monarchies. Je croyais qu'il fallait des artSy et par conséquent du luxe, chez I BT T. 397 une nation riche» vaniteuse et spirituelle, qui s'émeut au bruit d'un bon mot ou d'une chanson. Je pensais enfin qu'il n'est peut- être pas impossible de faire périr un grand peaple, mais qu'il l'eat à coup sûr de le re- noQYeler quand il a Tieilli, de le rendre simple quand il est cultivé, vertueux quand il est corrompu, désintéressé quand il a con- tracté le goût des richesses; qu'en un mot, il n*y a pas de génie humain qui pût fonder des mœurs et des formes républicaines dans un pays et dans une nation à qui la nature et le temps ont donné des inclinations et des intérêts opposés. Je laissais donc aller les folies et les en- tbonsiasmes du temps, certain que j'étais d'un retour à peu près complet et même prochain. Je croyais fortement que le délire qui nous agitait serait passager, et que nous reviendrions bientôt à notre galté insou- ciante et maligne, à notre docilité bruyante 296 CBlPim II. et frondease, à notre ardeur pour le luxe el pour le plaisir. Me suis-je trompé? quand le moment de ce refliix est venu ^ j'ai recueilli le fruit de mes soins et de mes calculs. Mais le mouve- ment avait été trop profond. Les choses» c'est-à-dire les affaires, pouvaient encore s'accommoder de moi : cela était beaucoup moins facile pour les personnes. Celles dont je m'étais séparé avec tant d'éclat avaient trop d'injures & me reprocher, trop d'actes contraires à leurs préjugés et k leurs intérêts. Un rapprochement entre elles et moi ne pouvait jamais être complet, et surtout sin«- cère. Je ne pouvais leur confier ni mes desseins , ni moi-même. Je cherchai donc un appui, comme cela était naturel, parmi ceux qui ayant jugé les événemens de la même ma- nière que moi, n'avaient jamais été dupes de rien, et s'étaient arrangés pour retirer de 1 R Y. chaque époque tout le profit qu'en pouvait raisounablement espérer un homme d'esprit. Ces gens beaucoup plus nombreux que tous ne pensez, ont eu le bon sens de ne prendre ni le passé ni le présent au pied de lajettre. Ils ont laissé dire tout le monde, et ont pen- dant ce temps fait leurs affaires mieux que personne. Leur humeur, qui s'accommode fort bien avec l'état actuel de la France, les rendait singulièrement propres à former par leurs goâts, leur sagacité et leur |K>litesse, une sorte d'aristocratie moyenne qui me conso- lait de l'autre, etoù j'étais sûr de ne rencon- trer jamais un accusateur* C'était proprement les hommes de mon temps et de mon système Ma vie était la leur, et ils avaient poursuivi la même fortune que moi. Aussi les aimais-je exclusivement; peut«-être parce qu'il n'y avait qu'eux qui m'aimassent; peut-être parée qu'ils avaient jugé le cours des affai-* SOO ClUPtTBE II. Tes et moi-même» comme il conTenaîl, je crois» que nous le fussions. Ib laissaient comme moi Tenthonsiasme aux têtes sans prudence, et ne gardaient pour eux que Tesprit, la raison et le juge- ment. Tespère que vous ne me trouverez pas trop méprisable pour avoir donné la préférence aux gens d'esprit sur les bonnes gens qui doués de talens sans doute» en avaient surtout la simplicité. Je vous entends» dit M. Y, et ne vois qoe trop à ce compte que vous m'avez classé parmi les enthousiastes et les dupes. J'avoue pourtant» et je ne saurais croire qu'il faille en rougir, j'avoue que j'aimais avec un peu de passion la liberté.... Et l'égalité» reprit M. de Z» sorte de ma- nie puérile et sotte» qui n'est qu'un misé- rable prétexte de la vanité» et qui» contra- riant et blessant sans cesse le principe da gouvernement naturel de notre pays» devient^ I ET r. 301 sans que l'on y prenne garde, une source inépuisable de convulsions et de cbangemens . Quant à la liberté, c'est une excellente chose , mais qui demande du discernement et de la mesure. Il faut en France beaucoup de li- bertés civiles, et beaucoup moins de libertés politiques. Les abus de la première sont bien moins à craindre que ceux de l'autre, parce que les écarts de la liberté civile de chacun sont inceâsamment contenus par la liberté civile de tous les autres; tandis que, dans Tezercice de la seconde, l'attaque et la résistance changent de place: ce n'est plus un seul contre tous; c'est au contraire tous contre un seul. Cependant, demandaM. Y, n'aimiez-vous point, par exemple, la liberté de la presse ? C'est selon, répondit M. de *Z. Je m'en suis setvi comme de beaucoup d'autres cho- ses, sans l'estimer à un trop haut prix. D'ail- leurs, ce n'est pas à proprement parler une SM GRftPmB II. institatioii^ mais un moyen d'mflaersiircettes qui fOttt établies. Il est facile à un homme de sens, avec beaucoup de philosophie on beaucoup d'intrigue , de se mettre à peu près au-dessus d'elle; et je Tai prouvé. Cela est plus difficile à un gouvernement qui com- mence. Il doit se résigner, je crois, à dominer la presse, ou à être dominé par elle. Or, on ne la domine qu'en la corrompant ou la com* primant. Je l'ai cru comme vous pendant quelque temps, dit M. Y. Oui, pendant que vous eierciex le pouvoir, continua M. de Z. Mais quand il fut ques- tion de l'ôter à ceux qui vous remplaçaient, vous retournâtes à vos anciennes idées : nou- velle preuve de ce que je disais tout à l'heure des effets de cette liberté. Quelles sont donc, demaBda M. T, les li- bertés que voua laisseriez à la France? le vousl'ai déjà dit, répondit M. deZ , beau* I sr T. 303 eoup de libertés civiles; mais ea même temps je prendrais mes mesures poar qu'elles ne d^énérassent pas en libertés politiques. Le commerce est-il dans ce cas? dit M. T. Lui principalement^ reprit M. de Z. Je crois qu'il doit être libre pour prospérer, et qu'il est bon qu'il prospère afin d'enricbir l'Etat. Qu'il nous enrichisse donc;-mais qu'il ne nous gouverne pas. Le génie du commerce est trop parcimonieux et trop curieux de détails. On s'y accoutume à des multitudes de fraudes et de ruses qui ne tendent jamais qu'à un misérable profit d'argent. Ce n'est pas ainsi que les Etats doivent être conduits. Rien ne ressemble moins à une banque et à un comptoir. Peut-être blessé-je, en parlant ainsi, quelques-uns de vos préjugés; mais rappelez vousCicéron (t): vous aurez sûre<^ ment plus de foi en son jugement qu'au mien. (i) at^fiSeiù. 30& CHAPmB II. L'homme d'état, quelque chose qu'il entre- prenne, ne doit jamais avoir en vue que Tu- tilitë de son pays. Le commerçant , au con- traire, quelque chose qu'il entreprenne pour son pays, a toujours en vue son propre in- térêt. L'habitude a trop tourné ses idées au gain personnel. Les Médicis sont une grande exception^ peut-être aussi Jacques Cœur. Mais je parle de la profession, et non pas du petit nombre de ceui qui se sont élevés aa- dessus d'elle, même en Texerçant. Mais vous qui aimiez la liberté pour elle- même, d'oti vient que ceux qui Tout éta- blie?... •C'est parce que je l'aimais pour elle- même , répondit M. Y , c'est-à-dire pour les vertus qu'elle exige , et pour les avantages infinis qu'elle promet aux peuples, c'est pour cela que j'avais en exécration les mal- heureux qui l'ont souillée, et qui ont commis en son nom tant de rapines et d'assassinats. Z BT T. 305 Avec un peu plus de philosophie et de logique 5 reprit M. de Z ^ vous auriez résenré votre indignation pour les crimes , et auriez traité avec un peu plus d'indulgence les hommes qui y voulant les mêmes choses que vous I n'avaient eu de plus que vous que le tort d'en vouloir aussi les moyens. Me confondez-vous? s'écria M. Y.... A Dieu ne plaise, poursuivit M. de Z. ; mais il est pourtant certain que, pour dépouiller la noblesse et le clergé; pour abolir les dîmes et les redevances féodales ; pour dé- truire les oflBces et les privilèges , pour éta - blir la liberté delà presse » la représentation permanente, la publicité des débats, le vote annuel de l'impôt; pour faire, en un mot, tout ce que vous aimiez, fl n'a fallu rien moins ■ • que les guerres, lés emprisonnemens , les confiscations, les meurtres, les catastrophes que voua déplorez. 1. t20 3M CHAPITBB II. ' Le sang dont on nous a inondés était le prix nécessaire de ces changemens. Il fallait donc y applaudir avec un peu plus de mo- dération, ne fût-ce qu'à cause de ce qu'il en devait coûter pour les obtenir ; et il fal- lait peut-être en hair un peu moins les au- teurs , ne fût-ce qu'à cause de l'alternative où ils s'étaient trouvés, ou d'abandonner leur ouvrage , ou de l'achever par les seuls moyens qui pussent avoir cette affreuse ef- ficacité. Les hair moins ! s'écria M. F. Ou vous passionner un peu moins pour leurs œuvres, répéta M. de Z. Vous arrangiez singulièrement les choses, vos amis et vous : vous vouliez la révolution sans les révolu- tionnaires. 4 Et vous, reprit avec humeur M. Y, les révolutionnaires sans la révolution! Dans ce moment, ils se séparèrent. Ik s ET T. SOI marchaient précipitamment » la lèTre con- tractée , et l'épaule haute. L'un disait : mer- yeilleuse habileté! L'autre disait : rare talentl A MO ^ CHâPRBB m. fondement ; oà lé peuple, les grands et le prince ezercenl conjointement , sinon toute la puissance publique, au moins de cer--' taines parties de celte puissance ; où chacun des élémens principaux de la société a son action distincte et privée , qui tend artifi— ciellement à l'intérêt général, par l'effort « même qu'elle fait pour l'intérêt particulier qui est son but naturel, il faut bien néces^ sairement chercher des termes complexes pour une organisation si étendue et ai corn-* pliquée. Quand vous rappelez gouvernement re-- présentatif, vous n'exprimez rien d'assez net. Vous dites trop et trop peu ; vous dites plusieurs choses et pas une seule. Il n'y a point , en effet , de gouvernement à qui cette dénomination ne convienne ; car il n'y en a point, quelle que soit sa forme apparente, qui ne représente l'état, qui n'ait une force et des iiltérêts qui sont uniquement la force et les DE LA DiNOmiIATiOlI DU COUVEER EMEUT. 311 iotérêts de l'État. Gela est vrai, même dans la monarchie absolue , parce que. le prince qui y tient en tutelle toutes les classes du peuple, lie gouverne et n'agit cependant que pour elles, même quand il croit gouverner et agir pour lui. Il fait ce qu'elles feraient elles- mêmes si les institutions du pays étaient dif- férentes, ou que la nature des sociétés n'y mit point obstacle. Mais il ne fait en réalité que cela. Il n'est ce qu'il est que parce que le peuple ne peut pas l'être. Il est établi de droit naturel et antérieur , pour être l'intel- ligence et la voix commune de cet être col- lectif et multiple , composé de tant d'au- très êtres , qui a ses intérêts à part, et à qui la nature n'a point fait cependant d'organe spécial et direct. Il est celui en qui le peuple 86 confond et s'individualise ; il est la per-* sonne du peuple , et fictivement le peuple lui-même , qui serait sans lui , et sans lequel il ne serait pas. Voilà dans quel sens un 313 cBApmiE nu grand prince a pu dire figurément : l'État, c'est moi ; quoique à proprement parler il eût fallu dire : moi, c'est l'État. Cela est encore yéritable à l'extrémité op^ posée^ je veux dire dans la démocratie ab- solue; car il n'en est point, que je sache, où l'application du principe de ce gouverne- ment soit si complète et si étendue, que tout le monde y délibère réellement sur lea affaires publiques, y prenne une part égale à l'administration de l'État ; soit en même temps magistrat et peuple, gouvernant et gouverné , souverain et sujet. Quelque grand que soit le nombre de ceux qui décident , ce n'est pas même le plus grand nombre , à plus forte raison l'universalité. Ceux qui dé- cident dans ces États, comme dans les autres, décident pour eux-mêmes et pour ceux qui ne décident pas. Leur volonté, qui n'est que celle de quelques-uns , est réputée celle de tous , mais n'est ainsi que par supposition. DE Là DinOMIBATlOa OU «OCIYBRll EMEUT. SU et par fiction. Leur mandat est-il nécessaire, naturel , favorable ? Je ne nie rien de tout cela ; mais ceux qui ont reçu ce mandat re- présentent ceux qui le donnent. Ce gouver- nement est donc aussi un gouvernement de représentation , un gouvernement représen- tatif. Je n'approuve pas davantage Thabitude de quelques personnes qui croient désigner plus exactement la nature de notre gouver- .nement mixte et à trois parties , en le nom- mant gouvernement constitutionnel. Car que signifient ces mots , si ce n'est un gouverne- ment dont la forme est réglée par une cons- titution? Mais premièrement, il y a des consti- tutions de toute sorte , et je ne verrais point de motif qui mit obstacle à ce qu'on dit de la Prusse ou de la Hongrie , par exemple , qu'elles ont un gouvernement constitution- nel. D'un autre côté , il n'y a point de peuple qui , ayant un gouvernement , n'ait par cela su CHAPREB UU même une constitution, et par .conséquent, un gouvernement constitutionnel. Il n'est guère plus exact de refuser le titre de cons- titution à celles qui ne sont pas écrites dans des chartes, que d'attribuer exclusivemeat le titre de gouvernement constitutionnel à ceux qui sont fondés sur un certain mode de constitution. Les constitutions ne peuvent dire qu'une seule chose, savoir : qu'on aura telles ou telles autres institutions ; et quand on a en effet ces institutions, il se peut bien qu'on soit mal constitué, mais il n'est certainement pas véritable qu'on ne le soit pas du tout. On a le meilleur et le plus irré- fragable de tous les titres; on a la chose même que le titre promet et ne donne point. Aussi ne faut-il pas se borner à dire que les Etats dont la constitution n'est prouvée que par leuirs institutions, sont réellement cons- titués ; mais encore il faut dire qu'ils le sont plus réellement et plus sûrement que ceux DB <^ DéBOlUHATIOB DU CMNJVBBSBMEHT. S15 doat la constitution est prouvée par des titres et par des écrits. Les personnes qui objec- teraient qu'on peut changer des institutions, tomberaient dans un^ grande méprise , si eUes croyaient qu'il ne fût pas encore plus difficile de détruire des institutions ga- ranties par le temps et par les habitudes àe% peuples 9 que des institutions fondées sur des constitutions ou sur dea écrits. Des exem- ples fameux l'ont assez prouvé. De toutes les dénominations qu'on a es- sayé de mettre en usage , celle de gouverne- ment parlementaire serait celle que je croi- rais préférable. Car elle ne comprend pas seulement l'idée d'une constitution et d'une représentation ; elle comprend aussi l'idée d'une certaine sorte de constitution , et d'une certaine forme de représentation. 11 n'y a que celle du souverain qui n'y soit pas expri^ mée; et c'est encore un inconvénient : car il serait facile de se figurer une sorte de gou-- PENSÉES D'UN PRISONNIER * r / I IMPRIMERIE DE FEUX LOOQOW, nui Notra-Damo-dèi-YictoirM, n* 16. PENSEES D'UN PRISONNIER PAR LE œMTE DE PEYRONNET. In carcere eram. . . • Et ang. S. Maith. , cap. 25 , ▼. 30, TOME II. Jùtnxûmt Cbitbn. PARIS ALLARDIN , LIBRAIRE-EDITEUR , l3 , K.ACS •4IJIT-AJIDKi-D»-AIICS. LIVRE TROISIÈME. ( sncTB. ) amàmmm nr. DE LÀ MAJORITÉ. Décembre 1829. fcNTENDS dire de tel ministère qu'il est en minorité; de tel autre ministère^ qu'il se- rait aussi en minorité. Le fait peut être vé* ritable ou faux; il peut être véritable et faux; il peut même être indifférent quand il n'est 2. 2 CHAPmUK IV. pas faux. Il faut rendre raison de toutes ces choses. ' Les gouvernemens que je demande la per- mission d'appeler parlementaires , sont les seuls où la majorité des votes soit comptée comme un élément de la puissance publique. Or^ il n'y a point de gouvernement parle- mentaire, ni par conséquent de majorité lé* gale et constituée , sans division de pouvoirs. C'est pourquoi ce qu'on entend par ma- jorité se combine et se calcule d'abord en deux façons principales : la majorité des pouvoirs considérés collectivement; la ma- jorité dans chacun des pouvoirs collectifs considérés successivement et isolément. De plus , cette majorité se combine aussi ^ de deux autres façons secondaires, selon les deux circonstances t ou, si l'on aime mieuzi les deux attributs du pouvoir ministériel; en tant que ce pouvoir représente une opi- DE LA MAJOBmL 3 nion et un système , en tant^ qu'il constitue Tadministration. Elle varie enfin et se combine quelquefois d'une troisième manière. Dans les précé- dentes , on ne considère que les systèmes in- dépendamment des personnes ; dans celle-ci on considère les personnes presque indé- pendamment des systèmes. Ce dont il s'agit alors c'est le talent , la réputation , le carac- tère, la position sociale, le crédit. Les combinaisons étant donc diverses, les résultats peuvent être eux-mêmes nombreux et divers. Il peut arriver que le ministère ait la ma- jorité des pouvoirs, et n'ait pas la majorité dans l'un des pouvoirs. Il peut arriver qu'il ait la majorité en tant qu'administration , et qu'il ne l'ait plus en tant que système. Sur quoi il y a dans toutes ces combinai- sons des choses qui valent mieux , d'autres a GHâpmiE IV. qui suffisent» d'autres par conséquent qui ne sont pas toujours indispensables. Ce qui vaut nûeux » c'est d'avoir la majo- rité partout et contre tout le inonde; de l'avoir comme administration et comme sys- tème ; de l'avoir pour soi et par soi ; de l'a- voir par ses talens et pour ses doctrines. Ce qui suffit est variable et éventuel; il dépend des circonstances où sont les affaires, de celles ob Ton est soi-même, de celles où sont les adversaires et les ennemis. Il ne suffit jamais , par exemple » d'avoir la majorité dans l'un des pouvoirs collec- tifs-, si Ton a d'ailleurs contre soi la majo- rité des pouvoirs. Cela se conçoit assez sans que je dise pourquoi. Mais il 7 a des temps , de courte durée il est vrai , où il suffit d'avoir en sa faveur la majorité des pouvoirs, quoiqu'on ait contre sdi ka majorité dans l'un des pouvoirs col- lectif. DB LA MAJOniT^ 5 Ces temps sont de deux sortes : ou quand les choses sont tellement disposées qu'au- cune autre administration ne peut réunir la majorité des pouvoirs et dans les pouvoirs; ou quand l'administration qui pourrait réu* nir ces majorités appartient à des systèmes politiques inconciliables avec les principaux intérèU. de l'état. Pitt se trouvait dans ce dernier cas dès. le début de sa carrière-, pendant sa lutte avec Fox et lord Nortfa. Ceux-«ci avaient une grande majorité dans l'un des pouvoirs; mais le roi en leur retirant sa confiance leur fit perdre la majorité des pouvoirs. Pitt au contraire eut la majorité dos {pouvoirs ; mais il n'eut qu'elle. E)le lui suffit cependant, non à cause de sa renommée et de son génie , car il n'avait que vingt-quatre ans; mais parce qu'on ne pouvait rabandonner sans retomber y au grand dommage de l'état, dans le ministère de coalition de North et de Fox 6 OUPITKS 1¥. De même, on peut aisément se figurer un ministère qui fût accidentellement placé dans l'autre situation ; un ministère qui se trouvant effectivement en minorité dans Tune des chambres, soit comme système seulement, soit à la fois comme administra- tion et comme système , eût néanmoins cet avantage bizarre qu'il fût momentanément impossible de former aucun autre ministère qui ne se trouv&t dans le même cas. On dirait au premier coup-d'œil que cela implique contradiction , qu'il y ait quelque part une majorité contre un ministère, et qu'il n'y ait pas une majorité dans le même lieu pour ceux qui auraient été contre lui. Rien cependant n*est plus naturel, et surtout plus vrai. Voyez ce qui se passe ac- tuellement sous nos yeux. On affirme , et je n oserais en vérité garantir que cette asser- tion ne fût pas exacte, on affirme qu'à la manière dont la chambre des députés a été DE LA MAJOETnL 7 formée, il y aura toujours majorité contre toute chose. Si 1814 ne l'emporte point, à plus forte raison 91 et l'an m. L'an m et 91 font alliance contre 1814; 91 s'allierait à 1814 contre l'an m; l'an m lui-même sui-i vrait 1814 contre 91. Les choses étant ainsi , ce serait hien une conséquence forcée qu'il sufilt à l'adminis- tration d'avoir la majorité des pouvoirs ; car autrement il arriverait que toutes les admi- nistrations possibles étant en minorité dans l'un des pouvoirs, si cette circonstance était dans tous les cas une cause dq dissolution pour les ministères » aucun ministère ne pourrait être actuellement formé ou main- tenu. Or, que serait-ce que cette dissolution générale de toutes les administrations mi- nistérielles, si ce n'est la dissolution mêmç du gouvernement ? A la vérité, quahd on a la majorité des pouvoirs, sans avoir la majorité dans chaque 8 CIUPITK£ IV. pouvoir , il peut se faire que le pouvoir dans lequel on est oa minorité y refuse l'une de ees choses pour lesquelles le concours des trois pouvoirs est. indispensable : les lois de subside , par exemple. Sans doute, il n'est* pas matériellement impossible que l'un des pouvoirs collectifs poussant jusqu'à sa plus extrême limite le droit qu'il a de refuser les dépenses oné- reuses et inutiles, l'étendé une fois jusqu'au refus des dépenses les plus nécessaires. Pitt en fiit un instant menacé, et il répondit ju- dicieusement à cette menace par un défi qui suffit pour faire évanouir la menace. ' C'est que ce serait une si téméraire action que , quoiqu'elle soit possible matérielle- ment, je ne puis m'empêcher de la. croire moralement impossible. Au moins l'est-elle bien certainement sans qu'il se fasse une révolution dans l'État. Et puis qu'on y réfléchisse : si c'est un emh DE LA HAJOUTÉ. 9 Barras auquel on fût exposé parce que Tad-^ ministratioii que je suppose serait eu mino- rité dans Tua des pouvoirs, c'est un tim- barras qu'on éprouverait, dans l'hypothèse donnée» avec toutes les administrations * « quelles qu'elles fussent, puisqu'il n'y en aurait aucune qui pût obtenir la majorité dans ce pouvoir. Ceci va plus loin : quand on a dit que le gouvernement parlementaire était un gou-^ vemement de majorité, on a très*biei> dit. Oui , le gouvernement parlementaire a besoia de majorité. C'est par la majorité qu'il exerce et développe son action ; action fu- neste , si la majorité est contraire au prin- cipe du gouvernement; action favorable, seulement qui^nd la majorité est conforme à ce principe. Ainsi , pour prendre nos exemples en* France, deux choses y sont habituellement nécessaires au gouvernement : Tune, d'avoir OBAnTBaT. DE LA DIRECTION DD GOUVEHNEMBNT.. ;• :*• Février ifeig. Il n'est pas rare d'entendre de tott hoa- nêtes gens qui veulent discourir de Fétat présent des affaires , et qui croient en par- ler avec sagesse , parce que leur langage a en effet je ne sais quel semblant de résigna* DE LA DlRECTIOll DC fMNJVBRHBMBlIT. . IS lion et d^ générosité f il n'est pas rare de les entendre dire : qne faire à cela? c'est peut- être un malheur; mais voyez où est la nation: il faut marclMr aVec la nation. Il n'est pas rare non plus de rencontrer d'autres gens qui » le cœur plein de senti - mens tout contraires » et pénétrant un peu mieux la secrète signification des mots que les factions répandent et mettent en vogue , vous répètent aussi avec une merveilleuse affectation de sollicitude , ce refrain banal de l'hypocrisie et de la faiblesse : il faut marcher avec la nation. Il est donc à propos d'examiner ce que si- gnifient et ce que valent en réalité ces deux phraaes : être avec la nation ; marcher avec la nation * qu'on nous ddnne depuis quel- que temps» et avec une perfidie si pro- fonde et avec une conviction si ingénue , \ comme des axiomes de politique incontes* I tables et presque sacrés. lA GHàPRBB V. Ouest la naUon? Question bieu ofl mal po- sëe, selon la conséquence qu'on prétend tirer de sa solution. Si Ton entend que l'exa- men étant fait et les dispositions du peuple ayant été reconnues favorableS|ilfaut segarder d'y faire aucun changement » on a pleinement raison,et peisonne ne songera vraisemblable- ment à le contester. Mais si l'on s'est mis dans l'esprit que les dispositions se trouyant mauvaises , il est expédient de les ménager , et même de les seconder telles qu'elles sont , ona adopté l'erreur la plus évidente etla plus funeste. Il y a deux sortes de causes qui influent sur les dispositions d'une nation , outre ses mœurs et son caractère. Les unes sont des calamités , et ne dépendent pas toujours de la conduite du gouvernement. Les autres ne sont pas en elles-mêmes des calamités , mais dépendent du gouvernement^ et à tel point, qu'elles produisent infailliblement DE LA DIBBCTIOH DO «SOimUlHBnBHT. 15 des calamités si sa conduite manque de sa- gesse. Parmi les premières, sont de certaines guenres, les grandes batailles perdues, les pestes 9 les famines^ la mort intempestive du souverain. Parmi les secondes, sont les dis- sentions qui divisent les sujets, les désor- dres de finances , les impôts mal combinés ou mal répartis , la licence des mœurs et des opinions, Taffaiblissement ou l'inertie des ressorts du gouvernement. De là vient que lorsqu'on demande oà est la nation, la seule réponse à faire, si c'est un bomme du gouvernement^ qui interroge , eot le plus souvent celle-ci : la nation est ob vous l'avez mise* Car de nier, en général , l'influence possi- ble d'un gouvernement qui a de grands re- venus , une bonne armée , une forte marine, un clei^é fidèle, de nombreux tribunaux, des légions d'administrateurs , des savans , 16 CHAPITRE V. des orateurs , des écrivains , des artistes , cela serait contraire au bon sens. Mais nier , à une époque donnée » la réa- lité actuelle de cette influence , n'a rien qui puisse choquer la raison, pourvu qu'on ac- corde en même temps , qu'il n'en est ainsi que parce que le gouvernement n'a pas su ou voulu autrefois^ ne veut pas ou ne sait pas aujourd'hui profiter de ses avantages. Faute passée ou présente; ou tout à la fois, faute présente et passée; il n'y a point d'au- tre choix. Les dispositions de la nation pourront donc bien être fortuitement une excuse pour telle ou telle autre personne du gouvernement élue et élevée d'hier. Mais pour le gouverne- ment prison soi et dans sa continuité, elles ne lui en sont point une. Au contraire : elles sont en réalité son œuvre et sa faute. Et ce n'est pas non plus un motif pour lui de s'y abandonner; bien loin de là, car quoiqu'il DK LA DOUKrUON DU fiOVVSUIBlIBin'. 17 y (aille sahs Goaliredit des méaagMnens^'^b lliabiliBté, de la patience, et même apjmrèfm^ odeiKliieaitMup: de toutes cm cbuséa^y A^:m aëanmcîihb ie fwgvoiD de 'QB&dtfier progressif vêtaient le», pernteîeuseg inclinations d«pen« pie; et puisqn^il le peut, il le: doit. Itire è un . gouYcrnelnent^ tnarchia avec • la mOiên^ d'est lui dare-abdiqaea&etTetirei^vous. Le gonvernemenit n'cet pas établi pour sui- vre> îaniivpoilt guider. Il nie va à la stritè de personne,' et tout le monde âucoittraiitedoit être à sa suite. Gouvernement signifie que Ton gouverne, et non qu'on eét gouvieiîié. Or, inarchto avec la natioki, dans la pensde de ceux dont je parie, signifié obéir à la na- tion. Si bifen que la France offHrait le speiS tàcle d'un état politique, merveilleusement renversé, oh le peuple remplii*ait le rôle du gouvernement, et le gouvernement le rôle du peuple. Mais je me trompe, et ce n'est pas de quoi '2 18 .GUFmE V. il cSt question. Il s^agit de bîeti pis que cela vraiiaeiil. Sera-ce dans une nation unie, pai- aible et soumise, qu'on aura occasion de vous dire: marchez avec la nation? Non cer- tes, non évidemment. Ce sera donc senle* ment dans les nations que les factions auront divisées et soulevées. Que voudra donc dire ce langage? Déchirons le voile; il voudra dire: marchez avec les factions. Or expliquez-moi si c'est pour cette honteuse et pernicieuse sujétion, qu'ont été institués les gouveme- mans. Il me souvient d'un roi qui voyant se for- mer dans son état, une vaste et formidable association, n'imagina rien de mieux que de se laisser mettre docilement à sa tête, espé- rant sans doute qu'il lui imposerait et la contiendrait. Que lui en revint-il? Abaisse^ ment, ruine, crimes et mort. Il est pourtant vrai, mais dans un sens un peu différent , que le gouvernement doit être DB LA blBBCTlOH DO «OOVEBaBMElIT. 10 avec la nation. C'est à dire qu'il doit étudier piemièrement ses mœiirs» ses droits, ses be- soins légitimes y ses intérêts naturels. Cette connaissance acquise, il faut qu'elle devienne la règle immuable de la politique du gou- vernement. Après quoi, si la nation est dans cette route, il n'a plus qu'à l'y maintenir. Si elle s'en est écartée, il est de son devoir de travailler assidûment à l'y rappeler. Dans les deux cas, il ne se sépare point de la na- tion; mais parc^ qu'il l'entraîne avec lui, et non parce qu'elle l'entraîne avec elle. Tacite, qui ne passe pas, ce iae semble, ponr avoir été favorable à la tyrannie, a éta- bli une maxime qu'on ne devrait jamais ou- blier: in muliitudine regenddy plus pœna quam obteqiàum valet. Une juste sévérité vaut mieux dans le gouvernement des peuples, qu'un esprit obséquieux et condescendant. ... Remarquons bien l'expression de Tacite, pœna] ce qui signifie châtiment sans doute; 30 .OICRBBT. maia.ich&tiiiieDt juste el légal, et non paa violent eJt c^iricieus. C'est qti'en effetla vé- ritable, sciedce dugonremenient n'est qae dans la «ontiai^aooé de sa fproe, comme sa force n'est qpè dans l'exécution fermO} sou- tentfe et èqnttablemeDl ménagée des loisj Orcetteiorce-là eqt naturellement une force d'opposition «!t de résistance . Ë14e a étéétablie bien moins pour agir contre le peuple que ponrèmpêcbcrlepeQpled'i^centrelaiHnè- me. C'est sa dflstinatibnet sa propriété esse»- DK Lt DIBECIHM DV flOOVmUfKIT. ïl Je Bais bien qu'il y a beaucoup de séduc- UoDB dans l'idée desattsfaïKle peuple, d'être , avec hit, de legûOT«ril8lrcoimntt tl vent. Je Bais bien aussi qu'il eui rade 6'ètte obligé dé faire le bien dessus mal^i^ eux, et de s'cx- pos^ à«ii ^re'màudU pbur les' RTbntages qu'oollear ph>ciirol Mais c'est le sort' com- mun-dcr tous les pouvoirs bieofïiisaiis, & cbmoKBcer par la PÀyidence: Gens qui gué- rissent,- gins qui instruisent, gehs qui exer- cent la- jvsiice, gens qui 'dirigent les gouvér- Hfimens; s'ils -veu^ntêtre bénis des maTades, desle'ofansij'-des'accDséB et'des peuples, ils n'ontqn'ft farter Kaidertume de leurs ré^ mddes, le tUigoiAt^dd leurs étiides,la sévérité gravité de leur ne bénit, ché- artain.'Mais à quand?jusqn'à qne les enfaos des criminels 33 • GBAPmf .TL droit de paix et de guerre , du droit de con- férer les emplois, du droit de .ponryoîrà la sûreté . de l'état , le&quela sont ae&.drôits propres Qt distiaots ^ «et coûstitueht r^uUè- rement to. prérogative*. . ^ r. . La prérogative jeat le droii.dans.sa. perr fectioa et sa plémftude^ le duOâlr porté au plus haut point oii il puisse l'âtce^ile dxmt absolu et.illinité sur un objet. limité.. C^t pourquoi elle.doit être estclusive; car «utre- ment le droit étant cooolmtlnii pliisielirs^ 3e- rait par cela même moindre et plus faible. ime 'constitation qui attribuerait là sonverAinfeté au peuple : tout piwvmr subordonné peut et doit répondre envers le pouvoir supérieur. Tout pouvoir non souverain eJt essentieUement res- ponsable e nvers le pouvoir souveraiiL Et de tous ceux en qui la souveraineté peut être réel- lement ou fictivement placée, il n'en est point qui, le jour venU| l*exerce plus pleinement, plus absolument, plus inflexiblement que le peuple. La souveraineté, placée dans le droit, admet peu de bQmes, quand elle en admet. La souveraineté, placée dans la force» n'en admet aucune , n*en admet jamais. DE tA PldOKMATITB. 39 C'est aussi poolrquoi elle tloil être indépeii-^ dante; car autrement le droit dont elle dé- pendrait étant néoessairemeot plus fort el plus étendu y il né serait plus vrai qu'elle fût aussi forte et aussi étendue qu'elle pourrait Tétre. Il né serait même plus vrai aloris qu'elle Mt exclusive* Car celui à qui appar- tiendrait le droit dépendant l'eiercexait moins en réalité ^ que celui de qui ce droit dépendraitll ; • QuèUe opinion aùràit-«on en Fhmce de rbérédité de la pairie , si, au lieu d'un droit perpétadet ikirariablei ce n'était plus qu'une faculté douteuse et piécaire qui dépendit de l'assentiment d'un autre pouvoir? On y ver- rait èmeùre une promesse et une espéranoe; une noble eapénacè^et une haute promease^ je le veux : mai»" ce ne serait même. plus un droit; à plus forte raison ne serait*ce |>as une prérogative^ Quelle opinion aurions-nous du droil de 2. 3 31 «utAnniE Vf. pionoiKtér'aViÎDfttoutle monde sfr la prapo- MMoB^de i'iiiip4t j si la chambre des côm- isulie& n'em était investie qu'imparfaite-^ aient i et. qu'il dépendu d'un autre. pouvoir de le suspendre on de le détruii*e? k peine si l'on y trouverait encore une faveur et ten awmtage. Mais une prérogative? II n'y en aurait pas même l'apparenGe. - U n'en est pas autrement des prérogatives du prince. S'il dépend de qukpue ce soit pour soif inviolabilité, il n'est ptns vrai qu'il soit inviolable. S'il est dépendant pour l'exerciee du ponvoii* exécntil^ on pour la distribution des emplois, il n'est pins viai que ce soit lui qui donne ces iemptois ou qui exerce ce pouvoir. Iol dépendance ^itaiiit la prérogative ^ à nains qu'on n'aûne mieux dire q^u'elle la déplaieew - Il y a pour l'une dies prérdgatif et dû prince une raison de plus en faveur 'de l'iédépo^ dance* Soit parce que les ministres du. roi DE IiA PSÉROOAtlTE. SS sont ses ministres , et non les ministres d'un autre pouvoir ; soit parce que leur emploi est un emploi d'administration publique j soit parce qu'ils sont délégués pour rexer- cice de la puissance executive qui appartient au roi seul , sous quelque rapport que leur nomination soit considérée i on ne peut évi- ter d'y reeonnnltre une prérogative du roi. Mais ces ministres ne sokit pas seulement élus pour exécuter ; ils te sont aussi poér répondre. Ils répondent dé totit té qu^ fliii le prince , et de tout oe qu'ils font enx-md^ mes en son nom* Bien plus : il poumil- y avoir des temps où ils eussent à répondre de ce qui n'aurait pas été lait. Or» comment voudrait*iMi que dés minis- lies que le prince aurait acceptés par ^our trainte , et qui aeraienl par conséquent prif^ Tés de sa confiance , pussent répondre équi- tabkment d'une action ou d'un refus d'acr tiou qu'ils n'auraient pas eu le crédit d'em-^ M OUPtriUB VI. pécher? On ne répond pas pour des gens qui vous désavouent; on ne se fait pas garant d'autrui , malgré lui.. Dire que les ministres qui veulent se sons*- traire k cette responsabilité , ise retirent, ee n-est rien dire d'utile > ni de concluant. Cair après qu'ils se sont retirés 9 il faut bien en appeler d'autres , et ceux-ci sont dans la même position quelles premiers 9 s'ils. ont ^té imposés au prince , ou dans la position ofi j'ai fait voir qu'ik devaient être , s'ils n'ont pas été imposés. C'est surtout pour qu'ils puissent être, res- ponsables» qu'il est nécessaire que les mi- nistres aient la confiance du prince ; et c'est pour qu'ils puissent avoir cette confiance, qu'ilest nécessaire que leur nomination soit indépendante de tout autre pouvoir que le sien; Sans cela qu'arriverait-il 7 Ou que le prince ferait malgré le ministre , et. oduir-i^i ne pourrait plus être ^régulièrement respon- DE LA PWÙIOCATITE. 37 ' sable; ou que le prince s'abstiendrait mal- gré le ministre, et quoique FÉtat cessât alors d'être gouverné , il serait encore impossible en ibonne justice, que le ministre en fût res-- pensable* Cboix dépendant, reslmnsabilité ministérielle > deux choses inconciliables et incompatibles. Qu'on ne s'effraie pas de ces règles 1 Elles sont exactes , et de plus , favorables à la li- berté. Qui condamnerait les prérogatives pour ce qu'elles ont d'absolu, t% d'.étranger à l'ordre commun, ne montrerait qu'une chose , savoir : qu'il n'a pas compris le but et l'uti-< lité de leur établissement. Tant s'en faut que ce soit celui à qui appartient la prérogative, qui en recueille les meilleurs fruits I Ce qui fait que les prérogatives politiques sont si importantes et si respectables , c'est qu'il n'en est pas une seule qui ne soit bien moins un droit qu'un devoir. H^ cKAvnms Tii. DE l'inaction politique. Janvier, i83o. Je ne nie point que l'action ne soit la vie des gouvememens, dans les grands états* Elle n'est pas seulement lapreuve, mais le principe dé leur vie. Un grand duc de Toscane a bien DE L*I94CTI09 PQiflTlQUE. 90 pii^ f^asser vingt ans sans rien fair^} maid il n'y avait peutp-être q«e lui qui le pût. ]' avoue encore que s'il y a quelque part une nation vive et vaine, eapricieuae et tu- multueuse, ardente au mouvement et au changement; qui soit à peu près entre les peuples, avec mêmes vertus et mêmes dé* fauts, ee que sont les femmes dans la raoe humaine ; j'avoue que la vérité du principe est encore plus incontestable chez cette na-* lion que chez aucune autre. . Je reconnais aussi que dans les états oik les formes mêmes de la constitution favorisent l'agitation et oiganisent le bruit , cet acci- dent grave et essenjtiel est une raison de plus pour le gouvernement d'être sans cesse en action pour contenir les esprits ou les satis-^ faire. Mais il y a plusieurs sortes d'actions poli- tiques, et, chose certaine quoique en appa- reace absurde et contradictoire, il n'y a pas 40 • GBAVlTftE fIL jusqu^à IHoactioA eUe-méme, qui ne pdU^e, selon les lieux et les temps, devenir à son tour une véritable action. L'action politique neeonsiste pas toujours dans ce qui éclate immédiatement, dans ce qui se produit par des. faits soudains et ma- tériels. La paix et la guerre sont de Taction poUtique; les lois, les édits, les distribu- tions de g^Aces et d'emplois dépendent aussi de cette action. Mais il y a encore d'autres choses qui n'en dépendent pas moins. L'action politique est dans tout ce qui agfic médiatement ou inmiédiatement sur les esprits et sur les affaires; dans tout ce qui tend ostensiblement ou non , à un but sé- rieux et réel. Prochain ou éloigné, il n'im- porte : si le but existe et qu'il y ait impulsion ou tendance, il y a action. Si donc il se rencontre des hypothèses dans la politique , où. l'inaction soit propre à produire de pareils effets , il est vrai de DE L'IftâCnOII MMilTIQUE. Ht dire alors que l'inaction n'équivaut pas seu- lement à l'aclion , mais constitue elle-même ane action. Or, il peut arriver dans les états populaires ou mixtes, que Tinaction subite et imprévue du gouvernement imprime aux partis des incertitudes et des irrésolutions salutaires qui modèrent et déconcertent leur propre action. II peut arriver qo^elle suffise k démentir leurs accusations, à faire avorter leurs des- seins , à tromper leur joie et leurs espé- rances. 11 n'est pas impossible qu'elle devienne, dans quelques occasions, un moyen puissant de prouver au peuple la vanité de ses juge- mens et dé ses craintes, et qu'elle serve à tni inspirer d'utiles défiances contre les es- prits qui trompent sa crédulité. Alors , il y a sans aucun doute , cbange- ment dans les dispositions du peuple, cban- gement dans la situation du gouvernement^ 43 CMAPIIMI Vil. cliaiigeiiieiit dans la puissance de ses enae- mis. On ne saurait indiquer une action posi- tive etdirectequieût pu agir plus réellement et plus efficacement que cette action indi- recte qui n'est pourtant que de Tinaçtion. Mais l'action politique a ses conditions : la prudence, la dextérité, la décision, la per- sévérance. A plus forte raison, rinaction, qui est un moyen de gouvernement moius ordinaire, moins naturel et plus compliqué. Ses conditions sont peut être les mêmes que pour l'action ; mais il est certainement nécessaire qu'elles soient portées k un plus haut d<^ré. Il faut à l'inaction plus de dexté«- rite, de persévérance, de décision. Quant à la prudence , je n*en parle pas ; parce que l'inaction est elle-même le dernier effort de la prudence, et qu'il n'y a guère à se dé- m fendre dans cette situation, que de sou excès. Outre ses conditions, l'inaction politique a aussi ses inconvéniens. Les principaux DB L'IHACTION POLITIQUE. 4r3 sont la force qu'elle, ez^e, les eugageinens qu'elle implique i l'inoertitude de son op- portunité. Les lutteurs savent combien plus de force il faut déployer pour résister à son adver-- saire, sans sortir du point où on s'est placé, que pour l'ébranler ou même l'abattre par des mouvemens rapides et réitérés. Il n'y a point de soldat qui ne vous dise combien est moindre le courage qu'il faut pour se précipiter impétueusement sur l'en- nemi, et combien plus grand celui qui est nécessaire pour essuyer froidement son feu sans y répondre et sans essayer de s'en ga- rantir. Toute fois cette force et ce courage ne sont utiles et dignes d'estime que par le résultat qu'ils se proposent. Si l'immobilité du lut- teur ou du soldat ne les font pas vaincre , elle est insensée ; car c'est probablement elle qui fera qu'ils seront vaincus. M GB4P1TBE TIL Et il ne 8affit même pas de yaiùcre; il faut vaincre mieux et avec plus de fruit que ron n'eftt pu faire sans cela. Car autrement, à quoi bon ces manœuvres inusitëes> et ces périls plus grande qu^il n'était nécessaire d'en essuyer? Aussi n'est-ce pas peu de chose dans la politique , que de bien choisir le moment où les expédiena étranges et rares doivent être substitués aux moyens plus connus et plus naturels. Gela engage plus et promet davantage. Il eat bien plus pernicieux de se tromper dans remploi de ces ressources factices que dans l'emploi de celles aux- quelles les esprits sont accoutumés. Vous vous épuisez alors pour revenir à ceUes-ci, et il n'est plus temps. Tout se re- tire de vous. On vous mesure les mépris et la résistance à vos témérités et à votre pré- somption. D'autres inconvénient de l'inaction , c'est DB L'nAcnoi POhnvtDE, hn quelquefois d'être pris pour pins faible, ou moins courageux que l'on n'est. Il arrive alors que les ennemis s'enhardissent, et que les amis perdent confiance ; voilà un double mal. Le plus sûr remède que j'y trouve, est dans la réputation de celui qui a recours à cet expédient, laquelle fait, quand elle est de bonne nature, que personne ne doute de sa constance ou n'espère en sa lâcheté. A côté des inconvéniens sont les avantages ; mais je les ai déjà indiqués. Pour moi , toutes choses bien pesées et bien balancées , si j'étais homme d'opposi- tion et de politique, j'aimerais mieux, je crois , avoir affaire à un gouvernement qui agit, qu'à un gouvernement qui se reposât et qui voulât prendre soii téu[/ps. Dieu aussi w est patient, et c'est ce qui ïait'qùié j'ai' «lit de crainte et de foi en ses jugemensl "' J !. I. oBAnrmB wm. DBS QÙtJfB B'tftAT. CfESiT un moyea extrême et irrégoUer de chwBger 00 d^ raffermir la cpustitution d'un État. C'est une. entreprise par laquelle on sort de la constitution, quelquefois pour n'y plus ( I ) Publié le 29 mai suiyatat dans WniverseL BBS OOOPS D'AfSAT. A7 rentrer^ quelquefois au contraire pour y ren- trer plus profondément et plus fructueuse- ment. Tout ce qui altère la constitution n'est pas coup d'état; tout coup d'état n'altère pas la constitution. Ily a eu dès coups d'états légitimes^et d'au- tres qui ne l'étaient point. Il peut y avoir aussi des'coups d'étatS; lé- gitimes par le but qu'on se propose, mais illégitimes par les mqyeas dont on se sert pour les accomplir. . Un coup d^état peut-être légitime lorsqu'il • . • " - a pour but i'afferihissement de la constitu- tion. }e dis seulement qu'il peut être , et non |(às qÂi^il est légitime, parce que cela dé^ pend encore du choix des moyens, et en outre d'une autre circonstance fort considérable^ m savoil', que Quoiqu'il' soit légitime dé tou- ver la constitution par un coup d'état , cela n'est pourtant véritable qu'à condition que 48 cKâpRBB nn. laconstitation ne puisse pas être sauvée sans ce coup d'état. Comme rien ne s'arrête dans le mouve- ment perpétuel des choses du monde > une constitution a beau être fondée sur un prin- cipe naturel et juste , cela n'empêche point qu'elle ne soit constamment poussée, par l'infatigable effort des passions et des inté- rêts, à s'écarter de ce principe en qui réside sa force et qui garantit sa conservation. A mesure que le temps avance, le funeste pro grès s'accélère; à mesure que le progrès s'ac- célère , la ruine de la constitution devient plus prochaine. Il faut bien qu'alors la con- stitution puisse être ramenée, par un eCfort rapide et contraire, à ce principe protecteur et vivifiant hors duquel elle se corrompt et périt. , II est très vrai que les constitutions ne peuvent quelquefois être ramenées à leur principe que par de^ coups d'état. Le plus DM GOOM D^ÉtAT. 40 souvent elles peuvent l'être par des moyens pins simples et moins dangei^eux. Cela ne dé- pend pas seulement- d^s progrès qu'a faits la déviation ; mais encore des formes de la constitution, et du génie de ceux qui font l'entreprise. Les premiers exigent plus de résolution et de promptitude; les seconds plus de patience et d'habileté. Les moyens sont illégitimes, même dans un coup d^état légitime, lorsqu'ils entre- prennent sur Tordre régulier et habituel au- delà de ce qui est strictement nécessaire pour exécuter le dessein qui fait que le coup d'état est légitime. Gabriel Naudé a publié , au dix-septième siècle , un traité sur les coups d'état. Quand j'ai vu que ce qu'il trouvait de repréhensi- hle dans. la Saint Barthélémy , était seule- ment qu'on n'y avait pas assez tué et exter- miné , j'avoue que le courage m'a manqué 2. 4 60 ««ivnw vni* pow «Uer plus lo Que peut-on apprendre eu (k) piM^iU Uvve»]. Uo coup d'éi^t p^tit ê\n liffAium y aras que fes «i4t6ur« soient née^swirenitet eMcu- •ablcn d'y avoit reeolirs. Ceia ariiveraiia'U avait été en leur pouvoir d'en prévenûr la néceisité, ^t qu'ils eussent négligé ou râfoaé de la prévenir» lia seratfnt ÎMgbcuaaUes d'avoir laissé venir la nécessité , et la néces- site venue, As seraient encore inexcusables de lui résister : triste et malheureuse condi- tion d'un homme d'État ! Les coups d'état sont toujours illégitimes, quand ils ne sont entrepris que pour satis- faire l'ambition de ceux qui les exécutent, le n'en Modpte paMOnne : prinoes ^ gHMids , eu pauple»» il jaiporte peu. Lee CiMips d'élUt aeat aussi die t^e covi-> mune ^ odieux et iUégâtiuea » qitind îIb otti panr ImX de i«nvera^ la cwistiÉutiom é^ Vtr* Uki. DU CODfll D'iTM. 51 Toutefois cette règle «st comme la plupart de* autres 9 elle a ses exeeptiona qui la qùî^ firaoent, et Imi serrent de preate. 8i fiBe conatitafe^o illégitiaMi a été impo^ 8ée par usurjjation et par violefice) ott ue peut certainemerit pas condamner comme il- légitime le coup d'état par lequel on entre- prend de retourner à la constitution légiti- me. En France, la déclaration de St-^Ouen et » la Charte qui abolirent les constitutions de rSmpîre furent manifestement un coup d^é- tat légitime. SU se trouve qu^une consâtution con- traiye à Vétat naturel du pays, y ait été ac- cidenteHememt établie; comme /par exem- ple y une répubHi{ue t^lie^ aine naltion formée à là monarchies cfu une faion'irchié che^ true nation formée à la république , on ne peut oiepr que le t^ovp. d*état qui ,rét4bUt V ordre natiir^ f^t pépessMi^e , ae .SQitilég;î(imc. Il fi|t évîdeiMMnt légitMie en France , de détrqure 52 CBAPmB fUf. la constitution de Tan III. Cela était légitime d'une légitimité naturelle et essentielle, plus forte encore que les légitimités léga- les et de convention, quelque puissantes d'ailleurs que soient celles-ci: Les coups d^état ne sont pas tous aussi dangereux et aussi difficiles , ni aussi faciles et aussi peu dangereux que se l'imaginent tour à tour beaucoup de gens. Ceux qui consistent dans l'emploi de la force effraient plus , et ont cependant quand ils ont été |>royoqués , moins de difficultés et de périls. Ils sont plus prompts et plus décisifs. T4es courages ordinaires suffisent d'ailleurs pour les entreprendre : tout le monde est propre à tirer i'épëe contre qui la tire. « Ceux qui consistent dans Temploi des moyens civils frappent moins les imagina- tions vulgaires , et sont toutefois bien plus DBS COUP» D'éTAT. 53 périlleux. La èaase en est plus obscure , la justice plus contestable, la combinaison plus compliquée , la préparation plus hasardeuse , Tezécution moins complète , les retours plus prochains et plus naturels. Us exigent un courage plus persévérant et plus réfléchi ; une habileté courageuse , un courage habile ; le courage et l'habileté du petit nombre. Trois choses indépendamment de son but, sont à considérer dans un coup d'état : la nécessité , la nécessité reconnue , et le suc- cès. Il ne suffit point que le coup d'état soit nécessaire , de cette nécessité latente et se- crète qui se révèle quelque fois à un petit nombre d'esprits par des signes douteux et presque insensibles. Il ne faut rien moins qu'une nécessité manifeste , éclatante^ vul- gaire, qui persuade et subjugue par l'évi- dence de sa réalité. Par la nécessité , on ac- quiert, le droit d'entreprendre-, par la con- DE LA RÉACTION. Toun, 7 août i83o. Comme il n'y a rien de stable dans le monde, il n'y a rien aussi qui ne soit borné. C'est d'où viennent à la fois les change- mens et les retours des choses humaines. L'esprit de l'homme est trop imparfait DM LA aéMIVMW. 50 pour que sa yolooté aoit invamble. Il a« pé- nètre jamais assez profondément dans la vérilë pour être certain de l'avoir trouvée , et ne la plus ebercher où elle n'est pas. Ses passions ont trop de vivacité posr être constantes , et pour se maintenir perpétuel * loMnt au même degré. Elles ont des jours d'accès et des jours de relâchement. Dana les premiers, l'homme veut; dans les «•- c^nds» l'homme ne vent plus. Il n'a pourtMt pas changé, pour bien dire. Il est tel en soi» qu'avant oea variations. Ses vœux se sont détournés à d'autres objets ; mais lui , formé de nature pour le changement , ses change* mens mêmes prenvent qu'il ne change point. L'homme est incertain dans ses vœux paroe qu'il est imparCait; il est imparfait parce qu'il est borné et passionné. jusqu'il est ainsi » c'est nue et ces ruines, jeunes et vi- vanftm f et souléTont incesyamment du' ièin de la terfe» ponr rejeter le lardéaM ipa'on veut leur faire porter. . Il lui faut sans cesse de nouTeaiix et et** traordinaires efforts ; et ces efforts par les« quels il essaie de se mainlenûr, sont le plus souvent ce qui Ten eupécke. CesS par #ù il blesse et révolte ç par aà il Aésubnse 6t se perd. ■ Il périrait sans eux , et ne péift que plus «ûrement avM eux. Vous lui demnndiex de l'Ordre » et ii l'exa- gère ;. de la liberté , et il la réduit* Or , i'oi^ (l) « Ct de vrajr» la nouvcUfté coa$te si cher jusqu'à » ceUe heure à ce pauvre estât ( et sî je ne sçais si nous en » sommes à la demièk^ enchite), ^'eu tont et partout » j'feil qtiuHf le partf. n N^NTHMHf^, £cU^ à sM'/èmfne, DE LA WûààfCtfOm. 61 dre exagéré est un désordre^ el la liberté réduite , toute ^utre chose que la libefté* La réaction vient donc de hri-même, et de sa propre origine, qui, parce qu'elle est nouvelle et douteuse , Poblige à des choses contraires attx motifs de sa ctéatiotu Action ou réaction, c'est pour les opi- nions, la puissance, les mœurs, la consti« tulion elle-même^ l'état perpétuel de tous les Etats.  ne considérer que le but , il ne se peut pas que toute réaction soit bonne; non plus que t^ute réaction soit mauvaise. A ne considérer qu'une partie 4e leurs ré* sulta^, OA ne saurait dir^ qu'il y en ait une seule qui nesoil mau^vaise. Le but étant pour l'ordinaire , de snbslii-*' imtr «A priâci)ii6 de i^ncmemfenl à un nn- tie, si le pffineipe établi est fasrorablè) la réadfton ne Test pas. Si le principe esl dé^ 6ft ciupinB n. fectueuxy la réaction est nécessairement fa- vorable. Mais cette substitution de principe n'est pas une cbose simple dans un État. Quand on a remplacé le roi par le peuple, ou le peuple par le roi, tout n'est pas fait, tant s'en faut. Il y a encore des multitudes de conditions secondaires à détruire; il y a des opinions reçues à niettre en décri;des opinions réprouvées à mettre en honneur. Il ne s'agit de rien moins que de refaire le jugement » même de la nation , et de lui inspirer en peu de jours une égale conviction du pour et du contre ; œuvre difficile, et qui tend d'ailleurs à la corruption des esprits. C'est pourquoi je dis que la plus heu- reuse réaction est toujours funeste par quel- que côté. Cela est d'autant plus véritable que les grandes affaires de ce monde ne marchent point graduellement. Comme il n'y a qu'un DB LA BiACTIOH. 65 puissant effort qui paisse y faire des chan- gemens considérables y le changement fait et la barrière rompue , la puissance même de Teffort j qui ne se ralentit qu'à la longue , entraîne aussitôt les choses au-delà du but oà il faudrait s'arrêter. L'empereur vint après les excès de la li- berté et de l'anarchie ; ce fut principalement ce qui lui rendit le despotisme si facile. Les Bourbons revinrent après les excès du des- potisme ; ce fut principalement ce qui ren- dit si difficile pour eux l'établissement d'une liberté modérée. Au sortir de l'anarchie , on s'y croit en- core , s'il reste quelque apparence de liberté. Après la tyiannie on ne se croit pas libre, s*il reste quelque ombre de subordination et de devoir. a. 5 DB LA P088B88IOIf. • Toors^ia août i83t. L'homme, Thomme intellectuel et rhomme physique n'a pas en lui de quoi se sufiure à soi-même. Son existence ne se soutient et ne se com- plète que par les objets extérieurs. DE LA POMIHIO!!. 07 L'usage de ces objets extérieurs est donc son premier besoin. Pour user il faut posséder. C'est ce qui fait que la possession est Pinstint de l'homme. Si l'homme était comme la brute, sans intelligence et sans prévoyance des besoins futurs f il se contenterait de la possession actuelle, d'une possessioa égale en durée au besoin dont le sentiment la lui aurait fait rechercher. Mais l'homme a une certaine connaissance de l'ayenir. Il sait que les besoins qu'il res- sent acluellement se renouvelleront et se perpétueront. Ses désirs, effet de ses be- soins, doivent donc s'étendre comme eux. Il est de sa nature de vouloir posséder au- tant que dureront ses besoins, et par consé* quent autant que sa vie. La possession actuelle est l'instinct de l'homme physique; la possession continue est l'instinct de l'homme intellectuel. 08 CHAPRIUS X. La possession actuelle n'est que la pos- session ; la possession continue est la pro- priété j la propriété , c'est la société. L'homme isolé n'a d'autre titre et d'autre garant que sa force. La force individuelle suffit pour la possession actuelle. Elle ne suffît plus pour la possession continue. Ce qui peut devenir un titre pour tous, ne l'est évidemment pour aucun. La force indivi- duelle , considérée comme titre , se supplan- tant incessamment et se détruisant elle- même , n'assure et ne garantit rien h qui que ce soit. La possession continue ne peut-être garan- tie que par un titre continu comme elle. Ce titre continu > permanent et indestructible , il n'y a que la force de plusieurs qui puisse le constituer^ L'union des forces est donc dans l'instinct de l'homme intellectuel, comme la posses- sion continue y est elle-même. DB LA POMBMIOH. M L'anion passagère ne serait pas une vérita- table union. Elle ne remplirait pas sou objet. Elle ne satisferait pas au besoin qui la fait former. 11 n'y a que l'union durable qui le puisse; il n'y a que l'union organisée qui puisse être durable. Or, qu'est-ce que l'union organisée? L'bomme est prévoyant et intelligent; mais il ne l'est pas devenu : il a été créé tel. Il n'a pas appris l'intelligence ; au contraire, c'est par elle qu'il a tout appris . Créé donc prévoyant et intelligent , il est ué capable de pressentir ses besoins futurs , capable des désirs qu'inspire ce pressenti- ment,: enclin à l'union, sans laquelle ces désirs ne seraient pas satisfaits. Il est natu- rellement social , parce qu'il est naturelle- ment intelligent. La soci^ est donc pour l'homme , de droit naturel et essentiel. A plus forte rai- son la possession continue , c'est-à-dire la 70 ' GHAPlTBfi X. propriété, Test -elle elle-même , puisqu'elle est la eause et la fin de la société. Mais l'état de société comporte plusieurs sortes de propriétés. Il y en a pour lesqudles la société eat né- cessaire ; il y en d'autres qui sont néceasai— res à la société. Les premières sont les propriétés de rhpmme; celles pour la conservation des- quelles la société s'est formée. Les secondes sont les propriétés commu- nes et publiques 3 qui se forment par l'oiga. nisation même de la société. Diverses par leur objet et par leur nature on ne les possède aussi qu'à des conditions très diverses. Les unes, on ne les possède que pour soi ; c'est la possession absolue. Les autres , on les possède bien plus pour la aoeiété que pour soi : c'est la possession mixta» relative et conditionnelle. DE Là POSSBaiHMi. 71 Les biens proprement dit sont de la pre- mière classe. Les magistratures sont de ia seconde. La différence qui existe entre elles est con- sidérable. Elle ne va pas cependant jusqu'au principe d'où elles dérivent. Ce qu'on possède pour soi , on le possède d'un droit établi sur le besoin personnel de l'homme. Ce qu'on possède pour la société , on le possède d'un droit établi sur le besoin pro- pre de la société, qui est établie elle-même sur le besoin personnel de l'homme. Les deux possessions ont des origines ana- logues, toutes deux naturelles, toutes deux primitives, toutes deux sacrées. Car ce qui fait que le droit de propriété appliqué aux choses privées mérite tant d'être respecté, c'est que lui détruit, la so- ciété n'a plus d'objet et n'existe plus. Or , il est difficile de dire que le droit de 72 aUPttBM X. propriété appKqué aux choses qui consti- tuent Foi^anisation de la société, et par conséquent son existence, importe moins à la société. Les magistratures instituées pour les be - soins de la société, varient comme eux. Elles Tarient dans leur objet , dans leur pouvoir , dans leurs conditions. Les unes sont passa- gères , d'autres viagères , d'autres transmis- sibles et héréditaires , selon ce qu'etige Vin- térêt de la société. Il en est d'un ordre inférieur, qu'il est avantageux de changer souvent. Il en est d'un ordre élevé, qu'il faudrait ne changer jamais. Une raison simple et bornée , répugne à cette dernière vérité, qu'elle ne comprend point. Une raison plus forte et plus étendue, ne comprend pas qu'on puisse douter de cette vérité. Quand il en doit coûter plus pour recher- DB LA POMEMIOH. li cher le plus digne» que pour supporter celui qui ne l'est pas , il est facile de voir où est Fintérêt de la société. Pour les magistratures , ce sont les condi- tions de leur création qui forment la légiti- mité de leur possession ; comme pour les biens , ee sont les conditions de lenr établis- sèment. On ne les acquiert , et on ne les perd légitimement qu'autant qu'on les ac- quiert ou qu'on les perd conformément à ces conditions. 11 se pourrait néanmoins que toutes les maiMères de les perdre ou de les acquérir il- légitimement ne fussent pas également illé- gitimes. Qnand on viole le droit pour soi seul, pour contenter sa cupidité ou son ambition, c'est l'illégitimité absolue. S'il était possible qu'on l'eût violé réelle- ment malgré soi» et pour le seul intérêt de la société , comme le droit dont il s'agit n'a là cMJumtm i. en vue que le bien de la société, il n'y aurait plus que les moyens d'illégitimes ; Teffet De le serait pas. Mais quant arrive-t-il qu'on ne viole le droit de la société que pour l'intérêt de la société? Ce n'est pas Denys, ce n'est pas Guillaume qui ont été dans ce cas. Qui est- ce donc?... Ils le disent tous ; aucun ne dit vrai. LIVRE QUATRIÈME. -1831 — 1833. Il n« reste plus déformais, sinon que tous tenlei ferme parmi res ruines. BOMIJET, Oraivm fanàbrt de Htnrititê 't PRINCE BT PRINCIPE. Ham, i833. Parce qu'on a besoin de raisonner, on dis- tingue, et parce qu'on a besoin de distin- guer, on distingue trop : c'est chose com- mune. Homme et principe , qu'y a-t -il sous le 78 GHArann i. ciel de moins identique et de moins pareil ? Principe? Vérité, simplicité et perpétuité. Homme? Double nature, erreur, ignorance, faiblesse, brève durée. Et quand vous avez vu tout cela, vous vous êtes écrié : Qu'importe la personne? le principe seul m'importe et me toucbe. Sans doute , on croirait au premier aspect qu'il en est ainsi ; et pourtant , dans le gou- vernement des états , il s'en faut de peu que ces choses si dissemblables ne se confondent. Gela est , et de plus il est nécessaire que cela soit. La science du gouvernement n'est pas comme les mystères d'Egypte ou de Grèce , ni même comme la philosophie d'A- riatote, dont Alexandre bl&mait et tegrettaii la divulgation. Elle ne se professe pas seule* ment pour Tamusement de l'esprit ; elle n'est pas réservée aux méditations des spéculatji|fie( des doctes : die s'exerce et s'applique ; elle PBIIIGE BT MUBGIPB. 70 I se révèle » au moins par ses effets i aux plus simples* Souffrez donc qu'il y ait en elle aussi des' parties simples , extérieures et saisissables. N'entreprenez pas de la réduire à une vaine spiritualité, qui ne lui sied pas. Prétendez- vous être les iconoclastes de la politique? C'est une croyance matérielle et vulgaire : il lui faut des signes. Il y va même de son intérêt qu'il en soit ainsi; car l'action politique s'exerce plus sûrement et plus facilement sur le grand nombre, quand il s'attache au système de cette action. Qr il ne s'y attache point s'il ne la comprend ^ et il ne la comprend point si vous la réduisez à des abstractions. Je vous les permets à mon tour,^ ces abs- tractions qui rendent raison des choses à ceux pour qui il est nécessaire d'en rendre raison. J'admets ces déductions et ces lhéo«- rêmes , où se déploie la subtilité des so - a2 GHAPITKE I. trôae aa roi, et quand on a pn lui disputer le trône y il y a même raison pour vous dis- puter votre femme ou votre héritage. Car l'inviolabilité du droit ne rempêche pas d'être simple ; au contraire , c'est ce qui le fait tel. Il n'y en a point deux, mais uu seul. S'il y en avait deux , ils se combat- traient; l'un détruirait l'autre, et peut-être même se détruiraient-ils réciproquement. Ob il y a deux droits , 11 n'y en a plus ; où il n'y a plus de droit , il n'y a plus de so- ciété. Mais concevea&-vous le droit abstrait, saus une personne en qui il réside ? Le concevez- vous sans cette personne, en excluant d'au- tres? Le concevez-vous produisant les salu- taires effets qu'il produit?* Le droit est ce qui appartient, et ce qui appartient n'a de réalité que par ses rapports avec la personne à qui il appartient. Le droit qui ne serait à personne ne serait pas i>ni:ii<;e £.7 pBiaicxpr. 63 Ne dites doue plus, je le répète , que le droit soit tout ; car le droit, saus la personne, n'est rien. Est-ce à dire qu'il faille tellemeut s'atlc- cher à cette personne, qu'on ne voie plus qu'elle, sans plus se ressou%'enir de son droit, qui aura fait que l'on s'y sera attaché? Non certes^ et il s'en faut bien ; car ce serait encore un excès, quoique contraire. Ni l'on ne doit faire abstraction de son droit , quand on suit le prince ; ni l'on ne doit faire abstraction du prince , quand on embrasse son droit. J'entends : le prince passe , le principe reste. Celui à qui est le droit le perd par sa mort , ou s'en dépouille par sa volonté. L'im- mutabilité du principe vous console de ce diaogement qui ne l'atteint pas , et vous ré- pétez encore : Que m'importe? Il TOUS importe beaucoup. Ou le prince était bon , et le changement est funeste ; ou 8ft CHAPRllE I. le prince était mauvais y et le chaDgement est heureux. Réjouissez-vous donc , si vous en avez sujet ; mais ne dites pas : ceci m'est indifférent. La stabilité du principe supplée à l'insta- bilité de la vie et des volontés. C'est la con- solation, le dédommiagement I le remède; toutes cboses qui n'excluent ni le regret, ni le mal , mais qui les suivent au contraire et qui les supposent. Heureux les peuples i dans les monarchies, quand ils aiment ceux à qui il appartient d'être, leurs princes ! Heureux les princes qui aiment leur peuple I La raison pour laquelle il est bon aux peuples d'avoir dé l'amour pour leur prince, est qu'il leur est bon que leur prince ait aussi de l'amour pour eux. La domination leur est plus légère , parce qu'ils aiment celui qui l'exerce, et parce qu'il est aimé PIIHCE BT PBIRCIPB. 85 de ceux sur qui il l'exerce , il la peut rendre encore pins l^ère. Heureux ceux qui croient ; plus heureux ceux qui croient et qui aiment. La religion , loi du ciel, qui prescrit la foi , exige l'amour ; la politique j théogonie de la terre , exigé que Ton ait foi au principe abstrait, et amour pour le principe actif et vivant. Qu'est-ce que la foi sans l'amour? Ce n'est plus même la foi. Ceux qui ne se passionnent pas pour le principe qu'ils croient, le croient moins; et qui croit moins ne croit pas assez. Pourquoi croire au principe ? Parce qu'il est vrai. Pourquoi l'aimer? Parce qu'il est bienfaisant. Pourquoi aimer la personne? Parce que c'est par elle que le bien qui vient de lui se produit. DE L'INCONSÉQDENCB E5 uatikhe db bkvolutiok. Juin, i05a. Il y a des révolutîoQS de palais , où il n'est question que de faire passer la couronne d'une tête à Tautre. Je n'ai rien à dire de ces révolutions-là. A peine si j'accorde que ce soient des révolutions. Tout se pré- DE l^'llIlCOSISÉQULaiCB L» HATlÉItE DE RËVOLUTlO.ir. 87 pare et s'accomplit dans un étroit espace , ci par un petit nombre de mains. Un prince et un nom différens , c'est toute l'affaire. Du reste rien; rien de changé, ou à peu près. Il y a aussi des révolutions dont le théâtre est un peu plus vaste, quoiqu'il le soit en- core assez peu, et les acteurs plus nom- breux, quoiqu'ils le soient encore médio- crement. Je parle de celles que tentent quel-< quefois les grands pour les intérêts de leur ordre. Quelques privilèges de plus ou de moins , c'est à quoi se réduisent ces puissans efi'ortset ces formidables ligues* Au fond, tout reste, ou peu s'en faut , dans le même état. Je n'ai rien à dire non plus de ces sortes de révolutions. Les véritables révolutions , selon moi ^ sont celles qui changent dans un état , le prin-^ cipe de son gouvernement et sa hiérarchie ; celles qui , dans un état populaire , élève- raient inopinément une aristocratie et un S8 CHAPlTftE II. prince; ou celles qui, renversant tout-à-coup l'aristocratie et le prince , institueraient à leur place un gouvernement populaire. Celles-là sont des révolutions sérieuses y et dont le peuple entier se ressent ; elles valent que l'on y songe et que l'on en parle. Encore faut-il faire entre elles quelque différence ; car , quoiqu'elles soient à plu- sieurs égards de même nature , elles ne nous importent ni elles ne nous intéressent au même degré. L'une d'elles est trop loin de nous : nous n'avons que faire d'en calculer les périls ; ce n'est pas l'allure de notre temps de transformer les républiques en royaumes. Mais les royaumes en républiques , ce se- rait bien son allure. Disons donc quelques mots sans témérité comme sans contrainte» sur cette dernière méthode de révolutions. Parlons un moment de ceux qui , embrassant l'intérêt populaire , méditent partout où fls DE L'UlCOllséQOBHCB EM HATIÉBE DE BÉfOLVrUM. 80 les rencontrent 9 la ruine des institutions monarchiques. Les gens de révolution (on sait mainte- nant ce que signifient ces mots sous ma plume ) f les gens de révolutiou qui , victo- rieux n'importe comment > ne profitent pas de leur avantage pour changer de fond en comhle, je ne dis pas seulement le gouver- nement^ mais l'état 9 ne savent évidemment ce qu'ils font. De ces hommes-là , il en faut faire deux classes : les uns désintéressés et sincères , qui courent à un renversement d'empire comme à une fête , et ne cherchent que la révolution même dans une révolution ; gens fascinés , mais de bonne foi^ qu'on peut re- prendre sans cesser de les estimer; qu'on peut estimer, sans toutefois cesser de les craindre. Les autres y que je dirai plus rusés , et qui se diraient^ eux, plus habiles; gens d'es- 00 CaiPlTfiE 11. prit en effet , si l'esprit consiste à faire par- tout sa part bonne , sans s'inquiéter aux dé- pens de qui; gens qui vous supputeront au plus juste ce qu'une bonne révolution peut rapporter aux entrepreneurs , et qui , pour ce qui les concerne , se garderaient bien d'y chercber autre cbose. S'il fallait opter, j'avoue que mon choii serait bientôt fait. Si un arrêt du ciel faisait de moi un homme de révolution, je ne me mettrais point à coup sûr parmi les habiles. Quand ma modestie ne suflirait pas, il ne manquerait pas d'autres motifs pour m'en détourner. Leurs destinées , d'ailleurs , ne sont pas si différentes qu'on pourrait le croire. Ils ten- dent tous , quoi qu'ils fassent, à la même fin. Gens de malice et de ruse , gens de loyauté et de conviction, tous subiront mêmes déaap* p^ointement et déconvenue. Car enfin y réfléchissons-y. Voici que I'cbu- DE l/nCON&^CENCE EN MATIÂRE DE RlÉvOLLTlOK. 01 vre commence. Il n'y a point deux manières d'aller à ce premier pas. Tous les ouvriers, quelles quesoient leurs vues secrètes» ne peu- vent manquer d'être d'accord au début. Ou comme but , ou comme moyen , il faut , avant toute chose, s'être saisi du pouvoir pu- blic. le sais bien que les uns ne le veulent sai- sir que pour le détruire, et que les autres ne demanderaient pas mieux , s'en étant saisis , que de le garder. Mais qu'on le change ou qu'on le conserve, dans les deux desseins, il faut l'acquérir. On fait donc la guerre au pouvoir, et on la fait , à cette première époque , uniformé- ment. On fait , de pleine intelligence et de bon et parfait accord , la guerre au prince qui l'exerce et qui le possède. Mais c'est beaucoup moins à la personne du prince que ces gens en veulent, qu'à^sa prudence ou à son instinct, si on le préfère, 92 GIIAPITEB U. qui le forceat à les éloigner de lui et de son pouvoir. Ils ne haïssent point le prince comme homme; car» que leur importe un homme? ils le haïssent comme principe ; comme image et comme symbole de ce principe ; comme obstacle à la substitution d'un nouveau prin- cipe. C'est principalement contre ceux qu'ap- pelle et rapproche l'instinct et l'intérêt de sa sdjretéy qu'est dirigée leur is^pression. Ils at- taquent dans la personne du prince , non le prince dont ils ne peuvent ou ne veulent pas occiiper la place, mais les amis, les parti- sans, les agens du prince, qui sont la plus forte barrière au succès de leur ambition. . Or, les amis du prince sont de deux sortes: les amis de sa personne d'abord , qui ne sont jamais bien nombreux , et n'ont guère de puissance que par les reflets de la sienne ; puis les amis du principe sur lequel est fon- DE L'UCOaaéQDBMCB ES MAHAmB DB BiTOLDTIOIf. 9S dée cette puissance , lesquels devant natu- rellement comprendre » dans une monarchie, la plupart de ceux qui ont de grands biens , une ancienne illustration, une certaine sorte de capacité et d'intelligence, ne peuvent manquer d'être puissans par eux mêmes, soit que Ton considère leur nombre, soit, que Ton ait égard aux causes de leur con- sistance. C'est là que sont , bien plus qu'à la cour et sur le trône lui-même , les vrais.et redou- tables adversaires des gens de révolution. Or, supposez l'œuvre de ceux-ci impar- faite, qu'arrivera-t-il? De quelque part que procède l'imperfection, il arrivera, de né- cessité y que l'œuvre avortera et périra en fortpeu de temps. Car on verra infailliblement l'une de ces deux choses : ou que les partisans du prin- cipe , si ce sont eux que l'on n'a pas dépouil- lés , feront usage de leur influence pour le 06 CHAPITBE U, d'un roi, chose dont ils se soucient encore moins. Quand leur succès irait jusqu'à faire subir une altération momentanée au principe du gouvernement 9 ce résultat si stérile et si fu- ^tif répendrait encore assez mal à la gran- deur et à la hardiesse de leur dessein. Qu'im- ]porte d'oà vienne laroyauté^ à ceux qui n'en veulent point? Que leur font les mots solen- nek et mystérieux oùl s'enveloppent ses titres et son origine? Que leur .en revient-il, dans un temps d'incrédulité, qu'on la fasse on non descendre de Dieu ? fls savent de reste que son jour est venu, elle n'en sera ni plus respectée ni mieux défendue. C'est une bien mince conquête qu'un pré- texte, et surtout un prétexte de théorie et d'abstraction. Une garantie est passablement dérisoire, qui n'a son effet qu'à condition qu'on soit le plus fort. Soyez le plus fort, je doute qu'alors vous ayez grand besoin de DE L'WGOflAAQVBRCE EN HATlAaB DB KKVOLOTMM. D7 la garantie; soyez le plus faible» je doute que la garantie vous soit d'un bien grand secours. Or, s'il doit toujours être question d'être le plus fort , quel avantage ou quel inconvénient y a- 1- il d'avoir ou de n'avoir pa& cette garantie? On a vu des pays bti on ne Favait pais» et où l'on s'en est passé. On en voit d'autres où on Ta , dit- on , et . oh on l'in- voque inutilement. C'est que dans les pre- miers on s'est trouvé le plus fort^ et que danis les seconds on ne l'est pas encore de- venu. Je répète donc que les gens de révolution sont des dupes, s'ils n'acbèvent pas lorsqu'ils entreprennent ; moins dupes cependant que les peuples qui leur laissent entreprendre ce qu'ils ne peuvent achever sans les détruirCi ni commencer même sans les ruiner. S'ils ne font pas table rase , il n'y a rien de fait ; si ce n'est le mal, souvent très-pro- fond, qni s'attache à leurs tentatives. a. 7 tt6 CiMPlTAE IL S'ils font tbble lase» à labpmie konre. IW dont conséquenSf hardis et habiles ; lubiie» à la yérité dans le mal 9 mais on&û'habiks. Étouffant à la fois le principe» las èlemens àe ca principe y et Jes ëletnens secondaire» qui la vivifiant, ils se ménageât a« tnan» quelques chances d'un succès réel et dur- rahle* Il est vrai que l'œuvre est prodigieuse^ aea périls notnbreux, ses difficultés infiiiitis«r Mais à quoi b^n entreprendre si Ton n'ose pas ce qu'on veut, ou si l'on ne peut paace qu'on ose ? (Jue sert de oommeacer un ou- ttagg qui n'avance point, et oh l'on ne .^•rt janais des connmencenieas î ' Il est bien Vrai qu'il ne s'agirait de rien. uioins que de niveler^ et qu'on ae nivèle }u^ mais par la prospérité et par les rvche$ses> Le nivèlement tie se fait que par la ruine. Le niveau passe sur la tète du riehe pour l'u*- baisser à la côtidltrou du pauvw; ea pusaaut 0K L'nCOHM^EHGB BH MAtllhu DE lAvOLimOB. Ol sur la tête du pauvre, il ne Félèré poiut fl la candEti(yÀ du rièbe.Xe pauvre au eoîmtraive en devient plus pativrè. Il devient pluà pauVre de toute la fortikue du rielie ^e 1è tuxé lui distribuait. Et c^est ee quifait^ au grand préjudieedea hommes de révolution, que leurs intérêt» sont opposés à ceux de tout le monde : aux intérêts du principe monarchique^ qu*ils doi^ vent détruire; aux intérêts de Tàristoeratie qu'ilis sont contraints d'éffaeer', aux intérêts du peuple dont ils dessèchent les mamelles i et qu'ils réduisent ft mourir de faimj Leur entreprise conduit au malheur, même en avortant ; et si elle réussit , à la barbarie. Au lieu d'avancer, comme ils le supposent, ils reculent. La civilisation, dans leurs mains , bien loin de poursuivre et de hâter ses progrès , rétrograderait. Ce que sont leurs adversaires , à ce qu'ils prétendent, ce sont eux en réalité qui le 100 GHIFITBE II. sont. Ils sont les véritables hommes do pas - se ; non d'un passé récent, glorieux ^ paisi- ble et poli ; mais d'un passé qui a précédé tous les autres ; d'un passé misérable, inculte, indompté ; d'un passé ignorant de la vraie nature et des premiers intérêts de l'homme : je veux dire sa; faiblesse et sa dépendance; je veux dire ses besoins, et par conséquent ses devoirs. S'ils sont conséquens, voulant tout dé- truire , ils succombent ; s'ils ne détruisent pas tout, ils succombent encore, avec la honte d'être inconséquens. lUw DKS PJ^ATIS. Août i6Ha. Qd^l n'y ait aucune division dansunétat \ c'est une chose si rare et si difficile qu'elle peut être considérée conune un prodige. La diversité des religions, la rivalité des sys- tèmes^ de philosophie et de politique , Tàm- Itt CHAPIXBEIIL bition des grands y l'enTie des classes moyen- nes , l'ignorance et la misère du peuple, tant d'autres causes encore contribuent à la for- mation des partis ! Les temps où il n'y en a point sont toujours de courte durée. S'il n'y en a que deux , celui du gouver- nement et un autre qui lui soit opposé, on u*a pas grand sujet de se plaindre. Cette si- tuation, toute fâcheuse qu'elle est , est pour- tant la moins fâcheuse de celles qui le sont. Ces t quand il y en a trois , ou un plus grand nombre, que la société est véritablement me- nacée , et qu'on éprouve de tout côté un em- barras exiiéi^sif. Supposons donc une situation de cette es- pèce, et voirons aiielie conduite doit tenir le.çouveriiemçnt eiivers les partis, quelle conduite les partis doivent tenir entre eux et envers le gouvernement.. " Càmnc loi partîti ne «9 UnmMli^Wr^m DCft MSTIS* lOS pour trftvaîiterà 1a desCrudion du gouver* nement, le gouvernement, à som tour , doit travailler ^aus rel&ebe ii li^ destruction des partis* Les partis sont encourages dans cette entreprise par leur intérêt , et par celui de .la société teUc qu'ils la veulent; ]Le gauverner roent est porté à la sienne par son in^él^êt i çt par celui de la société telle qu'il l'entend. Mm9^ .cojDumçnt détruire le jgouyçrneaieot p.arle^ partis, çk^^e» partis par l^ ^gouveroe^ ment? c'est là le prp))liimer ];)[opper.dc&. conseils au;^ gauv^nemkens , qn^JllQ Aup^r^ei; Ç'e§t à peine s'ila vqvs écou- tent quand vous les aimez. Quand vous ne les aimez pas, est-il à croire qu'ils vous écoutent? Sans doute; mais c'est justement pour- q«N>i il n'y a pas tant de duperie à leur en donner^ au moins à ceux-ci. Il ne s'agit que dt Men.clioiflir^ «t. de me leur c» donner que iM CHAnTMB m. de boas : vous les en détbdrneK en les lenr donnant ( 1 ). ^ La destruction que doivent se proposer les gouvernemens relativement aux partis , n*a rien de commun avec celle que les partis peuvent se proposer relativement aux gou- vernemens. On ne tue pas un parti; mais on le divise, on le désarme, on Tapaise, on le subjugue, oc le confond. On n*en détruit pas les élé- mens ; mais on les dissoute Les gouvernemens, au contraire, se peu- vent changer, renverser, abolir, détruire. Dans les partis, lesélémens sont toujours trop nombreux pour une véritable destruc- tion. Ils ne le &ont jamais assez dans les (i) Cétait un ancien proyerbe de$ Francs : «. Doanc toujours de bons conseils, soit à ton ami, soit à ton ennemi; car ton ami' les suivra, et ton ennemi les mér prisera. » ( Grégoire de Tours , Hist, detPntfncSj Ht. iq^) DBft PAITM. iOS gouvernemeiift , paur que la destructian pro- prement dite en soit impossible. - Il y a bien en des temps où les partis iie se formant que pour l'intérêt de leurs cbefs, la d^truction des chefs équivalait à celle des partis; mais nous sommes loin de ces temps. ' Il faut bi^n prendre garde à cette diflë- rence; car elle doit influer sur la conduite à tenir dans les deux desseins. Ils ont des moyens communs de succès; maiis ils en;ônt aussi de parijienliers , et qui le sont m^me tellement que^ transportés d'un dessein à Tantre, an lieu de lé servir^ ils lui' nuisent; C'est an temps à marquer cela. Tel moyen qui, dans de certaines conjonctures, éon* viendrait mieux ans partis» dans d'autres conjonctures y conviendrait mieux au gour vemenieht.. . Amsi, pour en donner un exemple, la pa- tience est pins utile^aux gôuvernemens mal établîi^t qvaBd les ]mib aoat en* décraifr- sance ; et pluA atile» quand k gMflreraement décline 9 aiut partis ifol sont 6a ptt^^iAa. laforoeétant toujours relative, ily a deux manièrea de deFenif fiart : Tune,. en aofuè^ rant éoit-mêrae de la fbree; l'autre , ea lata* saut à son adversaire^ le temps de perdre les sîeuaes, VoAk d'^d vieut »4ajis la poUtique# L'ua«9e et l'aiilité de la patieuccu Voilà d'oà viflnt 4u'>elle m'est jauuus en mBnae temps >à Tusa^B dar {^ôureimement et des . parties ^ - Uyav dib^oaydeaajeflrtasdeforcBsdanala pioiitiqnei ia force matérièUeetiafooree^raorale oud'opiaion; leaeileadepoîiitvnaeid jieies cvolsrftttes Vrmifi de fautte* U s'arrive guàre qulapu gfocpremenieutict «un pavti mBtécielle#- meut faibles; ^aiént une geande f eeea 4îopt^ nion; mais si cela pouvait arriver; jftf^aaaa^ tis.bieu quHls ueterdetaient-pas-'à acquérir, * par hlotiM d'o^uioa qu'ils peesàderaieni , ^a l^e 4W1Ç t ^H quejqft^. AaiVI qvi*QA la pran^ae , étant TpiUjqwe m^on d'atteindre lo but oà Fou tend, c'^i^t A ^k d'abord qu'il laiit .teadrq. £lle J9ii&;doit $^ qu'nii bwJt el|9*«ndiii€i I ji|Bt|ti'au jo^amant o^ sw progrès per ipetM^t d'en f^re w 91^760. Qf'r dç q^eUe Aiçon peut^-on falt^r «is.pvQ** g]^7 Si c'est dii gouv^Ae^eat qi^'il s'figitt. il a pJwieura ^^b^ae» : 4 , M. proposa : Avitfif d'utiond «Hf^ iiM grMidtr «Memtiaaid^ groMîir IM? sai^tpt^. k JiatQJm:d^*o«4ix <}«£ awA ei»:- poiis pdQ qp!ii% ateat die ^agCAiie > fi0 çmwuui naM^iifiitide' fdrm^rienttre. eu( .ealm, 4uprte atoir ipaiMla dirâiMi eMre le» part», laMr mer et la fomenter sans relâche daw ^e MW de «temiite Iwti* lie» ^airtia Mae fQrOkeM J4WÛ9 mas mo^ IM GHAFintE III. titf ou y 81 Ton veut, sans prétexte. Pour ce— lui-ci , c'est la liberté ; pour cet autre l'illé- gitimité du poikvoir; pour un troisième , les périls de la religion. Mais entre les partis qui combattent le gouvernement et- le parti qui s'attache avec ardeur à ses intérêts , il y a toujours un nombre considérable de per- sonnes qui flottent incertaines , les unes plus près ,' les autres plus loin du gouyemement ou dés partis , selon la nature de leurs sén- timens. Il est manifeste que si le gouverne- ment I au lieu d'affaiblis* les griefs des partis, en multiplie le nombre et la force , il se nui* ra doublement; d'abord en-i^mêntant Tir- rîtation de ceux qui sviyent déjà lès partis, ensuite en rejetant dans leurs rangs plosieurs de ces personnes tièdes et tardives dont Tim* prudence de sa conduite aura vaincu rtiré*- solution. Combien d'amis imprévoyansde la^berté, que n'effarouchent ni l'origine, ni les for- mn PAPT1& 109 mes t ni Fambition même du gouvernemenl, et qui ont besoin » poor le croire ennemi de la liberté , qu'il Tait violée I Ccrmbien , qui » froidement et modérément attadiés à de certains systèmes et à de cer*- tains principes de gouvernement, ne ferént jamais éclater ni mécontentement ni regrets, si l'injustice et l'injure , si là persécution et la violence ne les font pas sortir, malgré eux, de leurs habitudes de prudence et d'inac- tion I Combien que leur soumission même aux préceptes de la religion détourne d'ajouter foi aux desseins de ses ennemis» jusqu'au jour où d'éclatantes impiétés les consternent à la fois et les désabusent ! Si donc, dans la situation que j'ai suppo- sée, un gouvernement choquait la liberté, blessait la religion , opprimait les partisans des systèmes politiques qu'il n'approuve pas, il augmenterait infailliblement le nombre de ifS ' CflAPlTHE lU. contre le parti du gouvernement et contre les autres partis opposés , les alliances ne leur étant plus nécessaires, le gouvernement n*au« rait pasà les craindre, ni par conséquent à- les prévenif . Je doute pourtant qu'il fallût Ten féliciter; car il . est vraisemblable que dans cette situation désespérée , impuissant, non-seulement contre un parti , mais contre chaque parti , sa chute serait imminente et inévitable. Son unique chance de salut alors serait , non plus dans les alliances qu'il em- pêcherait , mais dans celles qu'il lui faudrait f orm», k lui-même , et à tout prix , avec ce- lai des partis contraires qui se montrerait le moins exigeant. Il , peut se rencontrer une époque où un gouvernement , qui montre en s'alliant à l'un des partis , qu'il se sent perdu , l'est encore plus certainement et plus promptement s'il refuse de s'y allier. Mais hors de là, et cette supposition dif- ficile à réaliser étant écartée, un intérêt DES PARTIS. il) pressant et impérieux forçant les partis à s'u- nir, un intérêt non moins pressant et non moins impérieux conseille au gouvernement de les empêcher de s'unir. Si leur conserva- tion dépend de leur alliance , c'est d'elle aussi ^ et par conséquent, que dépend leur destruction. Or il n'est rien qui importe da- vantée au gouvernement ; puisque leur con- servation amène sa destruction , et leur des- i truction sa conservation. Advienne donc, dans l'hypothèse que je me suis faite, que le gouvernement, hien loin de prévenir l'allianOe , ne l'ait pas même prévue; que, non content de ne pas la pré- voir, il l'ait hâtée, favorisée, rendue plus facile et plus désirable, que faudra-t-il dire ? qu'il aura été mal habile? non assurément, car on ne doit jamais prononcer qu'avec une grande réserve sur la suffisance d'autrui ; mais qu'il aura été malheureux. Pour cela , il n'y aura guère moyen de s'y refuser. 2. 8 114 CBAPiTBB III. J'ai OUI dire souvent à des personnes qui n'y avaient peut- être pas assez réfléchi : < Il faut frapper des deux mains ; le gouverne- ment doit tenir la balance égale entre les partis , et jeter dans les deux bassins une épée. f On ne faisait pas attention aux in* convéniens de ce conseil. C'est un conseil qui a cela de particulier, qu'il n'est bon qu'à ceux auxquels il n'est plus nécessaire. Quand le gouvernement prédomine ^ quand il est tellement supérieur aux partis qu'il pourrait les frapper tous sans péril, il a bien mieux à faire que de les frapper, il doit les laisser mourir. Suivez cependant le conseil ; ayez la ba- lance 9 mais ôtez l'épée; montrez de l'uni-r formité et de l'impairtialité, mais dans votre modération : sans quoi vos violences impar* tialesy communes, et alternatives » si elles ont un instant l'effet d'épouvanter les partis, auront encore plus sûremeiit celui de to ABS PABT1& 115 •rapprocher, de les unir,., et -de les tendre pla4. forts.. Ungoipyernementattx prises avec plusieurs partis.^ doit temporiser, donner des deux parts autant de sécurité et de protection y faire ,, autant qu'il se peut , que chaque parti ait moins de défiance de lui^ et en ait da-^ yantage des autres partis. Ordinairement les moyens abondent pour cette entreprise. Car les partis n'était guère moins opposés entre eux par leurs intérêts et par leurs doctrines y qu'ils ne le sont à l'é- gard du gouTcmement , il ne s'agit le plus souyent que de ne pas contrarier le penchant naturel qu^ils ont à se .craindre et à se haïr. Aussi , la faute est-elle d'autant plus gros- sière , lorsqu'au lieu de fayoriser cette incli- nation , le gouyemement la contrarie et l'é- teint». ta Admettons qu'il se soit formé deux partis ; l'un pour un certain système de liberté , le 116 CHAPITBE III. secOlta -ptruiL-^a autre systëiuc ae uDerce, et pour les intérêts religieux : est-il si diffi- cile d'entretenir chez ce dernier la croyance que le parti rival n'aspire qu'à la destruction de l'état , et chez le premier j que son adver- saire ne médite que la tyrannie? Faut-il beaucoup de soins et d'habileté au gouver- nement pour persuader à ceux-ci qu'il est, lui, moins ennemi de la liberté; à ceux-là, qu'il est plus ami de l'ordre que l'autre parti? Et quelle faute énorme et irrémissible, si c'est le gouvernement lui-même qui ait fait que la vérité se soit découverte , et qu'il ait été enfin reconnu, d'une et d'autre part', qu'on est , dans les deux partis ,' ou plus ami de l'ordre , ou plus ami de la liberté , qu'on ne l'avait cru ? Il reste encore, comme je l'ai dit, un troisième point. La division est un moyen 9 si eflSicace et si décisif, qu'il y aurait une extrême imprudence à n'en pas essayer Tu- DES PARTIS. 117 sage dans rintérieur même de chaque parti. Il est vrai que la chose est un peu moins aisée ^ans ce champ-là que dans l'autre. Il ne suffit plus, comme lorsqu'il s'agit des partis entre eux , de ne pas contrarier , et de seconder sçulemeat les habitudes de ja- lousie et de défiance qu'ils ont contractées. Il faut inspirer , suggérer , développer , cul- tiver. C'est un soin délicat et laborieux , qui demande quelque dextérité et quelque ^ prudence. Mais enfin cela est possible , et, dans cette foule d'hommes assemblés sous une même bannière, il y a toujours , malgré leur concordance apparente , de très-nom- breuses et très-favorables variétés. Les in- térêts 9 les ambitions , les espérances , les systèmes rapprochés et confondus sur un point , sur beaucoup d'autres se séparent , ou même se choquent. C'est ce qu'il faut savoir démêler , saisir , faire fructifier. Mais on doit bien se garder^ avec un pareil 118 aupmm m. dessein » de commencer par se montrer vio- lent. Car il n*en est pas autrement dans cha- que.parti que dans Ur généralité des partis. Le ressentiment d'une oppression commune est un puissant lien pour tous ceux qui l'é-^ prouvent. L'oppression fait cesser la divi«- sion des partis , et la rend i dans les partis , impossible. Un homme artificieux susdte indusfrieu- sèment plusieurs partis dans un seul. Il flatte et caresse , il avertit et conseille , il prodigue en secret les témoignages d'intérêt et d'affection. Il dit aux plus ardenS du parti de la liberté : « Ceux*ci ne se font plus sa- ges , que par hypocrisie et par ambitioii ; ils vous trompent; « il dk aux moins ardens : « Ceux-ci sont des insensés , qui se défient de vous , et vous précipiteront avec eux au fond de l'abtme. t II dit aux uns, dans l'autre parti : « Vous avez des amis bien exigeans sur le fait de la religion ; ne vous DES PABTIS. 119 livrez pas à eux ; » à d'autres : « Voici des gens qui n'entendent rien à leur siècle , et qui vous mèneraient loin si vous les sui- viez ; f à d'autres encore : < On parle bien étourdiment de liberté à côté de vous ; ces amis-là sont plus vos ennemis que les nô- tres« » Puis , outre cela , il a toujours des révélations toutes prêtes à vous, faire sur l'ambition effrénée » et sur les damnables desseins de ceux dont il se propose de vous détacher. Il n'affirme point précisément, Dieu l'en garde I mais il entrevoit y il soup- çonne , il a lieu de craindre. C'est à vous de juger si l'avis est bon. J'en vois d'ici qui s'étonnent et se récrient; Pourquoi , s'il vous plaît ! Ce que je dis est- il si nouveau ? Je peins , il est vrai , mais d'après nature. Le modèle est là , qui pose à côté de mon chevalet. Quand on a dit comment doit agir le gou- vernement envers les partis , on a presque 120 CHAPIIBE UI. achevé de dire comment doivent agir les partis envers le gouvernement. Au moins l^ur a-t-on assez expliqué de quels pièges ils ont à se garantir. Comme tout consiste pour le gouvernement à empê- cher que leurs forces augmentent, et à faire, au contraire , qu'elles diminuent , tout con- siste aussi pour eux d'abord à conserver leurs forces , et ensuite & les augmenter. Ils les conservent, en évitant de se désu- nir , en s'attachant fermement aux principes et aux intérêts pour lesquels ils se sont for- més, en fermant l'oreille aux suggestions insidieuses de leur ennemi , en écartant d'eux ces défiances et ces rivalités domes- tiques qui. relâchent les plus forts liens, et finissent toujours par les rompre. Ils les augmentent par deux procédés dif^ férens. D'abord, en attirant à eux, du sein de cette multitude paresseuse et flottante dont j'ai parlé loutre part > des approbateurs DES PABTlfl. 121 qui prennent courage, et se déterminent enfin à les suivre. Pour cela il est question d'éclairer , de persuader , d'entraîner. Il faut s'enquérir avec soin des intérêts de ceux à qui l'on s'adresse, et étudier attentivement les opinions que ces intérêts doivent faire dominer parmi eux. Si dans les doctrines qu'on avait soi-même embrassées > il se ren- contrait quelques points extrêmes qui fus- sent propres à choquer ces opinions, on y doit renoncer hautement et loyalement. L'in- térêt de la vérité est un si important intérêt qu'on peut bien sacrifier, pour le garantir, quelques conséquences trop rigoureuses d'un principe , ou quelque portion moins essentielle d'une théorie. La logique, qui est bonne partout, a pourtant besoin de s'assouplir quelquefois pour être à Fusagc de la politique. Celle-ci regarde au temps, et tient compte de la disposition des es- prits. 132 GHAPITBE III. * Quant au second procédé , il consiste dans les alUances* J'en sais les difficultés , les conditions 9 les périls; mais quand un in- lécét pressant y entratne» en dépit qu'on en ait » il y faut venir. Quand il s'agit de n'être pas* opprimé, la nécessité rend flexi- ble et accommodant. Sans doute, il ne man- quera point de gens cauteleux pour tous dire : « Eh quoi ! tous tous allies à tos en- nemis ! w Pourquoi pas , si c'est pour obte- nir qu'ils ne le soient plus? Pourquoi pas, si c'est pottr vous défendre contre un plus grandennemi? Pourquoi pas,fii vous aves leur foi, comme ils ont la Tàtre ; si vous trouTez en eux % - comme ils les trouTCnt en vous , condescendance et fidélité ; si Totre sûreté commune vous sert réciproquement de gi^e et de caution ? Le plus grand obstacle à ces sortes de con- ciliations n'est pas toujours dans les doc- trines autant qu'on se l'imagine. Il est prin- DBS PARTIS. 123 cipalement dans les hommes. Il vient souvent de ces absurdes et misérables- préventions qu'on prend si facilemenl^ dans dé certains partis, contre certains personni^es des -partis contraires (1). L'on se crée et Fon se façonne de pauvres %ures de paille , qu'on fait creuses, qu'on fait légères, qu'on fait étroites et j^lateS) qu'on affuble à plaisir de la plus fprossière initie et de la plus grotesque lai- deur dont on se puisse aviser , et à ce* toan- nequîn, ainsi eonstrpitt et gratifié, on impose effrontémient un nom propre , . celui de l'homme qu'on craint ou qu'on hait. Rien ne ressemble moins d'ordinaire àx^et homme que son manAequia. N'importe, Timide en est faite, et la ressemblance accréditée. On trouve, comme Dieu, que son ceuvre (i) « Aux présents brouillis de cetesut, mon intérest » ne m'a faict mécognoistre nj les qualités loaa|>1e9 en » adversaires, ny celles qui sont reprochables en cealx »-qtiej*ay8yyTis.»— 'MoKtAioifE, Essais, liv. S^cbap. lo. 124 CHAFITBB IlL est bonne ; on s'y complaît , on s'y tient. Voilà bien la pins folle iniquité qui se puisse voir. C'est par là, oui, en i^ëritét c'est par là que les partis doivent commencer leur réforme, quand ils songent à se rappro- cher. Faites d'abord bonne et ample justice aux personnes; elle se fera ensuite plus promptement et plus facilement sur le reste. Accoutumez-vous à reconnaître qu'on peut fort bien, quoique avec ^d'autres pensées que vous, penser encore ingénieusement et sin- cèrement. Le privilège de l'esprit n'a été donné à aucun parti. J'ai vu, une fois dans ma vie, un specta- cle bien différent : c'était une bizarre excep- tion. J'ai vu un parti, devenu vainqueur, se préoccuper si merveilleusement de son triomphe, que le meilleur usage qu'il en sut faire fut d'en user contre soi, et qu'incertain de toute chose comme de lui-même, inha- bile à mesurer ses forces autant ^mp ^^li^a d'autrui , il aidait ingénument à étouffer de ses propres mains la réputation des siens ^ et à enfler, souvent outre mesure, l'équivoque capacité de ses ennemis. Il n'a fallu rien moins qu'une catastrophe pour dissiper son aveuglement. Lafaute était assez lourde. J'espère, quoique un peu tard, qu'on ne l'y prendra plus. ^ (nuupmuiiT. DU 8T8TÈMB PBOVIlfCIAL. Mai i839. On s'occupe beaucoup du système provin- cial, depuis quelque temps. Plusieurs per- sistent à mettre en doute que ce système soit en effet plus favorable à la liberté ; un plus grand nombre^ qu'il soit conciliable avec DO SYSTÈME PROVUCUL. 197 une bonne oi^anisation de gouvernement; un plus grand nombre encore, que le parti qui le préconise soit de bonne foi. C'est ce dont je yeux essayer de me rendre compte. La liberté et les libertés sont deux cboses. La liberté s'entend mieux des rapports de l'État àTbommej c'est-à-dire quand l'action de l'État sur l'homme, est restreinte avec équité. Les libertés s'entendent mieux des rap- ports de l'homme à l'État; c'est*à-dire'quand l'action de l'État est restreinte on réglée par celle de l'homme. ■ Agir, penser, parler et posséder sans obs- tacle et sans péril, c'est en quoi consiste la liberté. . Participer i l'actioii des pouvoirs publics^ c'est en quoi consistent les libeftés. . Ce sont si bi?n del choses différentes^ que l'une est l'objet de l'autre. Les libertés ne sont que les moyens et les garanties de la \u 128 GHAFiinui IV. berté. La parûcipation aux pouvoirs pa bues n'est pas donnée pour l'avantage de qnelqaes ,nnS| ni de plusieurs; mais pour l'intérêt et pour les besoins de tous. Elle n*est donnée qu'afin que la liberté, e'est-à-dirc le droit d'agir, de penser, de parler, de posséder, ne soit pas opprimée par ces pouvoirs , on en d'autres termes, restreinte au-delà de ce qui est nécessaire pour le £ien général. Dans un petit Etat, on est -d'abord de cet État, puis de son canton, puis de son vil- lage. Dans^un grand État, on est d'abord de sa cité, puis de sa province, puis de sa na- tion. Dans le premier, il n'y a qu'un peuple, et chacun en est. Dans le second , il y a plu- sieurs peuples réunis en un : il est naturel qu'on soit encore plus du peuple qui a été réuni , que du peuple auquel il a été réuni. Dans les Etats dont le territoire est plus circonscrit , la question est plus simple. Là, l'État se confond, ou peu s'en faut, avec la IKJ STSTAME PtOmCIAL. 139 comQiune. L'autorité publique a plus d'u- nité. Elle admet peu de divisions et de dis* tinctions; et le motif, c'est que Tintérêt qu'elle représente n'en admet aucune. Dans les grands États, c'est toute autre chose. Il y a FEtat d'abord ; puis la province, puis la commune. Ce sont trois parties dis- tinctes d'ifh même toul ; trois objets divers , quoique inséparables , sur lesquels le pou- voir public doit s'exercer en autant de modes différens. Là, Tautorité publique a moins d'unité, parce que l'intérêt public n'en a plus. Cet intérêt se divise, et même à tel point, que la division va souvent jusqu'à la contrariété. Les intérêts de chaque partie se choquent entre eux , et choquent à son tour celui de l'ensemble. C'est même pour cela que les Etats s'affaiblissent quelquefois lorsqu'ils s'étendent. Le salut commun est bien tou- jours un lien qui rapproche et qui réunit, a. 9 ISO CBâVITBB n. Mais les différences ne s^effacent point : elles subsisteraient, ne fûtH:e que par les sacrifices au prix desquels les intérêts secondaires sont contraints d'acheter les avanli^ios de cette alliance. Si les libertés consistent dans la partici- pation A l'exercice des pouvoirs publics» rétendue des libertés se mesur^a' dans ces états y en premier lieu selon le nombre des divers pouvoirs qu'embrassera la participa- tion ; en second lieu selon le degré où cette participation s'élèvera dans chacuti d'eux. Il y aura moins de libertés dan» les consti- tutions qui borneront la particij^atioii aux intérâts généraux de TÉtat ; plus de linertés dans celles où la participation comprendra les intérêts de l'Etat et ceux de la province ; plus de libertés encore dans celles oft la par- ticipation comprendra l'Etat , la province et la commune. Et s'il est vrai que les libertés soient les DO ftTttAMB raovnciAL. 111 moyens et les garanties de la liberté > celle«-ci seraévidettmeut mieux garantie et plnsétea*' due dans la dernière sorte de constitution ; beaucoup moins dans la seconde; dans la première encore moins. L*ttnifonuitë dans la politique, c'est le des- potisme. Pourquoi cela? Parce qu'elle ne s'obtient que par les sacrifices auxquels les peuples répugnent le plus : des sacrifices de itaioeurs, de croyances , de coutumes , de souvenirs et de vanité; des sacrifices, qui n'ont de pré- texte qu'une fausse perfection théorique, que l'intérêt bien entendu de l'État ne de- mande point. L'uniformité frappe les petits esprits , dit Montesquieu (1). Je le crois bien : ils y ti'ou- vent une facilité apparente qui met à l'aise leur impéritie et leur impuissance. Ils ne (i) Esprit des LoiSf liv. 39 , chap. iS. 132 CMàPfnm iv« savent pas qu'il viendra un jour où, la force qu'ils ôtent aux peuples fera faute à FÉtat, et même à eux. L'uniformité ne s'établit nulle part que par un abus de la puissance, et en sa faveur. Mais elle ne lui rend pas toujours ce qu'elle lui coûte : il s'en faut bien. Pour un peuple qui serait formé ^ comme aucun peuple ne l'a été , je crois » si ce n'est les Juifs, sans agglomération et sans réunion, il pourrait y avoir unité de mœurs, de croyances > de préjugés , d'intérêts» Ce peuple pourrait être libre avec l'uniformité. . Mais pour les peuples créés, comme il ar- rive ordinairement , par l'alliance forcée ou volontaire des races , l'uniformité cbange et renouvelle ; elle traAsforme les droits et les conditions ; elle fait violence aux opinions et aux habitudes ; on en souffre et on la re- pousse ; elle ne s'établit point , il faut l'im- poser. Or, ce qui s'impose à l'homme prouve DU SYSTÈME PHOVIRCIAL. 153 qu'il n'est déjà plus libre, et fait le plus souvent qu'il le devient encore moins. L'état politique d'un peuple comprend la religion , le gouvernement , la justice , la force militaire 9 Tadministratioui les impôts, l'industrie, la propriété. Un peuple peut être libre pour une ou plusieurs de ces choses , sans être réellement libre. Il peut avoir , par exemple , un gouverne- ment dont les formes appartiennent à un système de liberté , et avoir sur tout le reste des lois qui appartiennent à un système de despotisme. Ce peuple alors n'est certainement pas libre. Et le point par lequel il ne l'est pas l)ii 6te sans comparaison bien plus de liberté que ne lui en donne le point par lequel il a l'air de l'être. Il est certain qu!un peuple serait plus réeU 140 CHAPITUB IV. et le plus fécond. Ils l'aiment en tant qu'elle est la seule source d'où puisse venir autant de sécurité et de liberté; la seule puissance qui, après les avoir produites , puisse leur assurer autant de durée. On s'est fort injustement et fort impru- demment accoutumé à prendre pour des pré- ventions contre la liberté leur éloignement pour des hommes qui , n'en ayant point l'a- mour dans le cœur 7 en affectaient seulement le langage ; gens qui se faisaient d'elle un moyen et non pas un but. Ce n'était point la liberté qu'ils combattaient en eux, c'étaient leurs desseins, funestes à la liberté. Ils résistaient à leur opposition , parce qu'elle était subversive ; à leurs doc- trines, parce qu'elles étaient corrompues ; à leurs discours, parce qu'ils étaient hypo^ crites; à leur ambition, parce qu'elle était pleine de trahisons et de malheurs. Ils dé- fendaient la liberté dans la légitimité , qui DU STftTâm PROTISCIAL. IM pouvait seule l'établir et la maintenir. . Ik combattaient dans les ennemis de la légiti- mité, les destructeurs nécessaires et infail* libles de la liberté» Ce n'est donc pas pour les libertés qu'il suppose qu'on pourrait douter que ce sys- tème fût réellement Tobjet de leurs vœux. Alors, pourquoi donc? S'il est dans leurs principes politiques que le pouvoir protec- teur de la société ait toute la force qu'exige l'accomplissement d'un pareil devoir, cette force n' est-elle pas essentiellement et néces- sairement dans le système? n'est-ce pas l'i- névitable condition des libertés qu'il com- prend? Si l'on veut que l'ambition soit pour quelque cbose dans leurs souhaits et dans leurs calculs, en quoi. le système contrarie- rait-il leur ambition? Manque-t-il d'hommes chez eux pour captiver les suffrages? Manque- t-il de probité , de considération , de biens , de talens? Des talens! on le disait autrefois; us cwinTBB nr. on ne le dit plus» L'épreuve a été faite, et s'est tf ottvée rude« On a eu la mesure de ces hauts génies qui étaient gardés en réserve, et leur stature a paru grèle et petite; ils n'ont plus fait envie, ni peur. Mais que fais^jel je perds mon temps et ma peine à justifier la sincérité des hommes les plus sincères de France , et contre d'aa^ très hommes qui n'en ayant aucune habi- tude I la tournent, quand ils la rencontrent, en mépris et en dérision. Il leur sied bien, à eui, de douter des autres^ et j'avais bien « affaire, moi , de leur dire de qui il ne leur était pas permis de douter ! DU STSTèMB PROTINCIAL. («ti«. ) Jîiin, iSSs. Tk\ parlé ttagoère du système prorincial » et dans ce que j'ai dit toachant ce système, il s'est glissé quelques mots sur les assem- blées eentrales et sur l'indépendance de la 144 CHAPITKE ▼. couronne. II faut expliquer ce que j'enten- dais en parlant ainsi. , L'indépendance est ce qui fait le pouvoir. Ce n'est point i'objetsur lequel il s'exerce, ni la forme ou l'étendue de cet exercice. Tout cela le fait grand ou 'petit, peu impor- tant ou considérable. Mais ce n'est pas ce qui le fait être. Ce qui le fait pouvoir, c'est qu'il puisse ; c'est qu'il s^sse librement et spontanément. Un pouvoir contraint dans l'action qui lui est propre, n'agit plus en effet de sa propre action : il ne peut pas ; il cesse d'être pou- voir. Cela est vrai de tous les pouvoirs ; mais plus on moins, selon leur nature. Cela est vrai singulièrement de la royauté ; et pourquoi? Parce que sa nature est d'être obéie. Sa manière de servir est de com- mander. Dans les temps de trouble , on la veut dé- DU systAmb pbovihgial. 145 pendante, et même on la veut telle dans tous les partis : les amis, pour la dominer et se servir d'elle ; les ennemis, pour l'affaiblir et lui ruiner. Dans les temps de sagesse , on a d'autres vues : on ne la veut plus dépendante , parce qu'on veut qu'elle soit , et qu'elle n'est plus en effet, si elle dépend. On la veut libre, parce qu'on veut l'être soi-même, et que tout s'unissant et s'en* chaînant dans l'organisation politique , il n'est jamais vrai qu'on soit libre à l'abri d'un pouvoir chancelant et subordonné. On la veut forte, parce qu'on attend d'elle des services, et qu'il n'y a plus moyen qu'elle les rçnde, si on lui en a ôté les moyens. Mais forte et libre ne veut dire ni absolue ni oppressive. lia démocratie, ou, si l'on veut, la por- tion de démocratie qui prédomine aujour- d'hui , se reconnaît libre, et s'estime forte : a. lu UO CflâPITBB T. E8t*ce à dire qu'elle se croie absolue, et qfu'elle prétende au droit d'opprimer? La force et la tiberté dont je parle ne sont pas celles qui n'auraient aucune limite; mais celles qui ayant des limites, et n'en sortant point , n'auraient plus à craindre d'en ren- contrer d'autres. Il faut que tout le monde soit libre dans un Eiat libre ; tout le monde, même le prince. Gela n'est pas seulement juste, mais néces- saire; caria liberté du prince est une meil- leure garantie de celle des peuples , que sa sujétion. Il n'y a que les États despotiques où il pût être bon d'avoir des princes es- claves. Aussi le sont-ils pour la plupart; au moins de la peur. Chose bizarre I ce besoin de liberté dans le pouvoir supérieur ne semble moins ab- solu que sous la monarchie absolue. Là , tout ce que le pouvoir peut rencontrer d'obs- tacles fortuits dans les affaires secondaires , DU systAme pbotiiicul. U1 tourne au profit des peuples y et souvent au sien. Car s'il est funeste aux peuples que le prince soit absolu , l'expérience fait voir chaque jour que cela n'est guère moins fu- neste au prince. Les princes qui peuvent tout n'ont qu'à gagner à pouvoir moins : ce sont ceux qui ne peuvent que ce qui est nécessaire, qui ne sauraient pouvoir moins sans cesser aussitôt de rien pouvoir. L'indépendance de l'autorité souveraine devient progressivement plus utile à mesure que la monarchie s'éloigne davantage des formes du gouvernement ahsolu ; et quand la monarchie en est venue aux formes des gou- vememens limités et mixtes , c'est alors que, au lieu d'être seulement utile , cette indé- pendance devient l'un des premiers besoins de l'Etat. Or, dans le système provincial, la monar- chie est très-limitée. D'abord, parce qu'il y 148 CBAPITRB t: a un nombre prodigieux d*affaires qui se rè- glent sans elle : son autorité s'étend moins , et se fait sentir 'moins souvent. En secoad lieu , parce que les intérêts n'ayant plus de si fréquens rapports avec elle , elle perd de nombreux moyens d'influence et de séduc- tion : on a moins à attendre d'elle, et moins à lui rendre. Enfin » parce que toutes ces au- torités libres, de commune, d'arrondissement et de province , sont autant de surveillans inquiets qui peuvent devenir censeurs in- commodes et même ennemis. Les moyens abonderaient dans ce système, pour peu qu'on eût manqué de prévoyance en l'établissant ; les moyens y abonderaient, pour susciter des obstacles , et amener par eux une prompte et infaillible confusion. C'est pourquoi l'indépendance de la cou- ronne doit être d'autant plus grande alors dans tout ce qui constitue sa prérogative. A DU BYSrÉME PROTIHCIAL. 149 moins de cela, dès le premier empiétement, lequel ne tarderait guère , elle tomberait. Le système provincial exige et suppose des assemblées de province : c'est sa condition et sa vie. Sans les états de la province, la province proprement dite n'existerait pas. On en pourrait avoir le nom , le sol , la fi- gure; mais la réalité, on ne l'aurait point. On n'aurait point ce qui fait que la province, pensant et agissant, délibérant et.décidant par elle-même et pour elle, acquiert un es- prit , une volonté, une existence qui lui sont propres , et devient ainsi une communauté complète et distincte, qui, bien qu'elle s'u- nisse étroitement à d'autres communautés de pareille nature, cependant ne s'y confond point. Ces états n'ayant à régler que les intérêts relatifs d'une parfis du royaume, n'ont en réalité qu'une autorité parAelle. Ils ne sont et ne peuvent être , relativement à la généra^ iSO CHâPITKE V. IHé du pays , que des états spéciaux et parti- culiers. La dénomination en est bonne , puis- qu'elle est prise dans le caractère même de leurs pouvoirs. Mais cette restriction n'empêcherait point que, par leur nature même d'états, le mode de leur formation et leur nombre , ils ne fus- sent, surtout à de certaines époques d'agi- tation et de méfiance , beaucoup trop puis- sant et trop dangereux , s'ils n'avaient aucun contrepoids. Avec des états particuliers seu- lement , la couronne serait à leur discrétion; elle serait dépendante. Ils cesseraient d'ailleurs d'être ce qu'ils sont, s'il n'y avait qu'eux; car il faudrait bien cependant que les affaires générales de la nation , telles par exemple que le re- crutement, les subsides, les cessions de ter* ritoire , les douanes » fussent réglés de quel- que façon. Si elles Tétaient par la couronne, on inclinerait à la monarchie absolue* Si. DU 5TSTâHB POLITIQUE. ISi elles Tétaient par les états particuliers , chose d'ailleurs que la diversité des intérêts ren- drait impossible 9 ces états , agissant alors sur la généralité dn royaume , deviendraient , an moins dans leur ensemble , d'états parti- culiers, états généraux. Tout concourt donc , dans ce système , à montrer la nécessité des assemblées centra- les. D'un côté y la diverse nature des affaires ; puisqu'il y en a de particulières à la pro- vince , qui n'intéressent l'État qu'indirecte- ment , et de générales , qui intéressent l'É- tat plus directement , et moins directement la province. D'un antre c&té, le péril auquel le royaume serait exposé , si l'ascendant des états particuliers n'était contenu par aucun autre pouvoir analogue. Ce nouveau pouvoir établi , un double effet en ressort y également favorable à l'Etat et à la couronne : par les assemblées centrales , l'inffuence des états particuliers se balance 153 CB%prrftB T. et se circonscrit ; par les étals particuliers , la domination des assemblées centrales se modève et se modifie. La couronne est cent fois moins dépendante que s'il n'y avait que des assemblées centrales ; cent fois moins dépendante que s'il n'y avait que des états de province. Dans ce système , pourvu que les états de province soient périodiques , et que leur pé- riodicité soit annuelle y il- n'y a jamais d'en- treprise sérieuse à craindre contre la liberté. La périodicité des assemblées générales peut alors , selon les temps y être ou n'être pas an- nuelle; il su£Eity si les époques en sont re- culées y que la couronne ait» dans tous les cas , le droit de les rapprocher; et cette com- binaison bien réglée peut être tournée au profit de la sécurité de la couronne et de la paix de l'Etat. Mais que sont alors, ces assemblées cen- trales y dont l'importance est si grande , et DU STSTÂMB PBOViaClAL. 15S la nécessité même si manifeste? Il est clair que , soit qu'on veuille considérer leur des- tination on leur source, elles sont, par rap- port aux assemblées de province, ce que le tout est à la partie , ce que le général est au particulier. Elles représentent , pour les in- térêts généraux « la généralité des provinces. Et conmie les états de- province sont natu- rellement et logiquement les états particu- liers de chaque province , les assemblées ou états de la généralité des provinces en sont aussi, naturellement et logiquement, les états- généraux. Ce ne sont plus des états généraux comme on en a vu , et il s'en faut bien. Première- ment, parce que ces états-là ne se quali- fiaient ainsi, qu'en tant qu'ils représentaient la généralité des états ou ordres du royaume, et non. la généralité des provinces. Ensuite, parce que les pouvoirs des nouveaux états seraient à la fois plus étendus et plus limi- 15A GBAPITBB V. tés : plus limités , relativement aux attribu- tions des états de province , sur lesquelles il leur serait interdit d'empiéter; plus étendus, en ce que, dans les choses qui leur seraient réservées , ils neseréduiraientpcint, comme ceux des anciens états , à une vaine formule de supplications et de remontrances. €ar si Ton en excepte les tailles» pour les- quelles ils avaient droit de refus , les véri- tables pouvoirs de ces états n'allaient pas plus loin. Les états de province règlent des inté- rêts matériels; les états généraux, des in- térêts politiques. Cette différence de desti- nation en peut exiger dans Toi^ganisation des états*. Aux états de province , Forganisation peut être simple , parce que les intérêts qui leur sont soumis sont uniformes. On participe , ou l'on ne participe pas à ces intérêts : voilà toute la différence possible. Si l'on n*y par- DU ftTSTilIB PBOVflllCIAL. 155 Ucipe point, on est naturellement étranger aux. états, et étranger à leur formation. Quelle différence reste-t-il à faire entre ceux qui y participent? Aux états généraux, oà il n'y a point de question qui n'ait un rapport politique , c'est toute autre chose. Caria politique comprend la défense, la liberté, la prospérité du pays ; et la prospérité, à son tour, comprend la stabilité du gouvernement. Or le gouverne - ment étant monarchique , il faut que l'orga- nisation des états soit telle, que les ques- tions de gouvernement y puissent toujours être décidées dans un sens favorable à cette stabilité. C'est ce qui conduit à y séparer les élémeus aristocratiques , qui sont plus homogènes au principe monarchique , des élémens démo- cratiqaes, qui onf^ moins d'affinité avec lui, et qui ne pouvant manquer d'avoir la sapé- 156 CBAPRBE V. riorilé numérique, remporteraient toujours, si l'on n'y obviait par cette combinaison. D'ailleurs, à part l'intérêt du gouverne- ment, les diverses classes de la nation ont aussi des intérêts divers dans la solution des questions politiques; et c'est un motif de plus pour justifier la séparation, puisque sans elle , toutes ces questions seraient uni- formément résolues selon l'intérêt de la classe qui aie nombre pour elle, et quin'a jamais omis , en quelque pays que ce soit , de tout sacrifier à cet intérêt. Si la formation de l'Etat était récente, il y aurait moins de difficulté. Mais dans une na- tion qui a déjà des distinctions faites, et des intérêts de supériorité reconnus , il faut prendre garde, sans vouloir trop accorder à ces intérêts , que l'organisation politique ne soit cependant pas telle , qu'elle ne leur ou- vre aucun accès , et ne leujp laisse aucune es- pérance; car il n'y a rien de plus défectueux DU SrsTéifB PBOTMCIAL. 157 et de moins durable qu'une oi^anisation d'état qui constitue forcément en hostilité avec elle toute une classe de citoyens influons et riches. Ce ne semit cependant qu'un bien faible trait de ressemblance avec les états généraux d'un autre tempâ. Sur tout le reste, la diffé- rence serait absolue. Il se trouvera peut- être des personnes qui en seront surprises, et qui s'en affligeront. Il ne m'appartient pas de condamner leur sentiment; mais je de- mande %, permission de garder le mien. Sans vouloir tirer avantage des erreurs à jamais déplorables des états de 1789 , si l'on étu- die sans prévention l'histoire de ceux qui les ont précédés y on verra qu'ils furent rarement utiles à la France. Peut-être était-ce , comme je le crois , leur organisa- tion elle--même qui les rendait impuissans au bien. Je ne deinande point d'en être cru sur pa- 158 CHAPITHE T. rôle ; mais Sally ( 1 ) mérite peut-être qu'on ait foi en son jugement; et s'il est des gens qui le tiennent, tout habile homme qu'il fût, pour suspect de prévention en cette ma- tière, ceux-là n'auront pas, ce me semble, le même motif pour refuser de'croire Etienne Pasquier. Or, I encore, dit-il, que quelques-uns qui pensent avoir bonne part aux his- toires de la France, tirent l'assemblée des estats d'une bien longue ancienneté j voire stir elle esîablissent toute la liberté du peuple , toutes fois ny Tung, ny l'autre n'est véri-- table En ce lieu, quelques bonnes or- donnances que l'on fasse pour la réforma- tion générale, ce sont belles tapisseries- qui servent seulement de parade à une postérité. Cependant, l'impost que l'on accorde est fort bien mis à effet.... Jamais (i) Econom. roy y t. Z , chap. 4. DU STftTl^E PBOVfflCIAL. 150 i I y on ne fit assemblée générale des trois es- » tats en ceste France, sans accroistre les fi- f nances de nos roys, à la diminution de » celles du peuple > ( 1 )• Jetons au reste un coup d^œil sur les travau x de ces états. Voici d'abord les meilleurs , que , j'ai mis à part : ceux de 1516> où Philippe- le Long se fit reconnaître et déclarer roi; ceux de 13289 où Philippe de Valois renouvela cet exemple; ceux del329, qui firent des régle- mens somptuaires sur la vaisselle d'argent et sur les habits; ceux de 1339, où l'on décida qu'il ne serait levé de tailles que de l'octroi des états; ceux de 1359, qui repoussèrent Fodieux traité dé Brétigny; ceux de 1483 , qui confirmèrent ce qu'avait réglé Louis XI pour la régence d'Anne de Baujeu ; ceux de 1526, qui refusèrent de ratifier le tri^ité de (i) Recherches f Hv. 21, ch. 7. 100 CHAPJTEE T. Madrid; ceux enfia de 1561, de 1566 et de 1576, qui préparèrent d'utiles réglemens pour la réforme de la justice : les ordonnances d'Orléans, de Moulins et de Blois. Mais ces états exceptés, que dut-on aux autres? A ceux de 1301 , rien ; à ceux de 1302, des subsides; à ceux de 1314, des subsides; à ceux de 1321, rien; àceux de 1545, des sub- sides; à ceux de 1350, des subsides; à ceux de 1355, des subsides; à ceux de 1356, la révolte ;i ceux de 1358, des subsides; à ceux de 1369, des subsides ; à ceux de 1467, un apanage; à ceux de 1506, un mariage; à ceux de 1558, des subsides; à ceux de 1560, rien; à ceux de 1561, des subsides; à ceux de 1576, des subsides; à ceux de 1588, des meurtres; à ceux de 1596, des subsides; à ceux de 1614, rien; à ceux de 1617, rien. Je n'ai rien dit des deux premières races : elles sont bors de la question ; le peuple n'é- tait pas encore admis aux états. Mais on DO STSTAmE PB0¥I1ICI4L. 101 peut voir dans Montesquieu (1) ce que pro- duisirent les fréquentes assemblées de ce temps. Les lois des fiefs s'établirent; on fit les capitulaires , auxquels le clergé substitua bientôt , pour ce qui le regarde» les canons et les décrétâtes ; et quand la troisième race parut j il ne restait déjà plus rien des capi- tulaires. Il faut pourtant l'avouer , ces états de 1614, oti rien ne s'acbeva, préparèrent au moins une grande cbose : car ce fut pendant leur dul*ée que le tiers-état (le tiers-état, je prie qu'on y fasse attention) fit la proposi- tion « d'arrêter comme une loi inviolable et « fondamentale du royaume, que le roi étant » reconnu souverain en France, il n'y a sur la y terre aucune puissance temporelle ouspiri- « tuelle qui ait le droit de le priver de son • royaume, ni de dispenser ses sujets, pour (i) Esp, des ioiSf livrets, chap. 9. • 2. 11 102 CH4PRBB T. f quelque cause que ce soit, de la fidélité et de f Tobéissancequ'ilslui doivent; queropinion f contraire , aussi bien que celle qui permet de » tuer ou de déposer les souverains^ et de se 9 révolter contre eux pour quelque raison que i ce soit, serait déclarée fausse, impie, détes- » table , et contraire à rétablissement de la f monarchie française, t Et après la séparation des états » cette pro- position ayant été portée au parlement, elle y fut consacrée par un arrêt solennel. CMMjnrm» ▼!. • DBS STSTÂMBS. Décembre , i83a. Cb que beaucoup de geiis appellent doc* trine , il faudrait , je crois , l'appeler système. Ceux que Ton nomme, par abus de mots, docirî»aire9f ilserait mieux, à mon avis» de les nonuner esprits syMéniatiquesi ou sophistes. 164 CHAPITRE Tl. La doctrine est un ensemble de principes et de corollaires, admis sur la généralité des scien>!es, ou sur Tune d'elles, ou sur Tune de ses parties , par le plus grand nom- bre des esprits ^ ou par un grand nombre. La doctrine est la raison de ce qu'on croit , la preuve de ce qu'on sait, la chaîne qui va des faits aux idées , des idées à la conviction. La doctrine est le développement de l'opi- nion des doctes. Le système, au contraire, suppose un as- semblage nouveau, et jusque-là inconnu, ou de principes inconnus eux-mêmes, ou de corollaires non encore déduits, ou de principes et de corollaires dont on igno- rait ou contestait les rapports. Le système est un nouvel enchaînement de faits ou d'i- dées, imaginé pour justifier et fonder une nouvelle opinion. Le système est l'opinion incertaine et ha- sardeuse du pcftit nombre. Il n'est pas doe- trine encore ; il aspire à le devenir. Quand il se sera établi dans l'esprit du grand nombre, alors seulement il cessera d'être système, et sera doctrine. La doctrine est ce qui est déjà admis par le grand nombre ;. le système , ce que le plus petit nombre veut faire admettre au plus grand. On se défie avec raison de l'esprit de sys- tème, parce que les hommes qui en sont doués le portent partout , et l'appliquent à tout ce qu'ils font. C*est l'esprit le plus turbulent, le plus tracassier, le plus in- commode, le plus dangereux. Il faudrait pwpétuellement, avec lui , changer d'habi- tudes, d'idées et de sentimens? Ni l'anti- quité, ni la simplicité, ni l'universalité, ni l'évidence même des choses , ne lui font obstacle. Rien ne lui platt , que ce qui * change; ri€n ne lui convient, s'il n!est aur trcment. 1«6 GHAMTRB ▼!• Ce n*est pourtant pas qae toat système soit faux j et doire être repoussé en tant qae système. Il s*en rencontre d'ingénieux, d'utiles» de vrais, àp profonds. Mais tout système a contre lui sa nouveauté même, et la violence qu'il est obligé de faire aux es- prits. Il a contre lui les doctrines faites , les préjugés reçus, la routine établie, et l'or- gueil même de ses inventeurs , auxquels on pardonne difficilement. la prétention qu'ils affichent, de connaître seuk les mystères de la vérité. n y a des temps pour les systèmes , et des sciences aussi , qui leur sont plus dociles et plus favorables. Dans le premier ftge des so- ciétés , comme on n'y sait rien , il faut bien essayer de tout. On manque de tradi- tions et d'expérience ; on imagine, en atten- dftnt d'avoir pu découvrir et vérifier. Plus tard , les sciences usuelles ont fait des pro- * grès. La morale, par exemple, et la politi- PBft ftYBTAlUS. 167 que f ont été éprouvées et approfondies : ce soat autant de carrières fermées , où l'esprit de système n'a plus de dupes à faire , et où il s'engagerait inutilement. Hais il y a tou- jours, même dans ce temps , de nombreux mystères dans les arts et dans la nature, sur lesquels il peut encore s'exercer librement et avec succès. On ne constitue pas un Ëtat artificielle- ment } ou si on le constitue ainsi , ce n'est jamais qu'à son détriment » et pour peu de jours. C'est la nature et le temps qui senties vrais artisans des constitutions : la nature, qui forme le caractère du peuple , les acci- dens du sol, les conditions du climat, les forces réelles ou relatives du pays, l'étendue des territoires , leur éloignement ou leur con- tiguïté ; le temps , qui découvre par degrés » dans les nombreuses combinaisons de ces choses , quel choix d'institutions politiques convient à chaque combinaison, et qui donne i68 GBAPITBE VI. à la longue à ce choix||rescrit l'autorité et la force qui lui manquaient au commence- ment ; le temps encore, qui , modifiant ces combinaisons ou leurs élëmens principaux , impose tôt ou tard aussi aux institutions des modifications analogues. Quelle inconséquence grossière! Il se trouve desgens, et en bon nombre, qui, vou- lant changer les institutions à cause des pro* grès du temps , n'imaginent rien de plus sage que d'imposer violemment à un peuple sous ce prétexte, les institutions d'un autre peuple. Ils ne voient pas que si le temps fait quelquefois , après de longs siècles , qu'un peuple se ressemble moins à soi-même, il ne fait jamais, non jamais, que deux peuples et deux États se ressemblent assez pour que les mêmes institutions leur soient également convenables :en sorte que, malgré les efforts du temps, les lois vieillies d'un peuple changé siéront et conviendront toujours. DES ftiniTAlIBft. 100 mieux à ce peuple que celles d'un autre. Considéré comme moyen de conquête ou de sujétion, ce système n'a plus rien de faux ni de méprisable. On recherche avec raison ces analogies y ou comme source d'affaiblis- sement et de division , ou comme garantie de fidélité. Je conçois la république de France, gravant uniformément de la pointe de son épée des lois populaires dans toutes les ré- gions qu'elle subjuguait. Je ne m'étonnai point de voir Bonaparte , quand il se fut fait empereur, mettre des rois et des trônes par- tout où il avait mis antérieurement les fais- ceaux et le peuple. Mais que les peuples l'en- m tendent et le comprennent , toutes les fois que ce système n'est pas insensé , il est arti- ficieux et funeste ; funeste alors pour une cause de plus : non plus seulement parce qu'il ôte aux peuples leurs lois naturelles , mais encore parce qu'il marque et assure ou leur asservissement ou leur dépendance. Ce 170 GHAPnaB Tl. système n'est bon qu'à un seul: celui qui Timpose* Qui me dira si ce n'est point pour cette raison ou pour quelque autre de pareille es- pèce» qu'on fit faire en France, il y a quel- ques années y un imprudent et nouvel essai d'imit^ion politique. Que ne nous donnait- on aussi les mœurs , les classifications , les préjugés et les privilèges du peuple dont on nous donnait la constitution ? La constita* tion d'un Etat , c'est TEtat lui-même \ c'est l'expression écrite ou non écrite , il n'im- porte j de tout ce qui le forme et de tout ce qui en dépend. Il n'est pas plus facile de faire durer chez ui) peuple une constitution étrangère y que de faire qu'il soit le peuple même dont on lui inflige la constitution. Qu'on n'en soit pas étonné ; ces deux choses n'en sont au fond qu'une seule. D'ordinaire » les faiseurs de systèmes ne suivent personne. Leur ambition est d'avoir DBS BYSTÉMBSb 171 trouvé et créé. Mais de notre temps , oti Ton a TU tant de choses qui ne s'étaient jamais ▼ues^ on a vu encore celle-là : des hommes d'ambition, et même d'esprit, qui se sont fait un système de ressemblance et d'imitation ; vrais inventeurs pourtant , et parfaits orig- naux en ce point , chose bizarre , qu'ils ne sont que traducteurs et copistes. Nous avons eu nos imitations de Rome et d'Athènes; nos imitations de démocratie, de consulat, et d'empire. Nous en avons eu aussi qui ne venaient pas de si loin» des imitations de Gromwell^ des imitations de Guillaume; hélas! et la sacrilège imitation de Charles I**. En voici une encore : un au- tre Edouard IV, une autre captivité d'une autre Marguerite d'Anjou. Sans doute qu'on voudra aussi sa rançon , l'or de sa rançon !.. . Sans doute qu'on répétera quelques-unes de ces lamentables choses, dont la première épreuve s'est faite pendant la prison de 172 GBAPITBE VI. Marie (1)! Le temps ne viendra-t-il point où nous n'imiterons enfin que nous-mêmes ! Il a fallu que nous eussions à notre tour notre catastrophe de 1688. Qu'on me dise pourquoi , si ce n'est parce que l'Angleterre avait eu la sienne?. La foule y songeait sans doute fort peu, elle qui ne fait point de sys- tèmes, et qui se laisse aller étourdiment aux folles passions qu'on excite en elle* Mais les directeurs et promoteurs , à quoi songeaient- ils ? Ils songeaient , et depuis long-temps » que l'œuvre religieuse de Henri VIII et l'œuvre politique de Gromwell ayant été af- fermies par une usurpation de famille, une usurpation de famille ne saurait manquer d'affermir en France l'œuvre avortée de ses premiers novateurs. (i) Voyez les lettres de Tambassadeur Castelnaa. ^ Voyez aussi Gaillaed, Histoire, de la rivalité de la France et de t Angleterre^ édition de xSi8, tome 5^ page 43 r y lA nota. DBS STSTÉIUS. 173 Rien cependant , si ce n'est peut-être quel- ques ambitions coupables . et honteuses, rien n'établissait de rapports nii de ressem- blances entre les deux situations politiques, il n'y avait point de lithurg;ie en France , que le prince eût le désir de changer; point de dogmes abandonnés qu'il prétendît imposer de nouveau à la foi des peuples ; point de clergé schismatique qui fût menacé de per- dre ses dîmes et ses dignités ; point de no- blesse engraissée de confiscations , qui crai- gnit de restituer ses prieurés et ses abbayes; point de roi Guillaume , grand dans la guerre , plus grand dans la politique, menant avec lui de puissantes flottes, et donnant pour gage de foi sa haine profonde et opiniAtre contre le vieil ennemi du pays qu'il enva- hissait. Il n'y avait rien de cela; qu'y avait- il dpnc? Ne dites pas les ordonnances du roi, puisque PentreprUe était préparée et résolue an- térieurement. 17â CBAPITBB VI. Les imitateurs , a-t«on dit , sermon pecus » bercail d'esclaves! sans doute, c'est cela, et rien que cela , daos les arts. Hais dans la politique , bon Dien ! c'est bien antre chose : c'est le renard sans queue de la fable; ce sont des esclaves qui veulent que tout le monde le soit. Après s'être asservis eux- mêmes à ce qu'ils ont vu autre part» ils y prétendent contraindre et plier toute latenre. Qu'importent les obstacles et les différences? ib ne tiennent compte de rien. Fléchissez et hnmilies-vous ; car leur intelligence » qui en suit d'autres pourtant à la trace , est infinie et non faillible. Leur esprit rampe , leur es- prît est roi. Le premier écrivain qui ait appliqué à ces hommes l'inexacte qualification de doctri* naires , a dit d'eux : $ ce n'était point Téten- » dard de la vérité que tenaient dans leurs I mains certains doctrinaires, v Ne voilà-t-ii point une curieuse phrase , DES ftYSTÉMEA. 175 et n'est-il pas piquant, au moins aujour* d'hui, qu'elle soit tombée de la plume de M. Necker? OHAVITBB Vtl. DES D0CTBINB8. Septembre i83a. Je ue suis pas de ceux qui diseot : ne fai- sonnons plus. Le raisonnement , c'est la rai- son exprimée , et je ne vois pas ce qu'on ga- gnerait k laisser la raison sous le boisseau. Je ne suis pas non plus de ceux qui disent : DES OOCTUSES. 177 Qu^est-ce qu'un fait? Les faits , ce sont des preuves et des témoignages ; je ne vois pas quel motif on pourrait avoir de les mépriser. Mais les preuves n'ont d'importance que par les vérités qu'elles manifestent : les faits politiques n'ont donc de valeur pour un écrivain que par les principes politiques qu'ils justifient. Les faits ne sont qu'un moyen de raison- nement ; comme le raisonnement lui-même n'est qu'un moyen de persuasion. Tant que la persuasion sera bonne , il sera bon de la produire , et par conséquent de résonner , puisque c'est ce qui la produit. Heureux ceux dont les doctrines sont mi- ses en fait I nous , qui n'en sommes pas en* core là , résumons » en attendant , les faits en doctrines. L'évidence des opinions graves n'est jamais si parfaite qu'on puisse s'en reposer sur elle, et dédaigner de la reproduire. La conviction 2. la 178 CIOlPITRB VII. du grand nombre n*est jamais non plus si bien affermie qu'il soit superflu de l'entre* tenir. Autre est d'annoncer à autrui ce qu'on croit, chose assurément fort indifférente; autre, de lui expliquer pourquoi on le croit, et de lui persuader de le croire. La première et la plus vulgaire des doc- trines, c'est Dieu. Faudra-t-il s'en taire, et me direz-vous encore de celle-ci : A quoi bon? C'est la plus ancienne de toutes > et il y a bien plus long-temps aussi qu'on la professe. En sommes-nous cependant arrivés au point qu'il soit devenu inutile de la professer? Une autre doctrine très*vulgaire aussi est que la terre est faite de Dieu pour le monde; que les peuples sont faits de Dieu pour la terre ; que les pouvoirs politiques sont faits de Dieu pour les peuples. Cela est simple dans son expression, logique dans sa déduction, invincible dajnssa démonstration. Lessiëoles M» DOCnilBS. 179 86 succèdent en le manifestant et le procla- mant ; et les hommes se succèdent aussi en le co ntestaut et le repoussant. Suffit-il de la certi« tnde de la chose pour s'abstenir de répon- dre à ceux qui la ni6nt? Une doctrine familière et simple est en- core que l'unité et la fixité sont de la nature do pouvoir public y parce qu'elles lui sont nécessaires pour la conserration de l'État , qui est sa vraie et unique destination. A4-il manqué d'exemples fameux pour faire écla- ter la vérité de cette doctrine ? A-*t4l manqué d'hommes puissans en science pour la conr> firmer? Où en sommes-nous cependant? Chaque jour s'épaissit le voile que la tourbe des ambitions vulgaires a jeté sur elle. Il est déjà tard pour le soulever; encore un peu de temps 9 il serait trop tard. Les temps d'ignorance sont des temps de simplicité de cœuv et de bonne foi ; la dispute 7 est rare^ et le raisonnement moins néees- laO CHAPITBB VII. saire. Lea doctrines s*y résolvent en propo- sitions. LeB doctes disent : Croyez, et Ton croit ; les forts : Obéissez , et l'on obéit. D'autres âges viennent, que les lumières pénètrent, inais qu'elles échauffent et éblouis* sent. C'est letempsdel'examenetdudoute; ce n'est plus> et ce n'est pas encore celui de la conviction. On y croit moins , quoiqu'on sache plus ; mais c'est que, bien qu'on sache plus , on ne sait encore qu'imparfaitement. On ne sait que, ce qu'il en faut pour être inr certain de tout ; on croirait plus, au contraire, si l'on savait davantage et mieux. C'est donc le temps où il importe le plus d'instruire et de discourir, puisqu'on n'y croit plus personne sur parole, et que la fausse science qu'on y a acquise détourne , plus que Tignorance même, de la vérité. Or, auquel de ces temps ressemble le nôtre? L'enseignement doctrinal est certainement le meilleur ; car il se fonde sur la certitude. DBS DOCTRHUA. IM Il examiae , il discute , il compare , il ap- profondit, il démontre; il pénètre dans les es- prits sans surprise et sans violence : Topinion qu'il inspire et qu'il persuade jette par degré de fortes racines , et s'ébranle ensuite moins facilement. Mais c'est renseignement des esprits ca-^ pables d'application , et il y en a toujours un bon nombre qui ne sont propres ni à le recevoir ni à le donner. Qu'on essaie d'émouvoir ceux-ci par des impressions et par des images; qu'on les entraîne par l'enthousiasme et par les pas- sions , il le faut bien » puisque c'est le seul moyen de persuasion qui ait prise sur eux. Je ne condamne donc point ce procédé : même je l'approuve. Seulement je dis qu'il est moins sage , moins efficace , moins satis- faisant pour l'esprit; je dis qu'il ne saurait être, non plus que l'autre, d'un usage absolu et universel. lit GBApmui TH. Comme il y a des esprits maUeutifs ou fri- voles» il y a aunù des écrits superficiels, et qui doivent l'être. Excluez de ceuzfrci le sé- rieux des dissertations : ce sera fort bien. Car on ne les prend que pour le délassement et non pour l'étude ; on n'y cherche qu'une lecture facile, qui dispense de toute atten- tion et de tout effort. D'autres écrits on^ une autre forme et un autre but : ils se proposent bien toujours' de plaire; mais d'un plaisir plus profond, et par des moyens qui saisissent l'esprit moins vivement, mais plus fortement. Le frivole y serait aussi déplacé que le sérieux dans les autres. La doctrine 9 comme je l'entends, est une chose bonne etutile; mais ce n'est pas comme tout le monde l'entend;. Ce mot est tombé de nos jours dans un grand décri : qu'est-ce que cela piouve? Ce qui n'avait guère besoin de nouvelles preuves ; savoir, la précipitation, DSft DOCmiIBS. iss la légèreté, rinconséqnence de nos jugemens. Parce qu'il y a eu de fausses doctrines , est- ce à dire que toute doctrine soit fausse? Parce qu'il s'est rencontré des esprits subtils qui s'enfonçaient méthodiquement dans tou- tes les obscurités de l'erreur i est'^e une raison pour les esprits droits de glisser désordonnément aux surfaces de la vérité? Il y a des doctrines fausses , des doctrines spécieuses, des doctrines saines et vraies. Mensonge et vérité , tout a ses doctrines , et c'est la doctrine qui enseigne à les discerner. » En matière de gouvernement, les bonnes doctrines n'ont point tant d'obscurité qu'on le croit; c'est même un signe infaillible pour les reconnaître. Elles sont simples , parce qu'elles saifKi vraies , et vraies , parce qu'elles sont simples. La nature n'admet et ne produit rien de confus. Ce qui est complexe, multiple, ar*- 19A CHAPITRE Vlk tificiettx, n*e8t paa vrai; car il n'est pas na- turel. C'est le (aux qui se replie sur Itti-même et qui se complique : il en a besoin pour se déguiser. Il vous faut un exemple 1 Prenez la souve- raineté populaire. Vous me demanderez ce qu'on en doit croire?. Et moi je vous dirai : Divisons. Qu'est-ce d'abord que la souverai- neté? C'est la prééminence et la puissance; c'est de commander à tous , et de n'être commandé par personne ; d'être supérieur à tout le monde, et de n'avoir point de su- périeur. Maintenant , qu'est^e que le peuple? Cèst l'ensemble des hommes qui vivent sur le territoire de l'Etat. Et que font ces hommes? Ils travaillent 9 ils paient, ils servent, ils obéissent. Plaisant souverain , n'est-ce pas? Singulière façon d'exercer le commandement! Ne voi|8 hâtez point, DE» DOCnUHAk 185 I Il y a eu une république dana le monde ^ qui y a fait un grand bruit. Cette république avait bien troitf eent mille esclaves ; mais ses citqyens n'étaient que vingt mille. Une fois convenu que les trois cent mille esclaves n'étaient pas du peuple , je ne vois aucune raison de nier que le peuple fût souverain. Pourquoi cela? Paroe qu'il n'était pas assez nombreux pourne pouvoir pas exercer la sou- veraineté» et qu'il l'exerçait^n effet. Il l'exer- çait réellement , directement» sans fiction et sans illusion. Il décidait de la paix et de la guerre» donnait audience aux ambassadeurs, râlait l'emploi des deniers publics» pronon- çait des jugemens» discutait et faisaitses lois» nommait et révoquait ses magistrats et ses généraux: pauvre souverain sans doute» que subjuguaient et trompaient ses corrupteurs et ses orateurs » mais toutefois souverain. Seulement, comme ce peuple de vingt-» mille citoyens, n'aurait pas pu vivre sans le 186 GHAPITBB VII. Don-peuple de troiscent mille esclaves, il faut dire que Fesclava^ des quinze seizièmes de la population était pour le dernier seizième, la condition de sa souveraineté. Mettez au lieu de cela un peuple de trente- trois millions d'hommes , et un territoire de vingt^ept mille lieues carrées ; épuisez- vous ensuite à combiner, oi^aniser et insti- tuer; parlez-nous tant qu41 vous plaira de délégation , de fiction légale, de souveraineté dérivée : vous aurez beau faire, vos artifices ne seront jamais autre chose qu'un témoi» gnage éclatant de Tinanité de votre doctrine. Il ne vous faudrait pas tant de subterfuges si elle était vraie : vous me montreriez le peuple régnant. Le peuple, dans cet état, servira toujours, et ne sera jamais souve- rain. Et pourquoi cela? Par la raison toute simple et toute grossière, qu'il lui est maté- riellement impossible d'exercer la souverai- neté, et que l'obstacle n'est point acrîdentel 61 temponûrey mais absolu, inhérent et per- pétuel. Ce peuple sera Tobjet de la souverai- neté 9 et la sôuverainelé sera hors de lui et snr lui. Ne dites pas, le peuple est souTerain, mais tel peuple. Et ne dites pas non plus ^ le peuple , mais tel peuple n'est pas souve- rain. Me trompé-je^ et cette doctrine-là n'est-elle pas simple 7 Elle est simple j. et il faut pour- tant l'expliquer. Plût à Dieu que nous fussions dans un temps oh l'on consentit à juger des choses par leurs résultats 1 il suffirait de dire pour la religion : compares la vie de Tincrédule et la vie de l'homme qui eroit; allez an lit de mort de l'un et de l'autre. Il suffirait de montrer, pour la morale, les désordres, les amertumes , les infirmités d'une vie perdue dans les passions et dans la débauche. Il suffirait de dire, pour la politique : ouvrez IM CIAPITBB Vil. les yeux et voyez ; vous voulez choisir? Res- souvenez-vous. Mais il n'en va plus de cette façon. Faites- en Fessai, vous verrez ce qui adviendra. Des milliers de raisonneurs se dresseront pont vous dire : t Qu'est ceci? Un simple acci- » dent ; attendez un peu , le bonheur viendra . V C'est la révolution, en tant que rëvolu- t tion , qui a fait le mal , et non en tant 9 qu'elle est de telle nature. Cette anarchiCt » cette instabilité , ces discordes , rien de f tout cela ne tient au principe ni à la forme f du gouvernement. Il ne ^ vous faut que f de la patience, et à ce principe, que de » la durée. Ses effets futurs l'emporteront t de beaucoup sur ceux du principe que vous c regrettez. » Que répliquerez-vous si vous dédaignez les doctrines, si vous négligez les exemples , si vous renoncez au raisonnement? Il ne vous suffit plus' des faits actuels, puisqu'on les DBS DOCTUlBft. 180 récuse; c'est dans l'avenir que Ton vous en- traîne , et qu'il TOUS faut pénétrer. Il n'est question de rien moins que dfi démêler la vraie cause du mal 9 de montrer d'oti elle procède , de la faire voir essentielle, dura^ ble, infaillible. Et quel autre moyen vous reste-il pour cela, si ce n'est de fouiller dans les fondemens de la société, d'en étudier l'oi^anisation , d'en mettre à nu les fai- blesses? quel autre moyen, que d'analyser les principes, et d'établir, par la différence de leur nature, la différence des fruits qu'ils doivent porter? Ce n'est qu'aux fausses doctrines que doit répugpier le raisonnement. Les bonnes y ga- gnent toujours quelque chose, et il est rare de rencontrer des esprits tellement sûrs de leur fait, qu'ils soient f&chés d'avoir de noareUes raisons d'en être plus sûrs. làMxtmmwm. DE LÀ PREDICTION POLITIQUE. Hamy 1834. Rien de plus vulgaire que les prédictions : Qui est-ce qui n'en fait pas? Rien de plus téméraire : Qui est-ce qui en rencontre de justes ? Rien de plus inutile : Qui est-ce qui y croît ? DE LA MlAoïGTlOH POLITIQUE. 101 Il y aurait pourtant > à ce qu'il me semble quelque difféirence à marquer entre elles; non pas 9 si Ton veut, seloa l'habileté des gens qui les fout, mais selon l'espèce de choses à propos de quoi ils les font. Qui que vous soyez, qui prétendez lire, sans signes, dans ce livre ^on encore écrit, des temps à venir j qui vous enfoncez , sans fil et sans guide , dans ce labyrinthe con- fus où nulle route n'est encore ouverte, vous trompez autrui ou vous-même, vous êtes dupe, ou voulez en faire. Qui que vous soyez qui prétendez , à vingt ans en çà , pronostiquer ma bonne ou mé- chante fortune de vingt après, vous vous moquez de moi, ef, grâce i Dieu, je vous le rends bien. £ourir, sans flambeau, dans les plus' épaisses ténèbres , et cependant buter juste,; je ne dis point que cela ne puisse pas arriver; mais à coup sûr, cela est rare. Je crois aux 102 cBAPiiBB mr. prodiges, à condition, toutefois , qu'ils ne soient pas si communs; car ce ne serait plus des prodiges. Induire ce qui sera de ce qui n'est point j qu'est-ce , que fraude ou folie ? mais induire de ce qui est, ce qui. sera apparemment et prochainement, qu'est-ce, que pénétration et sagacité? On ne devine plus alors, on rai- sonne; on ne prophétise pas, on conclut. La logique est la seule pythonisse de notre temps, en qui j'aie foi. Or, la politique est évidemment au nom- bre des choses ob le raisonnement peut de- vancer le temps de plus loin. Tout y est en- semble cause et effet; tout y est suite et commencement : tout ce qui s'y produit » re- produit. Le mystère n'est que de saisir le premier anneau de la chaîne , et de les comp- ter ensuite un à un. L'évocation se réduit k ouvrir les entrailles du présent, et en arra- cher ce qu'il y recèle. DE LA PH^DICTlOn POLITIQIIB. ' iM Qui me voudrait interroger aujourd'hui sur ce point, j'ose croire , sans trop de présomp*- lion , que je lui pourrais révéler d'assez pro- bables et prochaines choses. Mais quoique ce soit justement en quoi il est le plus facile de prophétiser, c'est aussi, par une fatale et commune obstination* des esprits , en quoi l'on écoute le moins les prophètes. Chacun cependant peut s'y rendre compte des motifs de la prédiction; chacun, l'aver- tissement recueilli , en peut mesurer en lui- même la sagesse et l'utilité. On lui a dessillé les yeux 9 qu'il regarde. La politique a cela de bon encore , et comme il n'y faut que du raisonnement pour prédire , il n'y faut pour croire, d'autre foi que le jugement. Mais que fait cela? Le jugement est une faculté jiaresseuse , qui ne s'émeut et ne se met à l'œuvre qu'à bon escient Si vous n'annonciez que l'absurde, passe encore ; si vous ne promettiez que l'impossible, il ne a. i3 194 GHAPITU Vllf. m'étonnerait nullement que vous trouvassiez quelqu'un pour vous écouter. Prophétisez cinq cents ans de vie au premier venu ; un plus grand miracle serait que votre oracle ne fût pas accueilli avec complaisance. Mais que vous disiez ce qui doit advenir néces- sairement , peine perdue. Mais que vous di- siez à Sion 9 malheur sur toi I Que vous disiez à Ninive , encore quarante jours , et tu ne seras plus ! Sion et Ninive riront de vous, ou vous maudiront. C'est qu'aux choses de la politique , il ne suffit plus j comme à la plupart des auti^s y de se faire croire par un petit nombre de gens. Il n'y est question de rien moins que de -persuader le grand nombre. Il faudrait trop d'adeptes aux prophétiseurs. Leur voix se perd par le trop grand besoin qu'elle a , de se répandre et de retentir. J'en ai fait l'épreuve comme bien d'autres. Il y a eu un temps , et qui n^est pas encore DE LA Pftl&OlCTlOJI POLITIQUE. 10$ loin de nousi où je.me suis ingéré aussi de prédire. Qai m'a voulu croire? Quelques-» uns à peine; le reste s'est bouché les oreilles, et m'a laissé dire. Avais-je tort cependant? Je veux qu'on en juge, et pour confirmer encore mieux la triste inutilité de ces sortes 4e prédictions^ j'en donnerai pour exemple, l'une des miennes. En toutes , il y a deux temps : celui où elles se font , et celui de l'événement qui les dément ou les justifie. J'avais donc le choix, et j'en use* Je trans- porte celle-ci du premier temps au dernier, de l'époque où je l'écrivis à celle où l'on A pu voir s'il était si déraisonnable de l'écrire. Pour quelle cause ce déplacement ? Il im- porte peu. Ce qui importe, c'est que la pré- diction soit réelle , et n'ait pas été faite après coup. Or, pour cela, les journaux du temps m'en seront caution. Je la répète telle qu'ils 19d CBAPITAB ¥nf. Font déjà répétée ; je la leur reprends j et la transcris chez eux mot à mot. «{l)Paroe que nous avons de Tesprit, nous croyons être capables ; parce que nous avons une légère teinture des choses , nous nous croyons éclairés* Jamais depuis deux cents ans, on n'a eu aussi peu de vrais savans qu'aujourd'hui. On ne sait rien ; pas même qu'on ne sait rien. « Il y a bien un plus grand nombre de personnes qui ont oui parler des sciences. On en connattle nom, et peut-être même l'objet. Mais le fond > mais la science elle-même , qui est-ce qui prend la peine de l'étudier ? S'il faut absolument qu'on en parle , on en parlera. On en parlera même sans attendre (i) Ce chapitre a ëté écrit le lo mars i8a8, et publié le même jour dans la Gazette de France. DB LA Pftib>ICTI01l POLITIQUE. IVt d'y être contraiat : N'a-t-on pas son journal et son dictionnaire ? On récitera, on répétera ; mais posséder > pénétrer 9 savoir? Ne Fexigez point, la t&che est trop forte. Devenir savant I à quoi bon? Ayons-en le renom , et laissons le reste ; ce reste coûterait plus qu'il ne vaut. ff Le désir y serait ; le temps manque. C'est la vie même qui n'est pas commodément arrangée pour cela. A peine , si l'on a assez de loisir pour parcourir tous les journaux qu'il faut lire. Que voulez-vous qu'on sache de plus ? Les faiseurs de journaux eux- mêmes , doctes esprits s'il en fut jamais ^ écrivant toujours et si bien , font trop de profits à. ce métier-là pour songer seulement à étudier et à lire. Que leur importe ce qu'on a dit ou fait avant eux? C'est bien autre chose vraiment que ces anciens gentils- hommes qui savaient tout sans avoir jamais rien appris : eux $ ils l'enseignent. » Aussi y que de sottises et de bévues , que «M CnAPITBB Tllf. d'impertioenees et de faussetés ! Oq donne y on reçoit , on prête , on échange : nous fai- sons commerce de pauvretés et de duperies. Que voulez-vous qu'on croie ? Dites hardi- ment. Est-ce bien absurde? tantjnfticux. Est- ce impossible ? encore mieux. En un clin d'œili cela aura couru tout Paris; et ce que Ton dit ft Paris ^ on le croit partout. i Courage donc. De quoi s*agit-il? d'un dé- ficit, de l'esciavage du peuple , de la discré- tion de la presse, de la très-miraculeuse conversion de nos révoluâonnaires anciens et modernes? merveilleusement inventé ! Les dupes et les échos ne manqueront point. Nous sommes prêts à croire, si cela vous plait, qu'un rat a mangé un quintal de fer , ou qu'un enfant a été enlevé par un cfaat- huant: les Persans du bon La Fontaine ser- raient moins faciles que nous. 1 Croire est peu de chose pourtant : qui est-ce qui ne croit pas ? La perfection est àç DB LA ppÉmanoM »oi.itiqoe. fit ne pas croire , et nous avons aussi cette per- fection. Grande ou petite chose, politique ou religiop , peu importe. Fautai affinner ou nier? il ne tient qu'à vous : parlez promp* tement et haut, il su£Git que nous soyons prévenus. Vous formerez notre conviction pour ou contre» quand il vous plaira, comme il vous plaira. Nous sommes crédules par légèreté et par ignorance ; nous sommes in* crédules par crédulité. V On parle de révolution ? nous n'en savons qu'une: celle que nous avons faite ou souf- ferte f nous nous en souvenons encore, quoi- que fiiihlemeut. Quant aux autres , s'il y en a eu f noua l'ignorons et nous ne nous en soucions guère. Faire une révolution , si* gnifie pour uqus , refaire la nôtre. Entendez bien que cesmots-U n'ont pas , à notre avis, d'autres sens. 9 Comment donc pourrions*nous douter de ce que les habiles nous disent? Larévolu^ SM chapithb vin. tiôn! On y brûlait les châteaux: oa les a brûlés; il ii*y en a plus. On y détruisait les droits féodaux et les dtmes : on les a détruits; il n'y en a plus. On y confisquait les abbayes et les monastères : on les^a confisqués ; il n'y en a plus. On faisait la guerre aux aristo- crates r ils sont tous démocrates ; il n^y en a plus. La révolution ne peut plus^se faire: dormez en paix et ne rêvez plusi > Fort bien. Ce qui a été détruit ne sera plus détroit t et ceux qui ont été tués ne seront plus mis à mort. J'entends cela. Mais il y a d'autres gens qui vivent , et d'autres édifices qu'on a élevés. On ne tuera point I Je comprends : on se contentera de *bannir^ On ne renversera pas la nrai^ou ! Je com- prends : on se contentera d'en chasser le maître. V Nous n'aurons donc pas là révolution*; cela est clair. On ne prendra pas la Bastille, on n'ira pas à Versailles » on ne massacrera DB LA PBÉDICrMH POLITIQUE. lOt pas les éTêques. S'il n'y a qu'une seule espèce de révolution, nous n'en aurons plus , cai^ nous ne saurions avoir celle^ là. f Mais hélas , le monde en a vu de mille sortes ; la plupart injustes > toutes ou pres- que toutes malheureuses. Elles se sont accomplies selon les mœurs et les intérêts de leurs temps : tantôt par la corruption et la ruse, tantôt par la violence et la peur; au prix de l'honneur,, de l'or, ou du sang; pour une couronne, une forme de gouvernement, une religion. Le but et lecr moyens ont été divers. Divers ont été le génie et là condition de leurs- auteurs et de leurs victimes. La révolution de Jacques II ne 's'est pas faite comme celle de Charlea 1*. i II y a des révolutions qui détruisent tout: le gouvernement , les institutions et les classes ; la religion , les Iq^s et les mœurs. Celles là sont rares; mais on en a vu. « Il y en a qui agissent par le gouvernement 2M GIIAPITBB VIIL sar les institutions , comme à Stocldiolm i du tqmps de Gustave ; ou par les institutions sur le gouvernement, comme à Londres au temps des Stuarts. • Cest beaucoup 9 pour dissuader de crain- dre les premières, c'est beaucoup de mon- trer qu'on a quelques lois fortes et des ins- titutions puissantes qui résisteront. La révo« iutioB française ne s'acbevait pas peut-âtoe, ou prenait un cours différent, si les par- lemens s'étaient opposés aux états généraux an lieu de les appeler, ou si la noblesse et le oleirgë avaient résisté à la réunion des trois ordres, c'est-^à-dire & leur destruction. • Mais pour'les secondes , ce'n'est rien de ' dire : on a telle loi , telle prérogative , telle institution. Qu^importe la lui, si l'on n'a plus la force de l'eiBécuter 7 Qu' importent les préro- gatxvea, si V«n^eBt itéduit à n'icn plus oser faire usage? Qu'importent las institutions » si elle» ne condamnent pas Tentreprise , ou DE LA PRéDlCTfOM POLITIQUE. 205 si elles la secondent^ ou si elle a été formécf dans leur seiii ? La révolution des Guise était eonscmméfi si le parlement avait accordé rarrêtqui derait délier les sujets de Henri III du serment de fidélité: » Telle chose qui rendrait une révolution totale impossible, est quelquefois ce qui fait le succès des autres révolutions. ^ 9 Singulier langage que celui-ci ! Votre épée est de bonne trempe; que redoutezt vous? Us demandent vos mains? laissez^ faire. Ils les chargent de liens? c'est poui^ votre bien ^ laissez faire. Ib se précipitent sui- vous ? voilà le moment ; frappez^ frappez donc ; n'avez-vous paft votre épée ? 9 S'il y a des révolutions de plus if une sorte» il y a aussi des moyens de révolntUm nombreux et div^s. Ces drames là sont comme ceux du théâtre : ils ont leurpisépa-r ration, leurs péripéties et leurs catastrophçsc » Il faut d'abord disposer le peuple , puia. 101 GHAPlTftB VUI. réunir ses moyens d'attaque, puis attaquer et frapper, Oii en sommes-nous ? V II n'y a point de révolution qui ne par-> coure nécessairement ces trois périodes. Tellement qu'on peut fort bien démêler et juger par elles si l'on prépare effectiyement des révolutions » et quels progrès ont faits celles qu'on prépare. » Disposer le peuple , dans un gouverne- ment aristocratique , consiste à le soulever , comme au temps des Gracques , contre la dureté et la tyrannie des patriciens. On excite son ambition en lui. promettant des mi^istratnres ; on tente sa misère, en lui proposant les dépouilles de ses oppresseurs. » Disposer le peuple» dans la monarcbie, consiste encore à calomnier» car l'autorité de la calomnie est universelle. On inspire d'a- bord des craintes au peuple» puis de la dé- fiance» puis du mépris. Pour les craintes» on parle » selon les temps» de droits féodaux DE LA PU&DICnoa MLITIQUB. SOS OU de dîmes, de famine ou de guerre, de dé- ficit ou de liberté. Pour la défiance , on parle de cabinet autrichien, de chevaliers du poignard, de congrégations, de jésuites. Pour le mépris , on change la grftce en lé- gèreté, la bienveillance en faiblesse, la piété en bigoterie ; on dit des rois qu'ils se font prêtres, ou des {)rêtres qu'ils se font rois. f L'opinion e^t reine du monde? on con- fond. Ce qui fait l'opinion est plus puis- sant qu'elle. Or, c'est la calomnie qui fait aujourd'hui l'opinion. Nous sommes les serfs et les feudataires de la calomnie. i Quand on a ému et corrompu l'opinion du peuple , le premier pas est fait , on se pré- pare au second. C'est le moment d'assem- bler ses moyens d'attaque. Jusque-là on n'a affaibli que l'autorité morale du gouverne- ment; on va maintenant travailler à l'affai- blissement de son autorité matérielle. É Que veut^n de mieux ? c'est double suc- 306 CHAPnBB TIII. ces et double profit. Ce que le gouvernement perd , la faction le gagne. Elle devient forte de sa propre force et de la faiblesse d'au- trui« Elle découvre la nudité de soà ennemi, et pare la sienne* Encore un coup, que veut-on de mieux? r On attaque premièrement les gardiens vigilans et les serviteurs éprouvés; on les désarme et on les écarte : on rend leur zèle t et leur expérience inutiles* Rien ne se pour- rait exécuter sans cela. f Prudence vulgaire , mais indispensable ; il y a aussi une autre espèce de gens qui ne s'introduisent jamais dans une maison» sans avoir assommé les chiens de la basse cour. V On accuse ou Ton flatte , on menace ou Ton séduit la force publique. On exagère ses droits ; on ébranle par des subtilités l'opi- nion qu'elle a de sa dépendance et de ses devoirs. On lui suggère une obéissance qui examine et dispute ; c'esl-à-dà'e une obéis- DE LA puftpierioa politiqob. io7 sance qui n'obéit pas et qui ne fait que ce qu'elle veut. On souffle sur elle un je ne sais quel esprit d'irrésolution et de défiance. Elle est en armes, et cependant dësarinée* On veut que 9 le jour venu, elle ne sache pas si elle doit oser. 9 On flétrit les combinaisons politiques qui ont eu le plus de succès. On attaque de cent façons différentes les actes les plus légitiipes et les plus utiles. On s'arrange pour que personne n'ait confiance aux ordres du gou* vernementj et que personne ne les exécute. On veut lui ôter tout le pouvoir qu'on pourra, et qu'il ne puisse rien faire de celui qu'on n'aura pas pu lui ôter. f On en vient ensuite aux prérogatives* Les unes , on les nie : on les nie fermement et. résolument; si fréquemment et si bien, que ceux qui les ont finissent eux-mêmes par ne plus y croire. f Les autres , on les supprime, et les pré- SOS CBAPlTRB VIII. teztea ne manquent jamais pour cela. Ne voyez-vous point qu'elles sont à charge à la royauté? C'est par intérêt et par affection pour elle qu'on les lui arrache; f D'autres encore sont trop respectées et trop nécessaires ; il serait dangereux d'en- treprendre 4e les révoquer. Pour celles-là, on les modifie, on eu règle l'usage , on s'as- sure que l'exercice en sera désormais im- possible. On les confirme , dit-on ? A d'autres, s'il vous platt, à d'autres! ce n'est qu'une manière de les abolir. 9 En même temps, on se fait des préroga- tives et des lois à son propre usagé. On s'inves- tit soi-même d'une autorité politique que l'on n'avait pas. On se substitue insensiblement aux magistrats qu'on accoutume à l'inaction et à l'impuissance. On crée à son profit un droit irrégulier contre le droit reconnu. On couvre tout cela de quelque apparence qui puisse éblouir et séduire. On lui donne une DE LA PUlDlGTimi POLITIQUE. 309 dénomination ambiguë qui paisse imposer au prince el au peuple. On le qualifiera, que sais-je, d'ordre légal peut-^tre; quoique ce soit un ordre opposé aux lois établies ; quoique cet ordre ne soit conforme qu'aux lois qu'on se propose de faire et qui ne sont pas encore faites ; quoique ce soit par conséquent le contraire de Tordre légal. f Voilà ce qu'ont fait uniformément tous les ouvriers de révolution^ . Voilà par quels honnêtes moyens ils préparent le succès de leur entreprise. Or , il y a un pays où ces choses-là se font actuellement. Douterez^vous encore des projets de ceux qui les font? A quoi cela est-il bon, si ce n'est à ébranler et à détruire ? Les gens qui veulent fonder s'y prennent d'une autre façon. f J'en reviens donc à mon texte : nous ré- fléchissons et lisons trop peu. Si nous étu- diions davantage , nous serions plus frappés que nous ne le sommes , de ce qui se passe 210 CHAmU Vllf. chaque jour sous nos yeux. Je lis quelque- fois, moii bieu rarement, eonmie tout le monde; mais enfta, je lis. l'en étais, ces jours derniers y à la conjuration d'Amboise : la déposition de Labigue , secrétaire du chef du complot, m'intéressa vivement, le veux vous la dire. f On devait réduire la France en cantons, sur le modèle de la Suisse ( c'était alors la forme de r2()publique à la mode ); ou bien , si ce p^rti convenait au plus grand nombre, on aurait élu un autre roi, qui , leur ayant obligation' de la couronne , commençât par abolir la i^Ugion catholi- que en France, accordât tons les édits qui lui seraient demandés, et laissât teUement circonscrire so^ autorité , qu'il ne pàt ja- mais se tirer de leur dépendance, v 9 G'étaiten 1560» Us étaient, dès ce temps, presque aussi avancés que nous. » La seule différeace que j'y voie , c'est DE LA PUfeMCnOa MUTIQUE. 211 qo'ik iroolaient, comme les. Anglais de 1688, un cbangemeot de dynastie peuor aesaver le ehapgeraemi de relîghin , et que nos gens ms veulent y eux, d'un changement dîe neligion que pour assurer le changement de dynastie. Le but et le moyen ont fait échange de rôle et de place. A cela près , tout est précisé- ment comme il était il y a deux cent soixante- huit ans. Ils étaient plus religieux que poli- tiques, nous sommes plus politiques que religieux : avons-nous gagné ou perdu? f O Athéniens! vous êtes charmans : vous avez une gr&ce parfaite et un esprit infini ; vous l'emportez sur tous les autres peuples de la Grèce , par Tintelligence et par le cou- rage : mais un peu d'imprudence et de pré- somption ternit le lustre de ces qualités. Vos ennemis prétendent que votre intelli- gence n'éclate que sur les petites choses , et que vous n'êtes si braves que parce que vous détournez les yeux du péril. Continuez^ SIS cHAPnrBB vin. Athéniens; riez, chantez : A demedn les affaires sérieuses! Les Macédoniens sont en marche? à demain ! Philippe est à vos portes? à demain! » DE LA PBRSBVÉRANCB DANS LES OPINIONS. L'avOUBrai-is? pourvu qu'on ae me prenne à la gorge, comme dit Montaigne. Je tiena la fidélité pour la plus excellente chose de ce monde; bonne pour autrui, meilleure pour 901. 214 CHAPITBB U. Engagement d'affection, de fortune ou de politique, il ne m'importe que ce soit d'une ou d'autre sorte. lAicitesoît-il votre engage- ment, je l'enferme impitoyablement dans ma règle : il le faut garder et maintenir. Quand vous avez usé votre vie à quêter de toute main de folles tendresses, quel profit vous en revient-il ? Vous avez troublé le bon- heur d'autrui sans faire le vôtre ; vous n'avez pris ni laissé le temps à personne de conce- voir ni de vous inspirer de l'attachement; vous avez effeuillé en courant des milliers de fleurs et n'en avez pas cueilli une seule. Peut-être le faut-il excuser aux femmes ; du moins est-ce l'avis de Montaigne : < C'est I nn vilain dérèglement de nature, dit-il, y qmi lestpojilie ai )90iitent .au change, et les 9 eoftpeadhe^deJE^mirlearaffoeAionea quet- i q'oe aubiect que ce soit. 9 (âia bonne Jieurej je le qmtte^Mx fenoies. Mais nous autres hommes, soyons hom- DB LA rBBftiLvniAaCB DAH» LB» OPllIIONfl. 215 mes : affermissons nos jiensers et nos affec- tions. S'il est vrai pour les affeetîoas , à plus forte raison pour les opinions, et s'il est vrai pour les opinions même frivoles, à pinf forte raison pour les opinions iinportan-^ tes. Les affections sont parfois une mde affaire, à laquelle rbomeoretrentratsemeiit peuvent avoir ploa de part que le éisoern^^ meut et la volonté. On aime j. dit*ton , sans savoir pourquoi. Cela est un peu fort ; mais on le dit : je ne vais pas contre. Autre chose est de l'opinion. : ceci est affaire de réflexion et de jugement. Il ne s'y peut rien mêler d'imprévu ni d'invuisqu'elles sont vraies ; admirables, puisque le prince qui les disait avait détrôné et tué son frère. Il n'y a de difficulté pour les gens fidMes , qu'une seule fois ; pour les autres , il y en a toujours , il y en a mille. Ghangerai-je au- jourd'hui , cbangerai'jè demain , ne change- rai-je point du tout? c'est pour en perdre l'esprit. DB LA PBKftiviaAMB màMê LBft OPUIOBA. SiO Les gens fidèles ne sont embarrassés qv'au départ , comme tout le monde. Prendrai-je à droite ou àf[aucheT voilà tout. Cette pre mlëre question décidée , et consciencieuse- ment décidée , iIsB*en rencontrent plusaulle part, i^elque incident qui survienne, ib sarent toujours» ce qu'ils ont à faire , «ans qu'ils aien^ la peine de réfléchir seulement une minute pour cela. Le parti à prendre découle tout seul comme un corollaire t ^ parti qu'ils ont pris au commencement , peut-être vingt ans par de li. Est-ce peu de chose que cela? vraiment non. Savoir toujours dans toutes les posi- tions données, comme on doit penser, vou- loir, sentir et agir, je n'imagine rien de plus doux, ni de pitis commode. Plus d'irréso« lutiou d'a)>ord ^ insupportable tourment des esprits timides. Plus de ce fastidieux et dil*-^ ficile balancement des objections , des pro^ 390 CHAPITBB U. babilitès, des espérances contraires. Il ne s'agit que d'aller tout droit devant soi. Pais y les suites seront ce qu'elles pour- ront : c'est l'affaire de la Providence et de la fortune. On n'est responsable.de rien. Quel reproche a-t-on mérité? A-t*on déli* héréj discuté, choisi? pouvait-on faire mieux, fiiire autrement , ne rien faire ? Non , on s'est laissé aller au courant , comme on le devait , sans lui résister» sans le remonter. On n'a fait œuvre de son pouvoir ni de son vouloir. S'il mésarriye , tant pis : c'est un malheur mais ce n'est pas une faute , et je prétends qu'on n'a jamais tort d'être malhéhreux. Qui veut toujours choisir, peut toujours changer. C'est un grand jeu. Les chances abondent. 11 y en a de contraires et de favo- rables. Laquelle rencontrera-t-on ? Si Ton s'est tjfompé , quels regrets ! Tétais-là , dit- (m, et Von récapitule avec désespoir tout ce qu'on eût gagné à n'en pas sortir. Au con- DB LA PBRSévÉKANCB DAB9 LES OPimORS. 221 traire pour ceux qui restent où ils sont : si la mauvaise chance leur échoit, ils s'en con« soient par ce qui fait le tourment des autres. J'étais-là y disent-ils 9 et ce mot comprend^ tout pour eux : devoir, espérance et résigna- tion, fis étaient où ils devaient être. L'hon- neur les y avait mis et les y a retenus. C'est à lui à répondre du mal qui survient y et l'honneur rend toujours hon compte de tout ce qui se fait en son nom ! J'ai connu un homme de hien qui avait la manie de l'habileté. L'arc de son cerveau était toujours tendu à se rompre. Quand une chose n'était que vraie , il en détournait son esprit ; quand un ouvrage n'était que bon , il craignait de perdre son temps à le lire ; quand un homme n'était que droit, juste et ouvert, il le prenait en pitié. Il se faisait des labyrinthes pour toutes choses, et n'en sortait pas. Le simple et le naturel le blessaient : c'était un vêtement trop étroit pour un aussi 3tt UUPITAK Um i^rand esprit que le siea. S'il vous abordait et vous disait bonjour^ merci de ma vie I c'é* taitua boui gros et ample bonjour, en trois pointa , avec proposition f narration et confirmation : rbétiorique et logique , tout était en jeu* Aussi» comme le bruit de sa re- nommée allait grossissant^ grandissant et re- tentissant ! Mais que faire de Tbabileté qu'on a » si on ne la met en lumière } Il vint donc un jour où Ton voulut que la lumière se ût Le publie regarda, et puis siffla. Il se trouva que cette habileté si gourmée n'était qu'une ■ prodigieuse dextérité à changer de nckasque' et de rôle sans sincérité et sans conviction. Le public ne regarda plus y et continua pour*- tant de siffler, LesVegrets, le dépit, le déses- poir vinrent alors; il était trop tard. Bien lui en a pris en vérité , à cet homme i d'être si dertre aax cba.ogemens d^ théâtre, et de vouloir à toute force être plus habile que IHeu ne l'a fait ! t f f DE LA PEBBliviRAHCE OARft LES OPIHIOEg. lU L'esaeiitiel est donc de Mea choisirt lors- que Ton choisit : après quoi , les gens . de cœur ne regardent plus en arrière. Mais c'est le difficile aussi » er je voudrais bien que d'autres que moi sfi fussent chargés d'en donner la règle. Tantôt on vous dit : Attachez^vpus à la for- tune de cet homme. — Cet homme? Et pour- quoi cela? — Oh, c'est qu'il est habile , élo- quent^ généreux ; il a des amis , il sera puissant . — Et si c'est un Mirabeau > un Crominrell ? Eh bien ? --^ Eh bien !... Ah! pauvre esprit que je suis , je ne comprenais point ; m'y voiU. Ceux qui donnent ces conseils ne son- gent qu'à l'intérêt de ceux à qui ils les don- nent y n'est-ce pas? Et ceux qui les suivent , ne s'inquiètent guère de l'intérêt général^ n'est-il pas vrai ? Demander & de telles gens de ne point changer : bonne raillerie I Avez- vous peur qu'ils cessent d'obéiràleur intérêt? D'autres ont , disent-ils , des goûts sérieux 22A GBAPITBB IXi et solides : un éclat vide et sans substance ne «les séduit pas. Il leur faut un établisse- ment ; entendez-vous bien ? un établissement qui ait une bonnéte ampleur .et une suffisante consistance. Eh! Messieurs, s'il est ainsi, votre choix est fait. Ce n'est pas pour vous que cette importante détermination sera dif- ficile. Tournez vers la puissance; embrassez^ la, quelle qu'elle soit ; attachez-vous à ses pas, quelque part qu'elle aille. Barras ou Buona-^ parte , Charles ou Philippe , qu'importe ? Vous vouiez des emplois et des honneurs ? tenez ferme; c'est de là qu'ils viennent. Vous changerez , s*il le faut ; vous ne chan- gerez pas, s'il est nécessaire. Que me font vos fidélités et vos trahisons ? L'intérêt que vous servez n'est que le vôtre , et celui-là ne sera point trahi 9 j'en suis sûr. D'autres aiment le bruit, les applaudisse- mens, la réputation. Ils auraient bien un peu d'avarice peut-être, mais ils ont surtout delà I DE LA PtMutVÉMAnCE DAMS LES OPISlOIlft. S35 vanité. Quelle est la mode du jour? Il faut la leur dire. Quelle est l'opinion qui domine? Il faut qu'ils la sachent. N'avez-vous au Ain moyen de faire parler d'eux dans une ga- zette? ils pâmeraient d'aise. Que voulez- vous? le parti de ces gens-là est tout pris. Leur nature a choisi pouir eux ; il n'y a pas & délibérer. Voyez-vous la bulle de savon , quand Me se détache de son brin de paille? creuse et légère, le vent l'emporte où il veut. Faites ainsi , Messieurs : votre tête est vide ; laissez-là aller au vent populaire. On par- lera de vous , soyez-en. certains. On vous dressera dans les journaux un beau pié- destaly sur lequel vous pourrez vous gonfler et vous prélasser. Vous serez savans , élo- quens , étonnans , profonds , admirables , vénérables même, si cela vous plait. Ne craignez pas qu'on soit parcimonieux de louanges. Vinssiez - vous du coin le plus ignoré de la terre , jamais humain n^aura eu 2. i5 2M df APITBB IX. plus de génie. Mais , qu'il ne vous tombe pas dans Vesprit de changer, au moins ; tout se Ait perdu. S'il allait vous arriver par ha- sard de prendre cette fumée en dégoût, et de balancer seulement un jour, entre la popularité et le bien public, pauvres gens, il n'y aurait point de miséricorde pour vous; sachez-le bien. Vous vous êtes donnés au démon populaire, corps et âme; il n*y a plus de retour. En voici pourtant qui sont d'une race mixte : ce^ont les amphibies de la politique. Les voyez-^vous, comme dans le sermon de Tristram Shandy, « fins, subtils, rusés, f insinuans?leur conduite n'est qu'un tissu » délié d'artifices obscurs, d'astuces près- ff que imperceptibles, de faux fuyans in- » justes et capricieux, t Ce sont des gens dont les reins flexibles impriment à leur corps un mouvement continu d'oscillation , qui les porte alternativement à droite et à Dl LA PERSlÊvilKANCB DAMh LES OPINIOKS. 237 gauche : gens qui vont et vienneut comme le pendule y et dans la bouche de qui le oui et le non se succèdent avec une merveil- leuse uniformité; gens qui i.e changent point, comme tout le monde, pour être autrement , et qui ne pourraient être autre* ment qu'en ne changeant point. Mes conseils , à moi y seraient bien diffé- ren$y si je m'avisais d'en donner. D'abord point de ces manœuvres à double pivot > qui font que n'étant entièrement à personne, personne aussi n'est entièrement à vous; point de ces déterminations dictées par l'am- bition des emplois ; point de ces vocations qu'inspire l'amour de la renommée; point de ces dévouemens aveugles et irréfléchis à la fortune d'un homme. Laissons les hom- mes, car ils ne sont rien, et ne nous dé- vouons qu'aux doctrines , car il n'y a qu'elles qui soient quelque chose. Ce n'est pas que je défende de s'attacher 228 CHAPiniE IX. à un homme s*il a embrassé les bonnes doc- trines, ni que j'approuve qu'on ne garde aucun ménagement avec lui quand on juge à propos de l'abandonner. Dieu nous pré- serve d'imiter l'exemple de ce lord Bristol, l'un des plus beaux modèles connus d'ingra- titude et de perfidie. Glarendou l'avait pris en grande amitié et avait fait sa fortune. Mais un temps vint où la fortune de Cla- rendon chancela. Tout aussitôt l'amitié de Bristol se mit à chanceler comme elle. Puis» à force de chanceler ^ toutes deux tombèrent. Fit comme il ne jugeait plus à propos d'ai- mer son bienfaiteur , Bristol n'imagina rien de mieux que de le haïr; et quand il eut pris le parti de le haïr, il le haït sérieu- sement j si sérieusement même , qu'il porta contre lui une accusation. Ceci passe un peu les bornes de l'iudépeudance j je croiâ. Que voudrais-je donc ? Mon Dieu , le voici : si je ne m'attache pas irrévocablement aux DB LA PBBSimteAHCE DANS LES OPIUIOMS. 230 hommes, parce que leur humeur est mobile, je ne m'attache pas non plus absolument et indistinctement à toute chose bonne de soi, car il en est qui deviennent quelquefois peri- nicieuses par de cerlains rapports el; de cer* tains accidenSt Ainsi le pouvoir est bon « puisqu'il entre*- tient Tordre des sociétés ; la liberté est bonne, puisqu'elle étend le bonheur de l'homme qui eu jouit. Mais trop de liberté détruit le pouvoir et l'ordre; trop, de pou-r voir détruit le bonheur et la liberté. C'est de leur équilibre que doit résulter le bien de l'état ; c'est par conséquent au maintien de cet équilibre que l'homme de' h\e^ doit consacrer ses efforts^ Partout où il n'y a qu'un pouvoir, on peut dire hardiment qu'il est excessif. Il peut tout, puisqu'il n'y a que lui qui puisse quelque chose, et que par conséquent nul ne peut rien contre lui^ Or, qui peut tout. y' 330 CHAPITRE IX. peut le mal; et qui peut le mal, pourra le vouloir. Si je vivais dans un tel pays, je voudrais donner au pouvoir des limites et des contrepoids. Partout où ces limites ont été tracées, s'exerce continûment une double action pour les resserrer et pour les franchir. Si les forcés de ces deux actions étaient toujours égales, les limites ne seraient jamais violées , et il n'y aurait plus qu'à rester témoin oisif du combat. Mais il n'en va pas ainsi dans la Jpolitique. L'avantage passe successivement tf'un côté à l'autre. Tantôt les limites sont trop rapprochées , tantôt elles s'étendent *phis tju'il ne convient. Or , qu'est-ce qui importe à l'état , si ce n'est que les choses soient remises en équilibre et que l'ordre naturel soit affermi? Je serais donc dans un tel pays , pour ou contre le prince ou le peuple, selon les cas et selon les temps. Lorsque Elisabeth faisait renfermer Parry Um LA PBBSériAAUCB DAM LES 0PI!I10BS. 231 à la tour de Londires et Morrice au ctiâteau de Tulbury; lorsque Gromwel, si bien copié depuis dans l'orangerie de Saint-«Gloud, fai- sait disperser le parlement par ses mous^ quetaires; lorsque fiuonaparte délibérait s'il n'enverrait pas devant un conseil de guerre le rapporteur de la commission des cinq, assurément les limites étaient renversées et le pouvoir pouvait trop. ^ Voilà donc par quels principes je vou- drais qu'on réglAtson choix. Que les gens cupides et litaiîdes passent au plus fort; pas sez au pluH faible , voue autres hommes de bien et de cœur. Cest notre devoir à tous , dès que l'ëquilâbra se rompt^ Or , maintenant , l'équilibre est-il rompu parmi nous? Qui l'emporte? Si c'est la puis- sance qui s'affaiblit , aidez-la ; si c'est la li- berté qui fléchit , venez au secours. Allons , Messieurs, la liiain sur le cœur, examinez et jugez. 239 CBAPWRE >X. Je 8aia bien qu'il y aurait autre chose à dii*e y et que le choix doat je parle ne s'étend pas jusqu'où il pourrait. N'est-on jamais in- certain qu'entre le gouvei^nement et l'oppo- sition? Ne Test-on jamais entre deux prin- cipes de gouvernement qui luttent ensem- ble, et travaillent à se supplanter? Incertain? Non, en vérité, je n'admets pas qu'on le soit. Chacun sait, do reste, oh le devoir l'oblige d'aller. Mais il s'en trouve que leurs passious poussent ailleurs qu'ils lie doivent. Que leur servirait, à ceux-là, qu'on leur découvrit leur méprise? Ils ne veulent entendre, ni voir. Et puis, qu'ajouteraient mes paroles? Ce que j'ai à dire , ma vie l'a. dit. cMAViTaa X. hVS FEMUeS DANS l'aDVBBSIT^. Septembre E83'i. Voici peut-être une bizarre chose^ et que les femmes admettront difficilement : les malheurs publics leur sont favorables. Oui, favorables; je l'ai dit ainsi, et ne le rétract^-^ rai pas. 23A CHAPITBB L Les hommes n'y changent que de fortune. Elles y changent bien de fortune aussi ; mais elles changent en outre de caractère et même d'esprit. Quelle en est la cause? Que sais-je? Peut- être un de leurs, défauts, qui devient subite- ment alors une vertu ; peut-être leur mobi- lité, qui fait qu'elles saisissent mieux les rôles divers de ce mobile théâtre. Elles y deviennent hommes par le cœur, et, la métamorphose faite , elles vont plus loin, et elles s'élèvent plus haut. A quoi cela tient-il? Que sais-je? à la na- ture de leur oi^anisation physique peut-être, qui, parce qu'elle est plus faible, est aussi plus délicate et plus souple, plus prompte aux impressions vives, plus aisée à pénétrer et à émouvoir. Ces femmes , toutes sensuelles et toutes légères , qui goûtent avec tant d'abandon les plus futiles plaisirs, qu'on ne croirait faites *t LBS rBionss dans L'ADVEESIT^. 3SS que pour le bonheur puisqu'elles le donnent; ces femmes, si le malheur vient, semblent, au contraire, n'avoir pas été faites pour autre chose. Leur &me se développe et se fortifie; une grandeur qui était en elles à leur insu, se révèle ; elles croissent à l'égal de l'adversité. y ôyer-les dans les défaites de leur parti ^ , dans les désastres de la guerre civile , dans la persécution politique ou religieuse : com- bien le dévouement des hommes est moin- dre, quelque grand qu'il soit! Les femmes se dévouent comme ellea ai- ment, plus sincèrement et plus ardemment. Mais l'occasion d'aimer leur est toujours dangereuse; et l'occasion de se dévouer, toujours entraînante pour elles, ne leur est du moins rien déplus. Il y a souvent de nobles et généreuses raisons pour éviter la première ; pour rejeter la seconde, il n'y en a guère que d'ignobles : aussi résistent-elles plus à Tune qu'à ^utr^. Honneur à elles, ^1 M 236 CHAPITRE X. et que la fortune ne leur épargne pas ces précieuses occasions qu'elles saisissent si bien! Elles aiment avec dévouement et se dé- vouent avec amour. Mais, daus le premier cas , le dévouement est tout personnel, et mérite peu de louanges. C'est l'amour faisant pour lui-^même des sacrifices où il se com- plaît et qui lui profitent; c'est la passion exal- tée qui , dans l'excès de sa passagère éner- gie , s'élève à une fausse générosité dont elle cueille et retient le fruit. Dans le second cas, l'amour est pur comme sa source. Il n'est que la perfection ( je ne * saurais dire l'excès ) du géi\éreux sentiment qui le produit. Il le complète et l'achève; il l'entretient et le perpétue : c'est le plus haut degré que puissent atteindre le désintéres- ment et la noblesse du cœur. Qui aime, pré- tend recevoii* tout ce tt^U donne : qui se ttL] 1* LBft FBHlIBft DAHS L'ADTEftSITé. 2^7 dévoue, donne sans échange comme sans retour. Quoi de plus beau , quoi de plus grand ! quoi de moins analogue à notre misérable caractère d'homme , qui nous rend d'ordi- naire ^i inattentifs et si froids pour tout ce qui est hors de nous! Le dévouement pur et vrai , c'est-à-dire le sacrifice entier de soi à autrui, nous est proprement incompatible et surnaturel. Cette vertu qui en suppose tant d'autres, mélange exquis de courage, de persévérance , d'oubli de soi-même et de charité 9 est la plus parfaite entre les plus parfaites vertus. C'est pourtant jusqu'où de faibles femmes savent s'élever, quand de grandes calamités les y aident et les y convient. C'est où elles excellent et se montrent le sexe vraiment no- ble et fort. Leur âme se transforme, si j'ose ainsi dire, et du mouvement qui l'entraîne , passe de bien loin les limites vulgaires de 2S8 CJIAPITKB I. rhumanité* On Ta vu , et chacua peut dire si je suppose ou si j'exagère. N'est-ce qu'un médiocre avantage? En voici un autre. A qui le bonheur est-il i>on ? quelle A^ertu qui ne s'y rel&che? quelle raison qui ne s'y offusque et qu'il ne jette par d^ré dans l'aveuglement? Les femmes cependant y perdent encore plus que nous. Quand la vie leur est facile , elles ne la remplissent que de vanité. Unsalon, un théâ- tre, une fête, une parure , un instrument de musique , un livre frivole et nouveau , c'est ce qu'elles appellent le monde; et c'est tout, leur monde y en effet. Que leur importe le reste? Le reste n'est que sérieux et utile : est-ce leur affaire? Voudriez-vous qu'elles s'épuisassent l'esprit pour avoir, au bout du compte» la merveilleuse satisfaction de mou- rir d'ennui? Le plaisir n'est pas déjà si fa- cile , et ce n'est pas trop de tous leurs soins et de tout leur temps pour l'assidue et labo- hESi. rEimCS DANS L'ADTEEftlT^ 339 rieuse recherche qu'elles en font. Puis, quand la vieillesse survient, elles ont vécu, disent- elles. Et de quelle façon? Elles ont dansé, et se sont parées ; elles se sont crues belles , et ont pris des peines infinies pour qu'on le leur dit beaucoup et long-temps. Est-ce tout? Oui , c'est tout. C'est à quoi se réduit leur vie, la vie d'un être intelligent, qui cepen- dant en prévoit et espère une autre. Mais avec les mauvais jours, les parfaites mœurs. Ce ne seront plus ces molles habitudes de femme, avec lesquelles on vit, s'il plaît à Dieu , tout un siècle , sans sortir une seule fois de l'insouciante frivolité de Tenfance. L'esprit se remplira de graves affaires, et le cœur de hardies résolutions. On bravera le péril; on saura souffrir, et manquer de tout.' On voudra même cQunattre et savoir, et Ton ne trouvera plus qu'il soit si fat^ant de penser. Ce sera bien encore, si l'on veut, de la mode, mais de la mode transplantée du 240 CBAPITHE X . t frivole au grave. Ce sera toujours de Tea- tralnement et de rimitation, mais de l'imi- tation bonne et louable, mise à la place d'une autre qui fait pitié. On aura une vie de di-* gnitë et d'intelligence , au lieu d'une vie pué^ rile et vide, de qui l'on demanderait volon^ tiers : à quoi bon ? Pour celles que la tempête surprend sur le tard et déjà à moitié chemin, la métamor- phose est plus difficile, et il n'y a guère de ressource que dans rexçellence de leur na- turel. Mais les autres, qui commencent en- core, et qui ne sont qu'à peine au départ , celles-là ont de meilleures espérances, et le succès est, à vrai dire, en leur main. Neuves encore, et sans habitude de la vie heureuse, elles n'ont rien à effacer et à désapprendre. Il n'y a point là d'éducatiop faite et vieillie qui ait étréci l'âme et faussé l'esprit. Celle dont il est question sera la première et la seule. On la peut recevoir meilleure et plus se- LES FEMMBS DANS L'ADVERSITÉ. 2Jkl riease , sans que les souvenirs d'une autre moins austère et plus attrayante en viennent troubler les progrès. On se peut exercer d'a- vance et sans trop d'efforts aux malheurs qu'on devra probablement partager. On a le loisir de se préparer pour ces vives luttes dont le signal est donné, et o& Ton sera, sans faute, appelée. Par oti cette éducation commencera-t- elle? Et que vous dirai- je? par tous les points à la fois ( même par cette faculté de l'esprit qui, suivant l'emploi qu'on eu fait , est la plus infructueuse ou la plus féconde ^ par celle qui a l'habitude de faire avorter toutes les éducations qui la flattent ou qui la. négligent ; par l'imagination , en un mot : folle, si l'on veut; folie quand ou ne lui donne ni règle , ni guide ; mais qui prophé- tise quand elle est animée de l'esprit de Dieu. Rêvez, oui, rêvez, puisqu'il n'y a aucun 3. 16 2&2 cnAPiTae \, moyen d^empêcher ces capricieases illusions de Tesprit ; rêvez de la vie dont tons devez vivre. Rêvez, nan plus de ces fortunes de bruit et de Vanité qui se rencontrent dans les temps prospères > mais de ces grandes fortunes d^honiieur qui s'acquièrent dans l'adversité. Méditez comment on s'ennoblit dans l'humiliation , comment on est glorifié dans la défaite , comment on s'élève parce qu'on est tombé. Méditez d'un père proécrit, d^un frère au combat » d'un mari condamné peut-être et captif. Méditez dé Rambouillet et deBlàye, dêYincénnes et de Saint-Michel» de la Péhissière et de Saint-Méry. Familia*^ risez-vous avec ces rudes faveurs de la Pro- vidence ; et quand vous y sèret parvenu > Vous me direz s*il né vous ]paratt pas que votre aine soit dé meilleure et plus forte trempe qu'avant cette épreuve. AU lieu des plaisirs, c'est la gloire : l'échange en est lion> et l'on n'y perd pas. LES FEMMES DAIA L'ADVERSITE. 24^ Mais voicî d autres couy^ils : enfonce^ vous courageu9emeat dans Tétude de cette philosophie salutaire et sainte qui jaouB a été donnée de Dien, et qui le mootre si bien. Vous savez la religipn » dites-^vous. I^uUe- ment. Il vous In faut apprendre autirf^ieBt et pour de nouvelles fins^ SUe vou9 prescri- vait le bon emploi des richesses^ il faut maintenant qu'elle vous explique les profits de la pauvreté : elle vous aidait à diriger vos désirs ; il faut qu'elle vous enseigne à n'en plus avoir : elle vous exhortait A ne pas abuser des choses; elle vous montrera à n'user d'aucune. Vous saviez par elle la modération, le désintéressement, la pîlsé; il s'agit désormais qu'elle voqs fasse bavoir la résignation , l'humilité , la constance. Il lui reste à vous déeoavi^r la meilleure part 4e ses préceptes et de ses conseils ; car les heureux ont peur de la religion qui les con- damne ou q son im,perfectipn même aura fait sentir la uécessité de l?éten- dre^ et la possibilité d'y réussie. Ce que dit DE LA PAftOLB HT US L'ÉCRITURE. 275 Duclos de l'iostantanéitë de Vinventiou de récriture) n'est appuyé^ à mou sens, sur rien de probable ni de nécessaire.* Lés es- ' sais peuvent avoir été long-temps sans .suc- 4îès ; les succès eux-mêmes peuvent avoir été long-rtemps incomplets et insuffisans (1)« Non, à-t-oh répondu; i Tart de repré- f' senter les objets , même moraux, sous des « emblèmes et par des attributs physiques , f n'a rien de commun avec l'art d'exprimer V les idées par la décomposition des sods. v Rien de commun? cela est vrai, quant au mécanisme de l'art. Mais quant à la pensée (i) Primiy per figuras animalium , iEgiptii sensus mentis efHûgebaiit, et lilteramm setnet itiventores perhU bent Quidam Cecropem Atheniensem y ^el Lioum Thebanum, et, temporibos Trojanis, Palamedem Argt- Toni memoranty sexdecim litteraruih formas; mox alios, ac prfedpttam Sinoaidem, coteras reperisse.... Et forma litteris latinis, quae Teterrimis Grascorum; sed nobis quoque paucœ primwn fuere : deindè additœ sunt, — Tacite, Anh.j liv. ii, ch. i/|. 276 CBAMTKB UL de l'art y c'est-à-dire quaat ao principe de l'invention, je ne le crois pas véritable. Il faut bien que cette pensée soit commune aux deux arts ; car elle est unique. Ce dont il est question dans l'un et dans l'autre, est ton* jours de représenter . aux yeux, les images naturelles ou convenues des objets moraux ou matériels. C'est des deux côtés le senti- ment d'un même besoin; c'est un effort, si non pareil, au moins analogue ^ pour at- teindre à un même but. La pensée de l'écri- ture n'est que le développement , le progrès, le dernier terme de la pensée des biéro- glypbes. f La seule manière d'écrire , dont Tinven- > tion fût possible, a-t-on ajouté^ était tout f au plus l'écriture des Chinois qui donnent i un caractère particulier à chaque mot. i Cette concession est bien grande, et peut-être est-il vrai qu'elle comprend tout. Assurément la différence est considérable DE LA PAROLE ET DE L'éCRlTDBE. 277 entré récriture par mots et récriture par syllabes; & plus forte raison par lettres. Mais quand on est parvenu à décomposer la. parole par mots, il semble que la plus grande difficulté soit levée. On sait déjà que la parole se décompose^ et Ton en connaît de premiers moyens. On a l'idée de la représentation, et quelque réalisation de cette idée. L'inven* tion est faite. Ce qui reste à faire, quelque important et difficile qu' il soit > n'est qu'une nouvelle et plus étendue application du prin- cipe et du mode déjà inventés , de la décom- position et de la représentation de la parole. Que les Chinois , qui n^ont encore aujour- d'hui que l'écriture des mots, n'aient pas poussé plus loin leurs progrès , cela est peu concluant; car il faudrait savoir si leurs lettrés ne trouvent pas que cette écriture suffise aux besoins actueb de leur politique et de leurs sciences ; s'ils ont fait des efforts sérieux pour l'améliorer ; si rintelligence 278 CBAPITBE Xn. si lente de cette nation lui permettrait de le tenter et de l'adcomplir. L'«xemple d'une nalion, d'«ud langue, d'eue écriture, ne ptouye rien pour les autres. Autant vaudrait dire que les Chinois n'ont pas pu inventer l'écriture des mots, parce quau nouveau monde on en était enc6re aux quipos, ei en Egypte, aux hiéroglyphes. « Qu'on se reporte par la pensée *, pour- > suit-on , aux tonkps qui ont précédé Té- » critnre, et qu'on juge tout ce que devait » laisser dans l'esprit, de Va^ue et de vide, jr l'absence des caractères qui servent à dis- » tiuguer les sons entre eux. i Sans doute, et cela prouve très**hien la difficulté de l'invention, laquelle n'est con- testée par personne; mais c'est de l'im* possibilité qu'il serait question. < Nous-mêmes qui , à l'époque de la dé- y cotiverto de Timprimerie , avions porté 9 l'art graphique à un si haut point de per~ I>B LA PiUM>liE Vf DB-L'iGMTURB. »0 f fection , ce .n'est qu'au qurnsième siècle V qcre nous nous soninieâ avisés da moyen # si facile, et qui était si prfes de nous; et 9 Ton veut renvoyer aux premiers temps l'in- f vention de l'art d'écrire ! v C'est parce que Tart d'écrire était inventé, que l'art. d'imprimer l'a étési tard. On avait déjà de quoi suffire à ce qu'exigeait l'état actuel de la société. On avait» oii ne cher- chait plus. Le grand inventeur manquait : le besoin* Il faut bien d'ailleurs » quoi; qu'on fasse, reculer l'invention de l'écriture vers les pre miers temps; car, pour le dire en passant, l'opinion qui rapporte à Moïse la révélation et la transmission de cet art , rencontre de graves et insurmontables difficultés. ■ D'abord, le livre d'Hénoch(l), que citent l'apôtre saint Jude et Tertuilien, est bien an- (i) Bruce rapporte qoe la bible de l'église d'Abyssinic a conservé un livre d'Hénoch. 280 CBAPim xu. tériear à Moïse;, de. même le JiiFre de Job; de même le livre, des guerres du Seigneur , . et le livre des Cantiques proverbiaux , cités dans le livre des Nombres; de même, le livre des Justes, cité ddnsle livre des Rois et dans Jûsuè. Il semble même , par te livre de Job , que l'usage des livres et des caractères fût déjà commun de son temps. — Quis mihi tribuat ni êcrikantur sermones mei^ quîs mlhi det ut exarenturin IxbrOj stylo ferreo, et plumbi lamina ; vel celte sculpantur ' in sHice? -^ Qiiis mt/tt tribuat. ... ut.... et librum scribat ip9e qui judicat{i)? a L'écriture n'était nécessaire ni àrbomme, » ni à la famille, t Non, et c'est une raison de plus pour croire qu*clle n'a pas été robjet d'une révé- ](ation directe et iaunédiate. Dieu avait don- (ij JoBy ch. 19, V. a3 et aA, et ch. S i, y. 35^ DE LA PABOIiB BTDB Ji'^CUTUaE. 281 né à rhomme ce qui lui était nécessaire pour la^écouvrir quand Tétat de la société le de- manderait, saitoir : la. pensée, la, parole et le temps. Il est philosophique et sage, à ce qu'il me semhle , de ne faire intervenir l'ac- tion directe.de Dieu qu'aox choses qui se« rident manifestement impossibles sans cette intenrention. « L'écrïtureest une expression ide l'homme » comme la parole. •. Or, toutes les exprès- 9 siona de l'homme moral, la physionomie , » l'accent, la voix, l'habitude du corps, sont f hors du domaine de la volonté de l'homme, y et par conséquent hors de la sphère de ses » inventions : car on peut dire que faire V l'expression de soi , ce serait en quelque li sorte se faire soi-même, y Je crains , je l'avoue , que ceci ne soit un peu trop absolu. L'homme ne se fait pas. lui- même. Il ne crée ni son être , ni ses facultés; qui en doute? Mais il les développe cepçn- 389 GHMMTIIB XII. dant , ces facultés^ il les éleud , les modifie, k» corrige, ou les pervertit. Iloftiait paa ses traits, oisaToix, ni sa stature; il ekange et règle pourtant Texpii-ession de «on visage^ Taocetitdesa vtiix^ les tnouveaens de soii corps. Il compose sa' phf sitmolnîe , so& lan- gage, ses habitudes, sa eomplezloa^ sa force, sa grâce. Il cultive ou il n^lqpe. son esprit; il le ^féconde ou le Mnd stérile. Son Ame elie^iliteie , il la pétrit, pour ainsi parler, de ses mains. Qu^ques. parties. au moins de son expre$sion sont dans, la dépen- danoe de sa volonté. Gette partie de son es- pression, qu'on cherché dans l'ait -d'écrire, pouvait donc être aussi 'dans sa dépen^ dancOè , ..»,."..''■ s : • L'écriture est la déeomposition' des sons qui 'formel^' le langage; -dé -même* que^ la musique * est la décomposition des âona qui Contient le chant. Si la musique est d'invention humaine. DE LA PARfn.fi Vr DB L*l£cRITUEE. 363 pourquoi l'écritate aurail-elle une autaw origine? La musique ne note pas senlemtnt Vé- chelle et la durée absolue ou pelatite 4en sons. Elle en marque te ton , le mode , le mouvement 9 Taceent^ Yetpre^on^ - C'est une écriture qui ne représente que des choses matérielles dont leg^ rapports arec lès choses intelledueUes sont plus bornés. Mais qcroiqiie la véritable écriture répré** sente la parole , qui représente elle-même la pensée > c'est-à^irel' universalité 'des choses intellectuelles > cette différence , si considé- rable qu'elle soit, n'est cependant que dans les appplications du principe de la repré*^ sentation , et nullement dans le principe lui- même, en quoi consiste la vraie invention. Le chant n'est que le cri naturel de Thomnie, modifié, réglé, mesuré, perfec- tionné. Le cri de Thommc est la première 284 GHAPITBB XIL expression de sonétonaementyde sa crainte, de sa joie ou de sa douleur. C'est sa pre- mière parole, sa parole abrégée; un com> menoemeut de langage, uu langage. C'est une image vive et réelle, quoique informe encore, de ses premières pensées et de -ses premiers sentîmens. La musique donc représente autre chose qu'un bruit méthodique , gradué et harmo- nieux. Elle représente et exprime des impres- sions et des sensations ; des impressions physiques et des sensations intellectuelles. Or, si l'honune a pu tro^ver l'écriture du chant qui est une parole, pourquoi lui au- rait-il été impossible de découvrir l'écriture de la parole qui est aussi un chant 7 OEUVRES DES MORTS- — MONTAIGNE (1). DB LA 80L1TUDB FOBCiB. Château de Ham, i83a. Yratement ils fnrept bien lotis et fa- vorablement partagés -, ceulx qai nac- (i) Imiter Montaigne I imiter ses formes de oomposi- tiom et même sa langue! Cest en jeu d'esprit un peu 286 CflAPinS XIII. quirent et ont vescu en bon temps. Vous voyez bien que l'heur et malheur de l'hu- maine vie n'est poinct tant^ennostre vouloir et discrétion que aulcuns le disent. Je voul- drois bien les y veoir. La gracieulse bonté et haulte puissance de Dieu , font pour quel- ques-uns le temps si béning, qu'ils n'ont qu'à se laisser vivre , et puis gouster touste joye et esbattement. A ceulx là, s'il leur venoit en l'esprit quelque fantasie d'essayer de la contraire fortune , encore ne leur sur- giroit elle que doulce et propice. Ce ne sont qu'enfants gastés que la providence berce et emmièle amoureusement tant que dure leur pérégrination en ce monde.Et n'y a pas si grand subiect de s'esmerveiller qu'en si droicte route ils ne trébuchent, ni se fourvoyent. Le bien faire n'est difficile à eulx qui n'ont hasardeux. L'auteur avait supprimé ce chapitre ; mais je l'ai prsfisé de le rétablir. Ai^je eu tort? ( Note de r éditeur. ) DE h\ SOURVilB fORCés. 287 q[tte faire , ei à qm il suJBQit de a esveiUer et frotter les yeux après leur ouktée , pour que l'aise leur a^vâeane à play&ir et commande- meut. Ce seimit bieti môtacle qu'ils ne fussent gesside diroécturis et dé pAlienee, et ne souspe- çonBeroisrjie gu^res qa'en une telle bon- nasse^^ôn pust avoir velUité de vivre; ai|ltie- aMBnt quTil ne^plaiat it Bieur Non eget jnaurTfacvlitt', neque arcw, ffea venemUiê.gntMM êogitiis, Fusce pharetrd ( i ). Mais à nous aultres malencontreux ^ qui n'avons troevé les rôuttes battues , ains tout enchargées de ronces et entrecoupées de fon- drières 9 besoing est , si ne nous voulons dévoyer , de nous être affermis à poinct , et par advance munis de réconfort et advise- mieni. restime quei bpmmA de. biea eu mon temp»». eat plu^ bomnie de bien tiroi» fpis , que nul du siècle passé. Novisex rébus aucti y (a) HOEAGE. cH4Pinai nu. tttta et prasaenHa, quàm vetera et pericuhsa malunt. ( 1 ) Que voulez vous que puisse ré- souldre mn pauvre chrestien à qui il souffle dans les deux aureilles de deux veiits con- traires et teiE^pestueux? Cettuy-^y lui crie, suis le fil de l'eau; cet aultre, rebrousse, et vas contremont : à qui croire? S'il faict entre temps fausse manœuvre, et mal oriente sa voile, ie ne m'en estonne, et Fabsous. Bien plus-tôt m*en estonnerois-ie , qu'en si grande perturbation, il seeut treuver et tenir son véritable chemin. Ego y cui timebo ^ Providus auspex ,.... Oscinem cojvum prece sttscitabo , Solis ah çrtu (2}. Le mieulx est de beaiicoup en ces occur- rences, dé ne pas tant escouter de gents, « Et de se plastrer et boucher les aareilles (l) HOAACB. (a) Tacite. DE LA SOLITUDE POHCÉE. 280 9 avec de la cire non fondue, comme dict 9 Plutarque, ne plus ne moins que feit 9 iadis Ulissésy aux Ithacéens. » Touiours ais-ie tu meilleure chance et plus honneste eslection écheoir à ceulx qui se tiroient de presse , et deslibéroient à l'escart. Il semble que Ton veoie plus clair, et d'une vue moins offusquée , quand on regarde tout seul. C'est dans la foulle et dans le bruict que l'on se fourvoyé. On vous y faict veoir tant d'issues brouillées et enchevestrées dont vous ne vous doubtiez poinct , que vous ne sçavez plus démesler en laquelle il fault vous ietter. Pendant que vous vous esbahissez aux in- ventions et piperies de ces pédagogues, il ne vous souvient de celuy dont vous debviez principalement, prendre conseil. Ce bon et désintéressé directeur qui vous àccompaigne si docilement, et ne vous quitte non plus que votre umbre, le loysir vous manque aussi bien que l'attention, pour Finterro- a. 19 MO GBAPITBE Xm, ger. Cette cohae oA vous êtes vous oste la puissance, voire le vouloir de donner au- dience à .vostre conscience. Nul pourtant ne sçauroit vous dire niieulx qu'elle ^ ce qui est du droict honneur et du vray debvoir. A la vérité, elle ne sçait que cela» et si voua cherches aultre chose> bien estH:e faict à vous de ne la poinct ouïr. Vray est aussi que ce tumultueux bruissement de vaines paroles la peùlt assourdir elle-mesme , et préoc* cuper. Elle ne pérore iamais mieulx que dans le silence. C'est pourquoi ie vous Voul- drois veoir faire retraite i et vous confiner pour un peu de temps dans quelque secrète et privée solitude , chasque fois qu'en ces calamiteuscs esmotions du siècle, il vous fauldroit prendre un party où il iroit de vostre estât et honneur* Ego quid sU aier AdrioB novi sinus , et quid albus Peccei 7apjrx{t). (l) HORAGK. ' Ù% LA SOLITODE FOBCAe. 3M . c l'eseriyoys'cecy environ le temps qu'une ■ f forte chai^ de nos troubles se croupit • plusieurs ans sur moy.... Lepeupleysouf- • * f frif largement lors » pon les dommages t prése nts seulement , mais les futurs aussi . . » Et fus-ie pélaudé à toutes maihs- : au f Gibelin, i'çstpis Guelphe;* au Guelphe, « Gibelin. La malice et idiquité dé quel- » ques uns me présentoient d'un visage; j me» actions et vrays sehtimens, d'an '1^ autre ... En cette confusion où nous sofb- .'t mes depuis trente ans , tout homme fran- *jr çois/soit en particulier, soit en général, f'pe yeoid à chasque heure sur le poinct de f l'entier renversement de sa fortune. D'aul- f tant fault-il tenir son courage fourny de y provisions plus fortes et vigoureuses. y Sçacbons gré au sort de nous avoir faict y vivre en un siècle non mol , languissant , f ny oisif. Tel qui ne Teust été par aultre » moyen, se rendra fameux par son malheur. SOS CHAPITRE un. f Pourtant ie doubte si ie puis assez hon- aestement advoner à combiea ?il prix du repos et tranquillité de ma vie , iè Tay plus de moitié passée en la ruyne de mon pays.. C'estoit une joincture universelle de membres gastez en particulier, à l'envy les uns desaultreis, et lapluspàrt d'ulcères enviciliis qui ne recevoient plus, ny ne demandoient guarison. Ce croulement doncques m'anima plus qu'il ne m'at- terra, à l'aide de ma conscience, qui se portoit non paisiblement seulement^ mais fièrement , et ne trouvois en qnoy me. plaindre de moy. » Inieger viteBy sceterisque paras (i), Si me va-t-il venir souvenance que cecy soit desià escript en quelque aultre lieu de mon livre. Mais point ne m'en chault^ et ne treuve pas qu'il y^ ait grand subiect d'avoir (l) HûRACft. DE LA iOLITIIOB lOftCiE. SOS souci pour si petite licence. Qui me vouldra faire noise en cette occasion, ie lui dirai sans biaiser : Maislre, ce qui est escriptest escript. A chose faicte, il n'y a point de remède , et à parole laschée, rien que sot ravaudage et maladroite révocation. Par la peine qu'on prend à remascher et ravaler son propos , le seul proufit qu'on y fasse n'est que de le rendre plus poignant et plus venimeux. Aul- tant et mieux , le laisser s'en aller au vent y et se perdre quand et quand en l'oreille de ceulx qui escotttent. Possible y feront ils moins d'attention que vous. le concède volontiers aux aultres, qu'ils redressent et alignent leur oraison au cordeau. C'est fort bien faict, à qui le peult feire. De moy, ie n'y tasche poinct, et m'y eschaufferois vainement. Mon esprit est comme son maistre, oiseux et prime-saultier. A se revoir et à se repren- dre, il ne vauldroit rien. Et m'est advis qu'il tient du naturel d'un mien courtault dont i'use souvent, lequel ne va mie de plus franche et plus ferme allure, que quand il a les rênes laschëes , et au contraire bronche et restive si tôt qu'on les luy ?eull tenir haultes. le vous prie doncques que ne me rabrouiez trop rudement pour cette mienne redite, l'en vois de plus braves et plus chèrement prisés , qui ne s'en font faulte en leur fan- taisie» Aussi bien a-t-on maintes fois bonne et suffisante raison pour ce faire. Quand le fil de mon propos me va amener à un traict qui lui est convenant et me semble sien, quoy, m'imaginerai-ie de l'obmettre pour ce qu'il aura esté dict d'aultres fois par moy ou par d'aultres ! le ue suis tisserand pour ourdir ma toile à demi, et ne me suffit de l'avoir industrieusement œuvrée au commen- cement, si ie ne vais de mesme façon jus- ques au bout, laissant le milieu défaillant et mal estoffé. DE LA SOUTUOB POBC^ 209 Outre cela; qu'en mesmes accidents de la ¥ie publicque ou privée , mal aysément trouverois-ie des mots non semblables et des pensers neufs pour vous les conter. Il n'y a bonnement qu'une seule manière de bien dire une mesme cbose. Qui ne vouldra que ie me répète , qu'il fasse doncques que tant de mi- sères que nous avons endurées et éplorées en nostre ieune âge , ne nous viennent pas tout de nouveau donner rengrégement de maie fortune, à cette heure que nous voilà vieils. Si ie retourne au passé , Toire-*mais il ne me plaist mie. l'en ay assez pâti pour cela. Mais puisque tant est qu'on nous le ressuscite et nous le redonne 9 bien ais-ie snbiect d'en redonner mesmement le récit. ConmmpUs an-- tiquissimis delubris^ poUutœ ccerimoniœ, pte^ num exUiis mare , infecîœ provinciœ cœdibus , atrocius in urbe sevitum\ nobilitas, virtutes^ immsi honorez pro crimine (1). (i) Tacite. 3e§ CHAPRBB IMtU Au temps que ie fis un précédent chapitre sur la solitude , poinct ne m'advisai-ie que c'estoit une thèse double et un snbiectàdeux faces. De la volontaire, bien argumentai-ie assez pertinemment et abondamment. De l'involontaire , ie n'en dis mot, et ne sçais- pourquoy. Si est-ce que la dernière a bien bieii aultrement besoing d'admonition et de réconfort. Auiourd'huy, le yeulx amender^ Ces forcenées discordes m'y ont faict songer^ qui mettent tout en branle et en combustion. Vray est qu'on ne se peult meshuy assurer de lien ^ et que tel sonuneille bonnement chez soy, n'ayant faict à aulcuns ny tort, ny dommage, qui à l'adventure en seraosté à sod- réveil , et mis en la geôle , avec force mal- traictements et pilleries en sus. Sera ce ray- son qu'il s'aille pour cela désoler et pendre» afin d^espargner au bourreau la peine de luy serrer le lacet? l'advouerai* bien pour ma part qu'il m'est doulx et plaisant d'avoir le DE LA 80UTDDB rOBC^E. 207 champ libre , et que de Thumeur dont il a plu à Dieu de me faire , cette solitude con- traincte derrière un guichet n'est poinct celle que ie prendrois si l'on m'en bailloit l'eslection.Yoirement quesçais-ie? La force y est, et n'est pas à dire qu'on ne veult poinct. le me suis tasië et esprouvé l'esprit en ce subiect n'y a guères^ et tiens-ie pour seur que de cette incommodité-là il en soit comme de plusieurs ses pareilles, lesquelles tant plus on les envisage de loing , tant plus « vous semblent elles oultrageuses. Mais que ne soyiez assez fol pour laisser prendre et enserrer vostre esprit de mesme temps que vostre personne, bien vous veulx-ie estre pleige et caultion que le reste vous sera tel- lement quellementléger à souffrir. L'essentiel est quel'ame soit libre. Gaigner ce poinct là, c'est ville gaignëe , et est comme il fault faire nargue à vostre geôlier, ne luy laissant de 2fl8 CBAPIIBB XUI. soa prisonnier que la moindre part^ et luy robbant l'aultre. le ne dis cecy ponr qui amesfaict. C'esl oit trébuche l'humaine sagesse , et où ne sçait elle plus qu'alléguer. A luy , Dieu luy ayde! l'entends bien qu'il lui soit mal aysé de u'es- tre pas en grande affliction, et le plaindrois- ie encore plus s'il n'y estoit poinct; car il n'est pire desréglement que de s'y estre en- durci. Mais de son mesfaict aurois-ie pitié, et de sa prison , fort petitement. Pour ceulx dont ie parle, qui n'ont poinct forfaict ^ ie ne vouldrois contester qu'il n'y ait de l'ennuy d'estre enclos de quatre noires murailles, privé de ses ayses et de la vue des siens. Grandement me contristeroit d'es- tre en cette façon chassé de mes champs ^ et vilainement délaissé à la doulteuse mercy de mes envieux « Voire, si la con- science est nette , quel mal si douloureux y a-t-il? Quand vous vous mettez en voyage , DE LA «OLnUDE FOBcéE. M ne renonce£*vous poinct pour un temps à la doulce priveautë de vos enfants et de vos amis 2 Et si ne laissez - vous poinct d'y aller. Linquenda tellus^ et domus, et placens Vxor(i) Vous dites, ie les retrouverai. C'est bien dict; et aussi les retrouverez-vous au bout du voyage que Ton vous faict faire. Vos biens en souffriront? cela est fascbeux; mais vous estimiez-vous de surnaturelle et moins bu- maine lignée , pour ne recebvoir nulle fois nul écbec en vostre fortune? Uni nimirùm recti tibi semper erunt res (a) ? Un jour, elle vous sert ; un aultre, elle vous dessert et desfavorise. Vous le debviez sça- (l) HOEAGE. (a) HOEACE. 300 CBAPITBB Ull. voir, et vous tenir prest. N'est sage et prude homme, quinesçaitvivredepeu* Mieulxyault ne pas perdre? d*accord. Mieulz encore , si vous voulez, toujours croistre et arrondir sa chevance. Mais en ce jeu divers et hazardeux de la vie , poinct n*y a-t-il de chance qui ne tourne, ny de dés pipés pour retumber ton- iours sur le mesme numbre. Ils vous seront pour, aujourd'huy, et demain, contre. C'est leur naturelle et familière allure. Pendant qu'ils vous duisent, useac-en; pendant qu'ils vous nuisent, ayez patience. Y a-t-il une légion d'hommes en vous , qu'il vous soit besoing de tant de choses pour satisfaire à vostre appétit? Voyez doncques le grand proufit qu'il vous faict, d'avoir plus de chausses que vous n'en portez, plus de viandes que vous n'en goustez , et plus de varlets que n'en pouvez mestre en besogne. Si vous ne sçavez estre pauvre , vous ne méritiez poinct d'es- tre riche, et la fortune qui se radvise et DB LA SOLITUDE rOEC^B. SOI TOUS tourne le dos faict ce qu'elle doibt. Sperat infestïs , metuit secundis . AUeram sortent benè prœparatum Pectus (i )..... Prenez-moy le sage Plutarque ou bien le subtil et ingénieux SénéqueaTec vous.Ceulx là ne se feront poincttirerForeille pour vous aller tenir compaignie en vostre prison. Quand vous serez las de songer, appelez-les, et parlez à eulx. Pointue failliront ils à votre semonce. Ce sont de fidèles amis ceulx là, qui ne s'of- fusquent de rien, et ne vous délaissent iamais. Vous les prenez et les quittez à votre loy- sir. Leur familiarité est proufitable ensemble et récréative. A deviser avec eulx vous vous esbattez et rendez plus docte. Il n'y a si poignante affliction qui ne s'esmousse à cet exercice, et bien vous porterois-je desfi, pen- dant que vous y vacquez, d'estre malheureux. Car m'est advis que le malheur qu'on ne (l) HOIIACE. 303 GHAPRIB %nu ressent poinct n'est pas du malheur. Comptes doncques de combien d'heures en chasque ioumée, il vous est loysible de faire que vostre captivité ayt abrègement. Ne som- meilleriez vous poinct , et n'estudieriez vous poinct, si vous estiez en vostre maison? Que vous faict il, en quel lieu ce soit que vous estudiez et dormiez? Ce n'est la chambre où vous estes» qui faict la doulceur da vostre sommeil, non plus que la délectation de vostre lecture. En telles besognes , porte ou- verte ou porte close est tout un. Le reste du temps vous pourra estre plus dur et plus lourd ; mais vous en avez en main fat me^ sure, et la pouvez rendre brève aultaiit qu'il vous plais t. Eh , ne savez vous estre avec vous mesme? Non horam tecum esse potes l[i) » Ce n'est pourtant à l'honneste homme, un (l)HoRACK. DE LA SOLRVDB FORCEE. S03 si importun compaigoon. Qu'a-t-il à vous dire, que toutes paroles courtoises et de bon accord ? Il ne vous ira poinct cettuy là rom- pre la teste d'ai^umens tortus et sophisti-* qués , et ne vous desduira ny propositions ni sentences contradictoires aux rostres. Est- ce de ne pouvoir desbattre et contester qui vous faict regret y et n'estimeriez vous play- santé Taccointance de vos familiers, que par cette habitude de coateiàtion et de con- troverse qui la font souventes fois si aigre et fascheuse? Certes, vons n'aurez poinct là d'ergoteur pour vous rembarrer et morigéner, vous disant nennil à tout bout de champ , et vous renfonçant à rebours chascun de vos propos au fond de la gorge. Mais que ce soit un mal , et l'en double , il ne se pieult que vous n'ayez moyen de le supporter. Estes vous jusques là rude envers vous mesme , de vous lasser et de&plaire en vostrepro]^re entretien? Mercy de ma vie , oncques n'en trouvai qui / 3M CHAPmB ZIII. fissent d'eulx si petit estât , et qui ne fussent aultantau moins que de raison, satisfaits de leur suffisance. Aux fols, ce n'est que folie; mais aux gents de bien, c'est iuste et droict iugement. Qui s'advoueroit sot àluymesme, qu'en debrroient dire les aultres? Quand viennent vos réflexions , et qu'elles vous tiennent, si ne peuvent elles vous estre aspres et poignantes. Oncques adversité pu- blicque et nom méritée ne se treuva , qui n'eust sa contre partie , et y a-t-il mesme à la plus griève quelque bien caché , et quelque gracieulse compensation. Si vous ne la sonf- frez^que pour ne vous estre pas dérobbé à vostre debvoir, est-ce si grande misère ? La vraye misère serait de vous estre dérobbé k rostre debvoir, et par ainsi ne l'avoir pas encourue. Il ne vous fault point douloir, mais esiouir et glorifier. Assez y aura-t-il d'hommes de bien , compatissant à vostre male-fortune , qui vous prendront en estime DE LA SOLITUDE ffOBC^ S05 et VOUS hault loueront. Est-ce un trop petit salaire à vostre advis, pour la peine que vous prenez de vivre seul à seul avec rostre bonne conscience? Fortisj et in se ipso totus (i). Aulx sages, nulle aultre convoitise ne sied, que l'approbation des sages. Quel meilleur loyer, s'il vous plaist, en espérer vous, quand vous mettez gaillardement votfe vie au basard ^es coups de .pique et des mousquetades? Celles cy tuent pourtant, et nonfaict l'ennuy de la geôle. L'honneur vous y allèche, n'est-il pas vray, et engage 7 Eh n'y a-t-il poinctsem- blable et plus grand honneur, d'aultant qu'il est moins vulgaire, en vostre prison ! Supremœ cUxroTum virorum necesêUates^ ipsa necetsUas fortiier tolerata (2). Cet héroïque et incom- parable M. Rëgulus , dont Titus Livius nous (l) HOBAGE. (a) Tacite. a. ao 3oa cHAmsB mi. contç l'histoire , estimez vous qa'ez prisons des Carthaginois où il s'en estoit retourné volontairement 9 la remémoration du hien qui en reviendront à sa république ne luy remboursast pas la rançon de sa liberté ? Et ■ « le grand Aristomenës de Messénie en ce gouffre oh Tavoient précipité les gents de Lacédémoce, .me semble à moy, pendant qu'il poursuivoit à grand'peine la piste du renard qui luy desclosoit l'issue pour se dé- livrer, que la gloire acquise en la vengeance de son pays luy estoit un favorable allè^ gement en cet extresme péril. Une droicte et cours^euse façon de vivre est chose de si^ exquise vertu , qu'elle mue et transforme la souffrance mesmc en con- tentement. TABLE GÉNÉRALE TOME PREMIER, LIVRE PREMIER. DE LA JUSTICE POLITIQUE. GHAPItAE ' PREMIER. pages Des deux Justices. 3 Gbap. il l)e la Trahison. i l SOS TABLE OlbiliRALE . ghap. m. Du Complot. 16 Chap. IV. De la Presse. 19 Chap. V. De la Guerre ciTile. a8 Chap. VI. De la Nécessite par rapport à la justice. 44 Chap. VII. Des Peines perpétuelles. Sa Chap. VIII. Du Bannissement judiciaire» 55 Chap. IX. De la Confiscation. 66 TABLB ttbnfalâliB. 500 Chap. X. De la Peine de mort. 77 Chap. XL Des Juges. 99 GiuF. XII. Du Bannissement politique. 1 95 Gba». XIII. De la Rëyision. i9o Chap. XIY. Amnistie et grâce. i59 Si<> TABLB «éviÊRALE. LIVRE DEUXIÈME. DU SBRMEITT POLITIQUE. Avertissemept. i5i CHAPITRE PREHIER. Proposition. i56 Chap. il I>u Serment en soi. 162 Chap. Ilf. En quoi les sermena difTërent.. 168 Chap. IV. Suite d,\x précèdent. 171 TABLB «AléBALE. Sit Chap, V. Du Serment par rapport à la religioQ du gou- yernement. i^S Chap. VL Du Serment envers le gouvernement. 180 Chaf. VII. Du Serment relatif. i85 Cba9. VIIL Du Serment par rapport à la constitution de , l'Eut. 19^ Chap. IX. Suite du précédent. 199 Chap. X. Suite du précédei\t. 3o5 312 TABLE OisÉAALB. Ghap. XL Du Serment par rapport i ropinion commane. 3 1 o Ghap. XII. De la Souyerainetë populaire. 246 Ghap. XIIL Dds Sermens successifs. a5 1 Ghap. XIV, De rObëissance. 339 Ghap. XV. De l'Obéissance passiye. a44 Ghap. XVI. De la Soumission. 347 TABLE ÇÉMiBALE, S15 Chap. XVIL De la Nëceseitë . 3 5o Chap. XYIII. CODCluSiOD. 256 3t4 TâBLB ÇJMàmhMi, ÏIVRE TROISIÈME. >1828 — 1830. Avertissement. 261 GHAPITEB P&BIUB&. Dialogue des morts. — Foy ^ Camille Jordan. 365 Chap. il Dialogue des morts. — Y et Z. 288 Chap. m. De la dénomination du gouvernement. .^08 TAMJS «téniMLB. 315 DEUXIÈME VOLUME. LIVRE TROISIÈME. (SUITB.) Chap. IV. De la majorité^ Chap. V. pages I De la direction du Gouvernement. i a Chap. VI. De la prérogative. 24 310 TABLE GibléBABB. Chap. vil jDe l'Inaction politique. 33 Chap. VIII. Des Coups d'ëtat 4^ Chap. IX. De la Réaction. 58 Chap. X. De la Possession. 66 TABLE «teAsALE. 317 LIVRE QUATRIÈME. GHAPIT&B PREHIBR. Prince et principe. 'ji Chap. il De l'Inconséquence en matière de rëFolution. 87 Chap. III. Des Partis. 10 1 Chap. IV. Da Système proFÎnciaL ia6 SIS TABLE OÉRteALi. Chap. V. Du système provÎDcial ( suite )*• 14S Chap. VI. Des sptèmes. 169 * Chap. VII. Des doctrines. i^S Chap. VIII. De la prédiclion politique. igo Chaf. IX. De la penëyërance dans les opinions. 2 15 GnÀp. X. Les femmes dans l'adversité. !i35 Chap. XL Les art?. ^4^ _» f TABLb GISSKEALB. S 19 Chap. XII / De la parole et de Tëcriture* 263 Chap. XIII De la solitude forcée. 285 FIN DB LA TABLE GENERALE. If 'f } < âJ^ >V' / / «